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Arts
Par Laura Aronica

ENTRETIEN : el-Atlal, un projet de résidence artistique en Palestine

el-Atlal : en arabe, ce mot empreint de poésie signifie « les ruines ». Il désigne aussi un projet de résidence d’artistes et de chercheurs à Jéricho, en Cisjordanie, initié en 2015 par Karim Kattan, franco-palestinien. « La Palestine n’est pas un terrain vague de la culture ! » nous disait-il l’année dernière, lorsque nous le rencontrions. Alors que la Palestine ouvre un musée sans oeuvres, le projet el-Atlal, lui, n’a toujours pas ses murs (notamment parce qu’il a fait le choix de freiner son développement lors des événements d’octobre dernier). Mais il multiplie les initiatives en ce sens. Aujourd’hui, Karim et son association lancent un appel aux candidatures pour leur première résidence à Jéricho prévue pour cette année. Les dossiers sont à présenter jusqu’au 15 juin, sur le site de l’association.

Re(lire) notre entretien avec Karim Kattan :

el-Atlal est une toute jeune association qui a pour vocation de créer une résidence d’artistes et d’écrivains à Jéricho, en Palestine. Elle veut valoriser un espace au potentiel artistique sous-estimé et intensifier les échanges culturels entre la Palestine et le reste du monde. Rencontre avec Karim Kattan, franco-palestinien à l’origine du projet.

Qu’est-ce qu’el-Atlal ?
L’idée d’el-Atlal, c’est d’être une résidence d’artistes et d’écrivains. Tu es un artiste, un écrivain, un chercheur. Tu viens, tu passes trois mois dans la résidence, tu produis. Tu as tout à disposition, évidemment. Tu es nourri, tu es logé, tu as accès au matériel que tu as demandé. On est parti sur deux fois trois mois dans l’année, au printemps et en automne soit les deux saisons où Jéricho est vivable. Les trois mois correspondent à la durée du visa, mais c’est aussi très court, ils seront donc renouvelables.

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Notre seule exigence, c’est qu’il faut faire un atelier de création, un workshop. La personne choisira son public, à qui cela s’adresse et comment ça se passe. S’il s’agit, par exemple, d’un photographe, on lui demandera de faire un petit atelier de photos avec les locaux, dans la ville de son choix. Si c’est à Jéricho, ce sera essentiellement des Palestiniens évidemment, mais c’est à Béthléem il y aura sûrement plus d’étrangers. L’impératif, c’est que cela reste un projet ouvert. À la fin de chaque résidence, on voudrait réaliser une expo, d’abord dans la résidence, puis éventuellement dans d’autres galeries en Palestine et ailleurs.

Qui est derrière le projet ?
C’est un projet que je ressasse depuis longtemps dans ma tête, chaque fois que je reviens en Palestine. Et lorsque cet été, je me suis décidé à concrétiser le projet, c’est allé très vite.

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C’est un projet franco-palestinien. On est une équipe d’un dizaine de personnes à Paris, tous des amis très proches, qui ont un lien soit avec ce genre de projets, soit avec la Palestine. Des amis de l’ENS (Karim est lui-même normalien, NDLR), qui sont maintenant à Sciences Po en ou qui font des projets de thèse au Quai d’Orsay en rapport avec le monde arabe.  Nous sommes en partenariat avec une agence d’architecture palestinienne, qui est aussi un laboratoire de recherche en ingénierie qui travaille actuellement sur  la pierre et qui s’occupera de la construction. Vu que les dunes sont en pierre, c’est assez expérimental. Le projet architectural lui-même est une recherche.

Pourquoi c’est important de faire ça en Palestine maintenant ?
Parce que ce genre de structure n’existe pas comme telle en Palestine, il n’y pas un endroit comme ça, qui centralise une production artistique très forte. L’enjeu de cette résidence, c’est de montrer la Palestine, de la rendre visible.On veut attirer l’artiste qui vit par exemple sur la Côte Ouest des États-Unis, en Afrique du Sud, en Malaisie… qui n’a jamais entendu parler de la Palestine ou qui n’a aucun intérêt à y aller, et qui ne viendrait qu’en vertu de l’existence d’une telle structure. Et puis, tout simplement, on va faire quelque chose de qualité.

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Tu insistes sur le fait qu’il s’agit d’un projet artistique, dont la vocation première n’est pas politique. Mais dans ce genre de projet, n’y a-t-il pas un engagement quoiqu’il arrive ?
Le problème du Palestinien c’est qu’il n’a jamais le droit, aujourd’hui, d’oublier son pays, et d’oublier d’où il vient. Ce qui est le luxe, par exemple, d’un Français. Le Palestinien est toujours travaillé, tiraillé par ça. Et c’est très bien, et c’est important, mais

Il faut qu’on ait le luxe d’être autre chose que « Palestiniens » vis-à-vis des autres. On est des gens normaux. On peut faire des trucs dans une galerie sans non plus vous parler de tous nos malheurs

Et en même temps il faut toujours pouvoir en parler, mine de rien.

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L’engagement est surtout social. Il s’agit de créér des images de la Palestine, de diffuser des images de la Palestine qui sont autres.

La Palestine n’est pas un terrain vague de la culture, il y a déjà beaucoup de choses qui se passent

mais elles sont prises dans un triangle d’or entre Ramallah, Bethléem et Jérusalem Est. Et comme en tant que Palestiniens on a toujours cette crainte de se disperser, car il faut que l’on soit unis sur ce genre de choses pour rester visibles. Aujourd’hui, on retrouve donc moins les périphéries, les endroits comme Jéricho, qui au final sont un peu paumés dans le désert. Jéricho, pourtant, est un endroit extraordinaire, et il y a un service culturel génial à la mairie, hyper motivé et enthousiaste, qui a envie de faire plein de choses.

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©  Jamie Lynn Ross

Que signifie el-Atlal ?
El-Atlal, ça veut dire « les ruines » en Arabe. C’est un mot très positif, très productif. Il a été très utilisé en poésie, surtout en poésie préislamique. Le poète qui est sur les traces du campement de sa bien-aimée. Il regarde les traces de ce campement, et à partir de là naît la parole poétique. Du coup, les ruines, c’est un peu ce qui garde les traces du passé sans être immobile, parce que c’est les ruines du campement, la preuve du voyage. Jéricho c’est la plus vieille ville du monde, c’est une oasis dans le désert, et c’est rempli de ruines.

Jéricho se trouve en zone A, une zone de la Palestine très difficile d’accès pour les Israéliens. Est-ce qu’un Israélien pourra participer au projet s’il le souhaite ?
En fait la question ne se pose pas vraiment parce qu’Israël interdit complètement aux israéliens de se rendre en zone A (La Palestine est divisée en trois zones, A, B et C. La gestion de la zone A est entièrement déléguée à l’Autorité Palestinienne, NDLR). El-Atlal se trouve en zone A simplement parce qu’en Palestine les grandes villes, les centres, sont tous en zone A.

Et maintenant ?
On a lancé le crowdfunding, pour lequel on doit lever 15 000 euros en 45 jours. Ils vont servir à acheter les pierres, la matière brute qui permettra de construire la première des dunes de la résidence. L’idée c’est aussi de pouvoir continuer à produire des événements pour lever plus de fonds et agréger plus de soutiens. L’inauguration n’est pas pour tout de suite. Il va nous falloir du temps et de l’argent.

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Du coup en amont, on va organiser des événements culturels à Paris, à Jéricho ou en Palestine en général. Des pièces de théâtre, des performances, des colloques, des conférences ou des expos, pour montrer vers quoi on se dirige. Je veux qu’il y ait de la qualité et que ce soit corrosif. Avec le crowdfunding, on va pouvoir demander de nouvelles subventions à la coopération culturelle en France, notamment. Si tout se passe bien, la construction pourra commencer en septembre-octobre 2017.

Photos et images de synthèse © el-Atlal et AAU Anastas
Première publication 27-01-15.

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