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Clique x Laurent Chalumeau

« C’est la première fois de ma vie que je suis rédacteur en chef ».

Au début des années 80, il commence à travailler chez Rock and Folk, qui tire à l’époque à 200 000 exemplaires chaque mois.

« Lire Rock’n’Folk pour nous, tous les mois, c’était comme écouter Radio-Londres pour nos grands-parents . C’était un parachutage mensuel de vivres et de munitions».

On évoque la différence, à l’époque, entre la presse américaine et son homologue française, plus dandy. « A l’époque eux ils avaient Woodword et Bernstein qui levaient le Watergate et nous on avait Alain Duhamel, eux ils avaient Elvis Presley et nous on avait Dick Rivers ». « Il y a toujours un petit décalage horaire », dit-il, une « une volonté systématique de chiquer aux cairns ». Aujourd’hui, c’est toujours le cas : « Les autres ils ont 50 Cent et nous on a Booba ».

On lui dit que pour nous, si cette imitation a fonctionné, quand NTM s’inspirait de Public Enemy et que cela fonctionnait, entre autres, c’est parce qu’ils avaient un but identique, celui de raconter la douleur – un paramètre que l’on retrouve aussi dans le rock. Il acquiesce :

« Les rappeurs n’ont pas inauguré les fanfaronnades virilistes ».

Le rock, affirme Laurent Chalumeau, « ce sont des gens qui ont la grosse semelle crantée du système sur la gueule, et qui réussissent à se dégager et à se projeter en plus grands, plus forts, plus jouisseurs, plus épanouis ». Comme le rap, dit-il, le rock exprime une « douleur et une revendication à plus, mieux et tout de suite ».

« Plus, mieux, tout de suite »… Est-ce ce qu’il s’est dit lorsqu’il a quitté la France pour les Etats-Unis, à 23 ans, pour y vivre 7 ans ? Au départ, dit-il, il s’y rend pour se rapprocher du rock. Mais là-bas, il se fait le témoin de la naissance d’un autre genre : le hip hop, qui ringarde le rock à vue d’oeil. « Il y avait eu des signes avant-coureurs, mais là le hip hop se constituait en force… avec un F majuscule ».

« Quand je suis rentré en 90, la messe était dite, le hip hop était hégémonique ».

Ce thème, il l’abordera dans l’un de ses premiers romans, Fuck. Imprégné par le hip hop, Laurent Chalumeau interviewe Eazy-E, KRS-One, les Beasties Boys, ou encore Run-DMC et LL Cool J…

« Eazy-E ? Une petite teigne. Je devrais pas dire ça parce qu’il est mort, le pauvre. Mais quelqu’un avait dû être très désagréable avec lui. Il y avait beaucoup de colère dans ce petit bonhomme ».

À son retour en France, son ami Antoine de Caunes lui demande « presque comme un service », se souvient-il, « de venir travailler un petit peu avec lui à la télévision », chez CANAL +. Il lui propose de coécrire une séquence qu’il interprète, tous les jours, à la fin du talk show « Nulle Part Ailleurs ». Laurent Chalumeau accepte, un peu par hasard :

« Je ne regardais pas la télévision, je m’en foutais ».

A l’époque, et particulièrement chez CANAL +, dit-t-il, la télévision était faite par des gens qui avaient voulu faire autre chose, dont les intentions de départ avaient été déçues. « Du coup, ils arrivaient à faire de la télé un peu par défaut, mais riches et porteurs de ces aspirations, et du petit bout de chemin qu’ils avaient réussi à parcourir« .

Cinq ans durant, Laurent Chalumeau co-écrit les textes d’Antoine de Caunes,  et contribue à populariser un métier qu’on ne montre pas, qui a toujours été vu, auparavant, comme « clandestin » :

« Antoine de Caunes a été l’un des premiers à afficher ses auteurs, Albert Algou et moi ».

En 1995, il quitte la télévision sans grands regrets :

« Ce qui m’a manqué, c’est mes copains. Tout cumulé, il y avait au moins un quart d’heure de fous rires par jour ».

En parallèle, Laurent Chalumeau est aussi parolier. ll a écrit aussi bien pour Patrick Bruel que la G-Squad, « historiquement, le premiers boys band français ». A l’époque, un ami lui dit parle des Backstreet Boys,

« Un groupe de garçons coiffeurs ébouriffés au babyliss qui chantent de la disco de merde, et ils vendent des wagonnets ».

Il lui propose de monter de toutes pièces un groupe du même type en France. Amusé, Laurent Chalumeau accepte, et compose Raide dingue de toi, dont une erreur d’interprétation des paroles a érigé le morceau (et pour la plus grande fierté de son auteur) en hymne LGBT.

Des années après « Fuck », il publie « Kif », en octobre 2014. Ce roman met en scène Georges Clounet, un ex-CRS qui se retrouve gérant d’une boîte de nuit. Écrit à l’automne 2011, ce qui devait être au départ un « western frivole, intemporel, déconnecté de tout » devient finalement un miroir mi-loufoque mi-acide de l’actualité de l’époque : on y retrouve – entre autres – un riche saoudien qui organise des soirées DSK, tandis qu’un converti zélé cherche à le faire chanter pour ouvrir une mosquée… et qu’une mallette renfermant un million d’euros achève de mettre le feu aux poudres.

« On a oublié maintenant parce qu’il y a eu d’autres merdes depuis, mais c’était à l’époque provoquer un débat sur la notion d’identité nationale, la filière halal, les lieux de prières etc. »

raconte Laurent Chalumeau.

Je me disais « Putain, il doit pas faire bon être musulman, ça doit être casse-couilles : dès qu’on allume son poste on s’en prend plein la gueule alors qu’on a rien demandé à personne ».

On lui dit qu’on a vu son livre comme l’antidote au Suicide Français d’Eric Zemmour, chantre d’une France clivée, aux aigres relents de racismes. Soit, mais « Il faut se méfier », répond-il, « parce que moi je suis un bobo qui vit dans Paris intra muros. Je ne vois que les bons côtés de tout, dans l’existence ».

Il pointe que le vote FN n’est pas forcément et fondementalement raciste, mais qu’il peut aussi être synonyme d’un geste de dépit, d’alerte… « Juste pour faire chier les milieux qui s’autorisent, comme dirait Saint Coluche ». Un geste de citoyen excédé, qui va finir par se dire : « Le seul truc qui va leur gâcher leur soirée petit-four champagne, c’est s’il y aune alerte aux élections».

En ce qui le concerne, il dit s’être appliqué lui-même la maxime de John Lennon « War is over if you want it » (« La guerre est finie si tu le décides »), en remplaçant le mot « guerre » par celui de « racisme ». Et ajoute :

« S’il n’y avait pas des Français rebeus ou africains aujourd’hui, je me demande quelle serait la vie culturelle ».

« Si on prend le cinéma français et que par un coup de baguette magique – maudite – sont reconduits à la frontière tous les immigrés ou leurs descendants, il est moins vivace subitement ».

L’autre combat de Laurent Chalumeau, c’est le féminisme :

« Mes polars sont sourdement féministes » (…) « L’ennemi, c’est vraiment les machos.  Je ne vois pas au nom de quoi, simplement parce qu’il a un appendice codal attaché entre les cannes, un mec, n’importe quel mec, se décréterait une supériorité non seulement théorique… et, dans la foulée, des droits ».

Mais au-delà du comportement des hommes, celui des femmes elles-mêmes le heurte tout aussi bien. Notamment de celles qui oeuvrent dans la presse féminine :

« En France, il n’y a aucun écrit d’un misogyne hystérisé et aveuglé par la haine comme Zemmour, qui sera aussi dangereux que chaque livraison de presse féminine » (…) « C’est dur pour les filles, mais en conséquence de ce que d’autres filles leur posent dans la tête ».

Pour finir, on lui demande si pour ne jamais être has been, il vaut mieux ne jamais être à la mode. Il acquiesce :

« Moi, j’ai toujours été ringard »

« La ringardise », finalement, « c’est assez cool à vivre. Tu te prends moins la tête ».

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