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Société
Par Jalal Kahlioui

« Assigné à résidence ». Entretien avec le journaliste interdit de couvrir la Loi Travail

L'arrêté préfectoral est clair. Le photoreporter NnoMan est interdit de se rendre demain entre 11h et 20h dans les 6e, 7e, 14e et 15e arrondissements de Paris. Il lui est aussi prohibé de s'approcher de la place de la République demain de 18h à 7h le lendemain. L'assignation à résidence empêche ainsi le journaliste de couvrir la manifestation contre la Loi Travail prévue à Paris.

Comment avez-vous appris la nouvelle de votre assignation à résidence ? 
J’ai appris la nouvelle samedi soir. Des policiers se sont rendus chez ma mère aux alentours de 21h. Ils lui ont annoncé qu’il m’était « interdit de quitter le territoire ». Je pense honnêtement qu’ils auraient bien été contents de ne pas me voir en France en ce moment. Ma mère a de suite appelé le commissariat et s’est vu répondre que son fils était « assimilé casseur ».  C’est alors qu’elle m’a appelé pour me prévenir. J’ai dû attendre le dimanche matin pour me rendre au commissariat  et pouvoir m’entretenir avec un gradé qui me reçoit en plaisantant : « Alors comme ça on lance des pierres sur la police ? ».

Pourquoi étiez-vous personnellement visé par les services de police ? 
Je couvre plusieurs manifestations à Paris depuis quelques mois, les manifestations contre la loi travail ainsi que les rassemblements qui font référence aux violences policières, un sujet que je suis depuis longtemps.

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Des interpellations musclées lors d’une manifestation contre la loi travail le 9 avril dernier à Paris. © NnoMan

Je sais très bien que c’est une décision politique. Je casse la version officielle des événements de ces dernières semaines.

Lorsqu’ils présentent un bilan léger concernant les blessés, mes images prouvent le contraire.

Pourquoi êtes vous le seul journaliste à être assigné à résidence ? 
Je pense qu’ils m’ont repéré à plusieurs reprises lors des manifestations. Je me souviens d’un contrôle particulièrement long lors du rassemblement du premier mai. Les forces de l’ordre avaient alors pris le temps de recueillir mes informations. Sachant que je ne cache jamais mon identité lorsque je travaille, le lien était facile entre mon travail et ma personne.

Mes clichés montrent la réalité des violences policières, de certains policiers qui n’hésitent plus à braquer leur Flash-Ball à hauteur de tête face aux manifestants.

En tant que photoreporter comment vivez-vous le fait d’être assimilé à un casseur ? 
C’est une situation inadmissible ! Je ne suis ni un manifestant, ni un casseur. Si tu tapes mon nom sur Google, tu peux trouver mon travail et mon visage. Je n’agis pas à visage masqué sauf lorsque je dois me protéger quand les événements le demandent. Je ne dissimule rien du tout. Mais ce procédé ne me surprend pas. C’est très facile de jeter le discrédit sur quelqu’un en le désignant comme casseur, c’est une injustice de traitement.

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Le face à face entre policiers et manifestants le 28 avril en marge d’une manifestation contre la loi Travail à Paris. © NnoMan

Le pire, c’est que mon casier judiciaire est totalement vierge, je n’ai jamais subi de garde à vue de toute ma vie.

Quels sont vos rapports avec les policiers ? 
Je ne dépends pas des forces de l’ordre dans mon travail de photographe. Pour autant, même lorsqu’il m’arrive de subir des provocations, je garde le vouvoiement et je tente d’éviter le conflit. Lors d’une des manifestations contre la loi travail la tension est montée d’un cran. Après plusieurs heures de manifestation, alors que la tension était à son comble, un policier m’a clairement braqué un Flash-Ball à 30 centimètres. J’étais obligé de leur faire comprendre que j’étais journaliste et qu’ils n’avaient pas à agir de la sorte.

Cela vous fait-il réfléchir sur la liberté de la presse ? 
Je n’ai fait que mon métier : couvrir l’actualité avec mes photographies. Lorsque je suis présent dans une manifestation, je ne peux pas faire semblant d’être là et me cacher au loin pour prendre mes photos.

Quand un photographe de guerre est en première ligne pour couvrir un massacre, on ne l’accuse pas d’avoir participé à la tuerie.

La liberté de la presse est en total recul en France, et on n’aurait pas accepté de telles mesures si on les avait vues pratiquées dans un autre pays.

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Les affrontements violents du 28 avril mis en image par le photographe. © NnoMan

Qu’avez-vous décidé de faire face à cette assignation ? 
Mon avocat a déposé un référé liberté (une procédure d’urgence qui permet de saisir le Juge administratif et d’avoir une décision sous 48 heures, NDLR) auprès du Juge des libertés concerné. On espérait que le dossier soit traité cette après-midi, il ne sera traité que demain matin. Selon la décision je pourrais éventuellement exercer mon travail et couvrir la manifestation de mardi après-midi. Si la décision m’est défavorable, nous irons jusqu’au Conseil d’État avec mon avocat.

Est-ce que cette histoire a changé votre façon d’appréhender votre métier? 
Oui, définitivement. Je sais dorénavant que mon travail dérange, et que l’on veut me faire taire. Mais à présent je suis deux fois plus déterminé dans ma volonté de montrer la réalité.

S’ils veulent que je ne prenne plus de photos, il faudra me crever les yeux.

La rédaction de Buzzfeed a publié un article dans lequel on peut lire un rappel des faits, ainsi que le détail de l’arrêté préfectoral. 

Photographie à la Une © Nnoman. 

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