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QUI ES-TU : Mouloud Mansouri, ancien détenu devenu ambassadeur du hip-hop en prison

Mouloud Mansouri vient de fêter les dix ans des Hip-Hop Convict, des concerts organisés en soutien aux détenu-e-s dont les recettes permettent d'organiser des actions culturelles au sein du milieu carcéral. Depuis 2008, Mouloud Mansouri a invité plus de 300 artistes à participer à ces actions solidaires menées dans les prisons partout en France.

Après avoir lui-même passé dix ans derrière les barreaux pour trafic de stupéfiants, Mouloud Mansouri peut se targuer d'être aujourd'hui un ambassadeur culturel de premier plan dans le milieu carcéral. Pour Clique, il est revenu sur son parcours, sa vision de la prison et sa jeunesse dans le Sud de la France.

Clique : Quand tu as organisé le premier concert Hip-Hop Convict, est-ce que tu imaginais un jour fêter les dix ans de cet événement ?
Mouloud Mansouri : Non pas du tout ! Quand j’ai organisé le premier concert de cette série, je venais quasiment de sortir de dix ans de prison, donc j’étais plutôt sur ce chiffre-là. Je me disais que j’allais faire quelques concerts parce qu’il y avait des potes qui étaient en prison. J’étais plus dans l’optique de me concentrer sur ce qui allait se passer cette année-là, pour me laisser le temps de réfléchir sur ce que j’allais faire de ma vie après la prison.

En 1996, tu as organisé un concert contre le Front National à Toulon…
Toulon est une ville qui a toujours été historiquement placée à droite. En 1995, le Front National a remporté la mairie, et l’année d’après il y avait une visite de Jean-Marie Le Pen pour un meeting. La mairie de Hyères, d’où je viens, m’avait demandé d’organiser un contre-événement en faisant un concert de rap. J’avais déjà collaboré avec le service culture de la ville et ils savaient que je travaillais sur ça. Finalement, à quelques jours du concert, la mairie ne voulait plus être associée au concert, et retirait son budget. Mais j’ai continué à organiser le concert tout seul. Et dans une salle d’à peine six cents personnes j’ai fait venir Ärsenik, Afro Jazz, la Scred Connexion, la Rumeur…

Dès ta jeunesse tu étais connecté avec des artistes très en vue. Comment l’expliques-tu ?
Parce que j’étais trop chaud (rires) ! Dans mon « business » j’étais chaud, donc je n’allais pas travailler avec des petits… J’avais les moyens de bouger, donc je me déplaçais énormément. J’allais rencontrer les mecs directement. Je n’allais pas les voir comme un fan, mais plutôt comme un futur collaborateur.

J’avais peut-être ce culot-là. Je ne me disais pas « je viens d’une petite ville, et ils passent à la télé… », je m’en foutais. J’avais de l’argent, je pouvais faire des concerts, eux c’était des artistes, donc on était sur la même longueur d’onde.

Tu as passé dix ans en détention, dans différents établissements carcéraux, après des condamnations pour trafic de stupéfiants. Mais tu dis que « tu n’a pas été traumatisé« . Comment l’expliques-tu ?
Chacun fait sa détention comme il le ressent… Chacun sa souffrance. Moi j’ai su m’accrocher à différentes choses. J’ai toujours eu la famille, les potes qui venaient me voir au parloirJ’avais souvent un téléphone portable (sourire), j’avais la musique qui me permettait de m’accrocher, le sport aussi. Je m’intéressais à tout ce qui se passait à l’extérieur. C’est ce qui m’a permis de ressortir la tête sur les épaules.

Je ne suis pas le seul à ne pas être traumatisé par le fait d’être allé en prison. Après, peut-être que j’ai été traumatisé d’une autre manière, regarde : ça fait dix ans que j’y retourne…

Tu as dit aussi qu’il y a eu un basculement dans ta perception de la vie après six ans de détention…
Pendant mon début de détention, qui a duré à peu près six ans, je pensais que j’allais ressortir et recommencer « mes affaires ». Un jour je me suis dit : « je suis un fou, je vaux mieux que ça ». Ce que j’ai vendu en quantités énormes, si j’avais juste changé de produit, j’aurais cartonné autant.

Est-ce que c’est un comportement normal pour les jeunes détenus ?
Ce n’est pas une question de normalité, c’est juste le fait d’assumer « son travail » et sa place dans la société. Certains ont une place marginale dans la société, j’avais cette place. À l’époque, je pensais que cette activité était super et ça me rapportait beaucoup d’argent. Ça me permettait de vivre bien…

Est-ce que ce déclic aurait pu arriver hors des murs de prison?
Je pense qu’il serait arrivé beaucoup plus tôt à l’extérieur.

Mais la prison n’est-elle pas faite justement pour aider les gens à arrêter les activités illicites ?

Quand tu es en prison, et que tes co-détenus sont des dealeurs ou des braqueurs, qu’on ne parle que de ça toute la journée, qu’on se raconte tous des histoires de fou et que personne ne juge l’autre négativement sur ce genre d’actes : tu crois que ça peut t’aider ?

Donc tu peux plus facilement faire ce travail à l’extérieur. En prison, tu peux te complaire dans ces choses-là, au contraire…

Quel était ton quotidien à ta sortie de prison ?
Dès que je suis sorti de prison, j’ai fait une formation de vendeur spécialisé parce que j’étais sorti en liberté conditionnelle et qu’il fallait que je sois encore un peu tenu. Donc, je faisais cette formation et en même temps j’avais envie de faire des concerts en prison. Les six premiers mois j’ai charbonné de dingue : la journée en cours, et le soir sur mon association. Je m’étais donné un an pour réfléchir à tout ça, et finalement ça fait dix ans que ça dure et que je continue d’y réfléchir…

Ton association s’appelle Fu-Jo, que veut dire ce nom ?
Tout le monde me demande ça ! Ça ne veut pas dire grand chose… En 1996, quand j’ai monté l’association, il y avait un groupe qui cartonnait dans le rap qui s’appelait Fu-Schnickens. J’avais un pote qui s’appelle John avec qui j’ai monté l’association, on a mélangé les deux…


Le groupe Fu-Schnickens a été créé à New York à la fin des années 80. L’un de ses tubes est une collaboration avec le basketteur légendaire Shaquille O’Neal. 

Quelles sont les activités de ton association ?
On travaille sur plusieurs choses. Il y a les concerts que l’on fait à l’extérieur (des murs de prison), qui ne sont ni des concerts de rap ni des concerts de soutien aux détenus. Je produis aussi des jeunes artistes comme Numbers. Toutes les recettes générées par les actions de l’association servent les opérations culturelles et sociales qui sont menées dans le milieu carcéral.

Cela fait maintenant dix ans que tu es sorti et que tu mènes une vie d’entrepreneur et d’acteur associatif au sein des prisons. Est-ce que tu as suivi la dernière grève des surveillants pénitentiaires ?
Je regarde tout ce qu’il se passe sur l’actualité des prisons. Je sais que le ministère planche sur un nouveau projet de loi de justice, et qu’encore une fois ils ne feront appel à aucune association qui fait du travail sur le terrain. Quand ils comprendront ça, ils changeront de manière positive le quotidien des prisons. Les prisons reflètent la société extérieure. Sur la grève des surveillants, pendant dix jours, on n’a rien entendu sur l’amélioration de la vie du détenu. Si leur condition est améliorée, celle des surveillants aussi.

Par rapport à ce que vit le détenu en France, les prisons françaises sont bien calmes. Si un jour ça devait péter dans les prisons, ça exploserait gravement. Parce que c’est vraiment la souffrance, dans les prisons françaises.

Au premier janvier, on comptait 68 974 personnes incarcérées pour 59 000 places…
C’est rien ça encore… Cet été dans la prison de Nice, il y’avait 70 femmes pour 13 cellules. Fais ton calcul, et tu comprendras ce que ces filles ont vécu. J’avais alerté quelques députés sur ce problème. Mais aucun résultat sur le concret.

Pourquoi toute révolte semble impossible ? 
En prison, si le détenu a des revendications, comme les ont eues les surveillants par exemple, ils vont les transférer direct. Donc s’il y a un blocage de promenade pour dénoncer les conditions de détention, les meneurs vont être transférés en galère, parfois dans d’autres prisons, loin des familles.

Ta vision très défaitiste de la prison tranche beaucoup avec le positif de tes actions…
À un moment donné il faut faire des choses. Et moi, à mon niveau, la seule chose que j’ai trouvé à faire c’est organiser des concerts. Parce que quand tu fais des concerts, pour les détenus c’est une journée de liberté. Quand on y va une semaine, deux semaines, on leur apporte une culture de qualité à laquelle ils n’ont pas accès à l’intérieur. Quand on fait un concert en prison, c’est un vrai concert. Ce n’est pas de l’improvisation. Quand tu vois nos programmations, tu comprends de toute façon qu’on ne rigole pas.

Comment ça se passe pour organiser des concerts en prison,
concrètement ?
Cela dépend des prisons. Il y a des établissements où il y a des coordinateurs culturels. En région parisienne, c’est beaucoup comme ça. Quand tu connais la vision de la culture qu’ont certains coordinateurs culturels, tu comprends que c’est souvent un peu compliqué de s’accorder.
Les artistes que je fais chanter en prison, je les rencontre avant. C’est la même chose pour Joeystarr, Mathieu Chedid, Benabar ou Cali… Je leur explique mon concept, ma vision des choses, mon parcours aussi. Et après, ce sont eux qui ont aussi envie d’aller jouer. J’ai recroisé Olivia Ruiz il y a quelques jours là : elle m’a dit « Mouloud, quand est-ce qu’on y retourne ? ».


En 2010, Keny Arkana était l’une des têtes d’affiche du concert Hip-Hop Convict. Huit ans plus tard, c’est Nekfeu, entre autres, qui assurait le show à la salle Pleyel pour la dixième édition. 

Dans ces rencontres, que viens-tu chercher chez l’artiste ?
En général quand un artiste croise ma route, il sait qu’il va partir pour deux trois jours de galère (sourire) ! Mais en réalité, ils ont le retour des détenus qui est fait avec le cœur, donc ils sont contents d’avoir fait cette action. En général, quand j’arrive à les voir, c’est que cela va bien se passer.

Comment est-ce que les artistes ressortent de l’expérience en prison ?
Ils sont tous un peu tristes de les laisser. C’est arrivé récemment avec le S-Crew… Je suis rentré avec Nekfeu de la prison de Nice et il me disait qu’il était touché de sortir de là… Tu sais, ils donnent du bonheur quand ils chantent en prison et ça, les chanteurs le ressentent…

Comment se passe l’accès à la culture pour les détenus aujourd’hui en prison ?

Si on se contentait de ce qui est mis en place en prison, l’objet culturel le plus répandu ce serait la télévision et peut-être qu’on mangerait la culture de TF1. Ça serait compliqué. Sinon tu achètes un poste, tu cantines des CD. Et certains ont accès à Internet, et peuvent accéder aux clips, à Deezer…

Dans le rap, il y a une mythologie autour de la prison. Certains artistes sont passés du milieu carcéral au rap et vice versa. Comment tu vois évoluer cet imaginaire entre auteurs et auditeurs ?
Il y a des rappeurs qui n’ont pas été en prison et qui écrivent très bien dessus, ceux qui ont été incarcérés en parlent parce qu’ils ont été touchés et c’est normal de le raconter. Le rap est là pour décrire ce que l’on vit à l’origine. Quand tu regardes les films Les Évadés ou Un Prophète, on ne va pas dire que c’est dangereux pour la société, on va dire que c’est une fiction. Mais dès qu’on appuie sur quelque chose avec le rap, c’est différent, on a peut-être encore peur de nous…

Le prochain concert Hip-Hop Convict se tiendra le 4 mai prochain à l’Espace Malraux à Six-Fours-les-plages, avec Disiz, L.E.J, et Nemir en têtes d’affiche.

Image à la Une : Mouloud Mansouri par Jalal Kahlioui pour Clique.

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