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Société
Par Elena Amalou

QUI ES-TU … Karim Miské, réalisateur et écrivain

Le réalisateur et auteur Karim Miské aime disséquer les tourments identitaires agitant la société française. Lui-même est en proie à ces mêmes questionnements et les explore dans des documentaires historiques ou des romans. Il livre son regard sur ces sujets qui n'en finissent pas de faire l'actualité.

Qui êtes-vous Karim Miské ?
Je suis réalisateur de documentaires et écrivain. J’ai 51 ans et je vis à Paris. Je suis né d’un père mauritanien et d’une mère française. J’écris et fais des films autour de l’identité et l’appartenance. Depuis l’enfance, j’ai toujours eu à m’interroger sur ces questions d’identité. Cela occupe une bonne partie de mon travail aujourd’hui.

Quel est votre parcours ?
J’ai fait des études de journalisme à Dakar. J’ai travaillé en tant que journaliste pour RFI mais les reportages étaient trop courts. Je faisais aussi des sujets pour le journal télé mais c’était frustrant, je voulais surtout pouvoir raconter des histoires. Ce qui m’a amené à me tourner vers le documentaire. J’en ai fait durant 25 ans mais aujourd’hui je me consacre principalement à l’écriture.

Vous avez écrit les séries documentaires « Musulmans de France », « Juifs et Musulmans, si loin si proches », … Pourquoi travaillez vous sur ces sujets ?
En fait, je travaille sur tout sauf le sport et l’animalier ! Tout ce qui concerne la société m’intéresse, j’ai fait un documentaire sur l’interruption de grossesse en fonction des pathologies présentées par les fœtus, et aujourd’hui je suis surtout romancier…

Actuellement, la société française est traversée par cette problématique des relations entre juifs et musulmans. La France est le pays en Europe où il y a le plus de mixité entre ces deux communautés religieuses. Ils vivent en contact, partout. Alors que les juifs et musulmans viennent des mêmes territoires, l’histoire a fait qu’ils ont été liés puis divisés.

Ces films représentent un enjeu particulier car la France a joué un rôle important dans ces destins, parce qu’elle a colonisé l’Afrique du nord. Ce sont des films historiques, il fallait assumer ce coté dérangeant pour les croyants d’être mis face à des faits. Il faut séparer la foi de la religion, qui est une construction politique et un instrument de pouvoir. Il est important pour tous les jeunes de France de savoir qu’ils viennent du même endroit.

Etes-vous pessimiste quant à l’avenir notre pays ?
A court terme, je ne suis pas optimiste, nous risquons de nouveaux attentats et nous vivons dans un pays qui ne va pas bien.

C’est une société qui accouche d’elle-même, à long terme c’est soit le repli, soit l’ouverture. Chacun dit à l’autre que lui est fermé et que lui est ouvert. Chacun ne prend qu’une partie de problème : l’intolérance, les croyances… Personne ne met le même contenu dans ces mots-là.

Que pensez-vous de la sortie de Benyamin Netanyahu, le premier ministre israélien qui a accusé le mufti de Jérusalem d’avoir donné à Hitler l’idée d’exterminer les juifs ?
C’est un peu le cirque. C’est surréaliste d’avoir un premier ministre israélien qui dit qu’Hitler n’aurait pas tué les juifs si le mufti Haj Amin Al-Husseini ne l’y avait pas poussé. C’est tellement ridicule qu’il est en train d’essayer de jeter à la poubelle ce qui a construit la légitimité de l’existence d’Israël depuis la Shoah. D’un regard purement historique, depuis l’Holocauste, Israël doit exister parce que les juifs sont en danger de mort. Il déconstruit quelque chose d’établi pour rendre quelqu’un d’autre responsable. Ici les arabes.

Comment expliquez-vous que cette phrase scandalise en France ?
C’est un peu tout le problème de la France. Ça n’a pas été simple pour la France d’admettre le rôle dans la déportation et dans le génocide juif, avec la rafle du Vel d’Hiv. A partir du moment où on a fini par l’admettre –grâce à Jacques Chirac– ça a été sanctuarisé, on est passé du déni à quelque chose de complètement inverse. Tout ce qui touche à l’holocauste a une résonance particulière en France et la concurrence mémorielle se greffe là-dessus. Chacun a des comptes à régler avec la France et cela devient de plus en plus présent. Quelle douleur sera la plus reconnue par l’Etat? Israël joue un rôle central dans cette mémoire, cela devient presque une part du débat français. Cela vient attiser tout les conflits. Benyamin Netanyahu tient souvent des propos qui font polémique en France.

Qu’est-ce que cela raconte de l’identité aujourd’hui ?
Nous sommes dans un pays où la question de l’identité est centrale. C’est devenu explicite depuis le débat sur l’identité nationale avec Nicolas Sarkozy. Nous sommes dans un pays avec des gens qui souffrent d’un déficit d’identité avec ce qui a été appelé « la population majoritaire » : les blancs. Quand mes filles aînées ont commencé à me raconter leurs histoires de cour d’école, le mot « origines » a très vite surgi dans leurs discussions : certains camarades se revendiquaient comme « Lorrains », « Berrichons ». Comme si le fait de venir d’ailleurs devenait quelque chose de désirable. Il y a quelque chose de très ambigu là-dedans. Comme s’il ne suffisait plus d’être soi-même. Cela nous fait revenir à une question existentielle qu’on se pose depuis plus d’un siècle avec le problème de la mort de Dieu. Si Dieu est mort, ça n’explique plus les sociétés. La religion n’a plus le pouvoir, nous ne sommes plus une société régie par la croyance. Cela amène à une perte de sens massive chez beaucoup d’entre nous.

La culture peut-elle aider à réfléchir à ces problèmes ?
La culture dans une société est très importante, mais en soi cela ne veut rien dire. Disons qu’en France il y a un problème de visibilité, un problème d’accès à la parole publique, même si internet change énormément de choses. Il reste une sorte de pouvoir prescriptif des grands médias. La culture doit être à l’image des gens qui composent une société, nous sommes très en retard par rapport à ça (comparé à l’Angleterre par exemple.) En France, il n’y a pas d’écrivains issus de l’immigration post-coloniale considérés comme importants.

Surtout que la culture évolue. Le seul domaine dans lequel les minorités sont surreprésentées c’est la culture urbaine.

L’élite reste très blanche ce qui créé une sorte de hiatus entre ce qu’est la société et la manière dont on la représente. Il y a toute une frange de la société dont on parle mais à qui on ne donne pas la parole.

Pour finir quels sont vos projets à venir ?
Je travaille sur la suite de mon livre « Arab Jazz » qui a été traduit en neuf langues. Cela va devenir une trilogie. Je continue d’animer le « Pitch me », un restaurant dans lequel j’organise plusieurs événements culturels comme des lectures d’ouvrages en cours d’écriture. J’ai aussi d’autres projets de documentaires, notamment un sur l’histoire de mon père et la décolonisation, dont il a été un acteur.

Pitch me : http://pitchmeparis.com/

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