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Société
Par Camélia Kheiredine

CLIQUE TALK : « La Dictée pour Tous », racontée par son fondateur Abdellah Boudour

L’année dernière, avec 1234 participants, il battait le record du monde de la plus grande dictée jamais organisée. C’était à Drancy (93). Ce jour-là, petits et grands s’étaient réunis autour de l’amour de la langue française.

Abdellah Boudour est celui qui se cache derrière le concept intergénérationnel de « la dictée pour tous ». Cet amoureux de la vie associative et culturelle dans les quartiers est animé par une envie : celle de créer du lien social entre les habitants d’une même ville. Comment ? En participant à… une dictée. De la banlieue à Paris, en passant par la province et les prisons, « la Dictée pour Tous » est devenue, en l’espace de cinq ans, un événement incontournable. Aujourd’hui, le concept s’exporte même à l’international. Rencontre avec son fondateur.

Clique : Qui es-tu ? 
Abdellah Boudour : Abdellah Boudour, fondateur de la Dictée pour Tous et acteur associatif au niveau national.

Comment t’est venue l’idée de la Dictée des Cités ?
En 2013, je suis passé par la dalle d’Argenteuil (un quartier emblématique de la ville, NDLR) et ils avaient rénové le quartier. Je réfléchissais à une action pour accompagner cet événement et j’ai pensé à une action différente : une dictée.

Tu aurais pu faire un barbecue, un concert, une fête pour fédérer les habitants. Pourquoi ce choix spécifique de la dictée ?
J’ai voulu créer une passerelle entre l’Education Nationale, les établissements scolaires et les foyers. Beaucoup de professeurs nous ont sollicités pour parler aux jeunes et aux parents, parce qu’ils n’avaient pas de lien direct avec eux. On a voulu ramener tout le monde dans un même événement : instituteurs, directeurs d’écoles, parents, habitants de différentes cités…

Dans les quartiers, en général, quand on propose une animation, c’est des tournois de sport, de foot, des barbecues, des kermesses, des concerts.

J’ai voulu faire ce qui ne se faisait pas. Et j’avais sous-estimé mon quartier. Lors de la première édition, je n’avais mis « que » quarante chaises. Au final, on s’est retrouvés avec plus de deux-cent cinquante participants.

À la fin, on a organisé une grande distribution de fournitures scolaires. Le projet a aujourd’hui cinq ans. Et ça marche : tout le monde nous sollicite pour les accompagner, les aider à organiser des dictées dans leurs quartiers. Et c’est top !

Peux-tu nous expliquer en détail le déroulé des Dictées ?  
Chaque année, les dictées s’organisent dans un premier temps de septembre (avec distribution de fournitures scolaires à ce moment-là) à décembre, tous les week-ends. Puis de mars à juillet, non-stop. Lors du concours d’orthographe, il y a un texte coupé en plusieurs parties : une partie pour les primaires, et d’autres pour les collégiens, les lycéens et les adultes.

On fait la dictée, puis on corrige les copies le jour même. Nous faisons ensuite une remise de prix chaque catégorie : « meilleur primaire », « meilleur collégien », « meilleur lycéen » et « meilleur adulte ». Ils gagnent un week-end pour deux personnes et un livre. Et pour tous les participants, on offre un livre au choix. L’action est souple, il n’y a pas de notes, et tout le monde repart avec un cadeau.

Nous avons, en moyenne, entre deux-cents et cinq-cents participants par date.

« La dictée des cités » – Bagnolet 

Quel est votre objectif ?
L’orthographe et le vocabulaire des jeunes sur les réseaux sociaux, à travers notamment leurs influenceurs, les SMS… Ce n’est pas la meilleure façon d’apprendre à s’exprimer. Ils négligent le dictionnaire de plus en plus. Aujourd’hui ? C’est Facebook et Snapchat. Mais quand ces jeunes viennent faire une dictée et qu’ils récupèrent leurs copies, ils se remettent en question et se disent « ah, j’ai fait une faute là, je peux avoir le texte original pour comparer ? ». On aimerait qu’ils aient ce même comportement, ce même réflexe à l’école : revoir leurs leçons, se remettre en question. À force de leur proposer cet exercice-là en dehors du cadre scolaire, on espère que ça leur permettra de progresser.

Est-ce que les dictées ont un impact sur les participants ? Est-ce que ça change leur rapport à l’écriture ?
Ceux qui ont un a priori, qui ne veulent pas faire la dictée, qui sont freinés dans l’exercice… Une fois qu’ils font la dictée, ils souhaitent revenir et veulent qu’on en refasse une, ou qu’on organise des ateliers d’écriture. Parfois, on rencontre des jeunes qui font des bêtises à l’école, mais vers lesquels personne n’essaye d’aller. Personne ne leur propose d’activités, ni d’ateliers qui permettraient de faire travailler leur imagination. Alors que l’écriture est la base de tout.

@La Dictée Pour Tous

Tu as déjà été bluffé par un participant ?
Il nous est arrivé de rappeler des enfants en primaire parce que leurs textes étaient trop bien écrits. L’écriture était très belle, mille fois plus belle que la mienne (rires).

Mais ce qui me bluffe le plus, c’est quand toute une famille gagne la dictée. Parfois « le meilleur primaire », « le meilleur collégien »et « le meilleur lycéen » sont tous de la même famille.

Les parents doivent se sentir fiers…  
Les parents sont contents, c’est comme si c’était eux qui avaient gagné. À la remise des prix, on appelle les parents à venir sur le podium. Et même lorsque ce sont les parents qui gagnent dans la catégorie « adulte », les enfants sont contents. Pour eux, leur papa ou leur maman est le champion de la dictée dans le quartier. C’est une fierté pour tout le monde. Même pour le quartier. Parfois, des personnes des villes voisines viennent participer. Et quand on voit que les trophées restent dans le quartier qui organise, ça fait plaisir.

Pour toi, qu’est-ce que ce genre d’événement apporte ?
Ça permet aux mamans, aux familles monoparentales, aux personnes isolées, aux personnes âgées de souffler, de respirer. On voit les enfants et les jeunes prendre du plaisir, se challenger.

Ça crée du lien entre les habitants du quartier.

« La dictée pour tous à Sevran » – @Matthieu Bidan

Quand on vient dans un quartier, on aime bien que les jeunes soient acteurs de l’événement. Ça leur permet de changer leur image : les jeunes apportent des gâteaux, servent les personnes plus âgées, nettoient après… Ça valorise le quartier et les habitants, et ça permet de casser les barrières et la peur que l’on a parfois de l’autre. C’est la communication et le respect. Parfois, certains politiques snobbent le quartier ; mais quand ils voient une structure et les habitants s’investir main dans la main sur un projet… Ça change leurs idées, et ils veulent souvent mettre plus de moyens dans le quartier. C’est un gage de confiance entre les habitants et les institutions.

À travers la dictée, on valorise la langue française. On n’est pas en train de valoriser une autre culture. C’est celle du pays où l’on est né, là où on vit et réside.

Certains clichés pointent du doigt les lacunes en orthographe et en expression orale des jeunes de banlieue… Il y a une idée de contrebalancer cette idée-là avec la Dictée ?
Notre but, c’est de valoriser la jeunesse et de pousser les talents cachés. Il y a beaucoup de jeunes qui n’exploitent pas toutes leurs compétences au niveau du vocabulaire et de l’orthographe. Avec la Dictée, les habitants, la famille, les amis prennent conscience du potentiel de ces jeunes. Ils ne sont pas mis en avant, pourtant ils ont des blogs, des ambitions… Ils souhaitent devenir instituteurs, écrivains ou scénaristes. Si les médias mettaient plus en valeur ces potentiels là…

L’État et son Ministère de la Culture négligent aussi les quartiers. Ils développent beaucoup de choses au niveau de la culture au niveau national, mais peu dans les quartiers. Plein de jeunes ont des projets de livres, de films ou de blogs. Plus on mettra la lumière dessus, plus ça créera un engouement qui permettra à tout le monde de se tirer vers le haut.

Si dans les quartiers, on ne met en avant que des stars ou des footballeurs, ça ne va pas aider nos jeunes. Dans les quartiers, les jeunes ne souhaitent pas tous devenir footballeurs.

On ramène des personnalités pour lire les dictées, des journalistes comme Sébastien-Abdelhamid ou Emilie Tran Nguyen, des acteurs comme Rédouane Behache. Et des jeunes vont les voir pour leur dire : « on écrit des poèmes à la maison », « j’aimerais bien être journaliste comme vous, quelles études il faut faire ? Quelle école ? ». On prend conscience qu’il y a un certain manque dans les quartiers. On distribue tous le temps des livres adaptés au niveau des participants et on nous remercie pour ça.

@La Dictée Pour Tous. 

C’est triste, parce que beaucoup de quartiers en France n’ont pas de bibliothèque. La seule bibliothèque est soit dans le centre-ville, soit dans la ville voisine. Ce serait bien que le Ministère de la Culture investisse dans les quartiers et que l’accès à la culture soit vraiment ouvert à tous. Pour toute la France. Et pas juste l’Île-de-France.

Où est-ce que vous avez fait vos dictées ?
À Maubeuge, Douains, dans les prisons du Nord, à Compiègne, Creil, Argenteuil, Colombes, Drancy, Saint-Denis, Bagnolet, Sevran, Aulnay-Sous-Bois, Paris, Sartrouville, Les Mureaux, Nantes, Strasbourg, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Nice… Plein d’autres villes. Excusez-moi si je vous ai oublié ! (rires)

 

Tu ne veux délaisser personne !  
Quand j’ai eu l’idée d’organiser « la dictée des cités », mon but était de faire la dictée à Argenteuil dans un premier temps, puis d’aller ensuite directement en province. Je voulais mettre en lumière les habitants et les acteurs associatifs locaux. Les médias viennent plus facilement en région parisienne. Ils n’ont pas le temps ou le budget pour aller filmer une action en province.

À Paris, on a accès à tout. Les structures associatives, nous ne sommes pas à plaindre : on a accès aux institutions, aux aides, et les fondations des grandes entreprises sont toutes à Paris. Pour financer nos actions, c’est un peu plus facile, idem pour valoriser les quartiers, on a tous les médias ici. Donc je voulais d’abord aller en province et revenir en Île-de-France.

L’engouement qu’il y a eu en Province… C’est ça qui a fait la réussite du projet. Aujourd’hui, je suis fier parce qu’ils organisent des minis championnats. La Gironde, l’Occitanie, les Bouches-du-Rhône… Bientôt Nantes aussi.

Merci la province, parce que c’est vous qui êtes à la base de la réussite du projet. C’est vous qui avez fait grandir le projet. Et quand je dis la province, c’est tout le monde. Hors Île-de-France.

La « Dictée des Cités » est devenue la « Dictée pour Tous »… Pourquoi ?
Au début, on a commencé avec le concept de la Dictée des Cités pour mettre en valeur tous les quartiers. Au fur et à mesure, on a vu qu’il y avait beaucoup de personnes qui venaient des villes voisines, et qui n’étaient pas forcément des « habitants de quartier ». Certaines personnes pensaient donc que la Dictée des Cités n’était destinée qu’aux personnes habitant dans les cités.

On a voulu changer le nom, et maintenant ça parle à tout le monde. De la personne en cours d’alphabétisation au cadre… Tout le monde est là, autour d’un même texte écrit par un grand auteur de la littérature française.

La Dictée de Sébastien-Abdelhamid dans la prison de Maubeuge (photo La Voix du Nord)

Vous avez même développé le concept dans les prisons… 
On a été sollicités par les administrations de plusieurs prisons pour mineurs et adultes. La première dictée s’est faite avec Sébastien-Abdelhamid, au centre pénitentiaire de Maubeuge. Malheureusement, on ne peut pas leur offrir des week-ends pour deux personnes… Donc on leur offre des coffrets de parfums, des polos…

Notre premier gagnant, qui avait fait zéro faute, était un détenu qui travaillait pour la bibliothèque installée au sein de la prison. Tous les jours, en plus de travailler, il profitait de l’occasion pour lire des livres.

Vous avez aussi eu l’opportunité de faire des dictées dans des lieux emblématiques, comme le Château de Versailles…
On a réussi à avoir accès à la galerie des Batailles dans le Château. C’était une première dans un lieu historique. Je n’ai pas réalisé sur le coup. Prochainement, on va organiser la dictée au Palais de l’Elysée avec le Président de la République.

La Dictée pour Tous au Château de Versailles – @ladicteepourtous.fr 

…Et aujourd’hui, votre concept s’est même exporté à l’international ?
Après cinq ans de projet, il était temps de voir ailleurs. On s’est dit : « pourquoi ne pas organiser ça dans les pays francophones ? » Dernièrement, on a organisé une dictée au Cameroun avec le chanteur Dadju, dans un orphelinat. Parmi les participants, il y avait des jeunes filles qui étaient très très fortes en orthographe. Malheureusement, l’école là-bas est payante, et elles ne pouvaient pas aspirer à continuer leurs études.

Dadju a fait un don à l’orphelinat et a permis de prendre en charge les denrées alimentaires, les vêtements et certains frais de scolarité de ces étudiantes.

La Dictée pour Tous avec Dadju au Cameroun – @codepukstudio

Et après le Cameroun ?
Le Maroc. On veut faire tous les pays francophones, et certains pays où il y a des expatriés français. Et après, la Lune (rires).

Et au fait, tu es bon en orthographe, toi ?

Moi ? (rires) Pas du tout. Je ne suis bon qu’à organiser des événements !

Pour plus d’informations sur « La Dictée Pour Tous », cliquez ici.

Image à la Une : Abdellah Boudour – @Michela Cuccagna

 

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