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Société

« Pourquoi j’ai signé l’Appel de Calais : parce que c’est juste, nécessaire, et, enfin, parce que c’est efficace » par Geneviève Brisac, écrivain

Ce matin, à l’heure du laitier, on a sonné à ma porte. Une femme m’a tendu un paquet. Je n’aime pas les petites heures du matin, je crains le réveil, quand les cauchemars refusent de lâcher prise, quand résonnent les bruits de bottes, et d’explosion, les vrombissements d’avion, les grondements de train. Mes hantises. Ridicules ? Je ne sais pas.

Je l’ai remerciée, et j’ai poursuivi ma rêverie, en faisant chauffer l’eau du café.
Une rêverie sombre hantée d’images de cohortes humaines sur des routes boueuses, un tumulte et un désordre inquiétants, une rêverie parasitée par l’angoisse de manquer à mes devoirs les plus simples. L’hospitalité, par exemple.
Car parfois il y a des choses que l’on ne peut laisser faire.
Et c’est le cas aujourd’hui, tout simplement.
Ici, à Calais, comme vous savez.
Je songeais à cette phrase d’Emerson : « La plupart des hommes se sont bandé les yeux avec un mouchoir. Aucune de leurs vérités n’est tout à fait vraie. Ce qu’ils appellent deux n’est pas le deux véritable, de même ce qu’ils appellent quatre. Si bien que chaque mot qu’ils prononcent nous chagrine et nous ne savons par où commencer pour les remettre d’aplomb ».
Ce trouble donne à chacun le sentiment d’être inutile, et seul, quand il ne se sent pas carrément abandonné, ou trahi, et constamment sur le qui-vive, menacé de tous côtés par ceux qui auraient plus, qu’on traiterait mieux, qui prendraient on ne sait quelle place.
Bref. J’ai déchiré distraitement l’enveloppe kraft.
Le paquet contenait simplement un livre. Je l’ai ouvert en me servant un café. Des essais de Virginia Woolf.
J’ai ouvert l’ouvrage au hasard. Et une paix étrange m’a envahie.
La force et la clarté de la pensée de Woolf s’insinuaient dans mon cerveau, apaisaient mes nerfs, calmaient ma respiration. Ses phrases sont des instruments de forage de la réalité. Sans une imprécision, sans un cliché. De l’audace à chaque ligne. Avec une stupéfiante capacité d’étonnement et d’empathie démocratique. Qu’elle parle de Montaigne, de la guerre qui vient, ou d’une coopérative d’ouvrières.
Car telle est la force sidérante d’une pensée libre et puissante, et singulière. La force d’une voix.
Les phrases deviennent des outils de paix, et nous remettent debout, et confiants. D’aplomb.
Un texte signé collectivement par des cinéastes indignés peut produire le même effet.
Alors, les mots signés par des dizaines et des dizaines de milliers de gens deviennent une force, nous remettent debout, nous remettent d’aplomb.

Geneviève Brisac

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