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Société
Par Ilyass Malki

« On en est encore là » : une affiche raciste en plein Paris

L'image d'une affiche raciste a beaucoup fait réagir sur les réseaux sociaux depuis le mercredi 20 janvier. Placardé sur la devanture d'une boutique de cosmétiques afro, le message est implacable : les noirs ne seraient pas les bienvenus dans le quartier. Reportage dans le 2ème arrondissement parisien.

La nouvelle boutique Colorful Black est à l’angle de la rue des Jeuneurs et de la rue Poissonnière, dans le 2ème arrondissement de Paris. À quelques mètres, l’ancien local, à peine plus large qu’une petite voiture, affiche toujours les couleurs de l’enseigne. Anne-Marie Mendy, ou « Anna », et Frédéric son compagnon l’ont ouvert il y a 6 ans. La semaine dernière, ils inauguraient le nouveau magasin, beaucoup plus grand, plus spacieux, pour répondre à la demande des clients. Ici, on vend des produits cosmétiques pour peaux noires et cheveux crépus. Beaucoup de produits importés directement des États-Unis, où ces gammes sont plus facilement disponibles. Le créneau est encore peu exploité en France, et des enseignes comme Colorful Black attirent la clientèle.

Mercredi matin, une employée de la boutique vient ouvrir. Sur la devanture, une affiche a été placardée, avec en bas de page, mis en évidence : « Vous êtes là mais vous n’êtes pas les bienvenus ».

Le message est clair : « Nous ne voulons ici pas de boutique AFRO de vente de cheveux en plastique ». Quand Anna arrive, son premier réflexe est de déchirer la feuille. Mais la gérante n’est pas vraiment surprise. « Frédéric et l’employée étaient choqués, mais moi ça ne m’étonne pas, dit-elle en haussant les épaules. C’est triste parce qu’on est en 2016… Mais le racisme n’est pas fini ».

Bonjour Pour info, voici ce que j’ai trouvé placardé ce matin sur les portes de ma boutique, 7 rue Poissonnière 75002 PARIS… J’étais scotchée pour ne pas dire plus… Wahoo, nous sommes en 2016 ! Je ne suis pas naïve, je sais qu’il y a encore des racistes ! Dans cette lettre, il (ou elle) parle de boutique afro qui vendrait des cheveux en plastique. Pourtant il n’y a aucune extension de cheveux dans cette boutique… mais ça viendra (avec des mèches de top qualité) 😉 Il n’ose même pas dire le fond de sa pensée car c’est l’enseigne Colorful BLACK qui dérange… Eh bien oui, ma boutique a été créée pour permettre à la communauté BLACK d’accéder à des produits adaptés à ses besoins. Ceci dans un quartier agréable, au coeur de Paris. J’assume et je revendique mon choix !!! Merci de partager 🙂 Anna #colorfulblack #raciste #racisme #racism #sosracisme #7ruepoissonniere #betisehumaine

A photo posted by Colorful Black (@colorfulblack_paris) on

Le couple mixte a l’habitude des discriminations. Anna et Frédéric élèvent leurs enfants dans le 95. « Je leur apprends à être fiers de leurs cheveux, de leur couleur. Mais je vois la différence de traitement, quand on va en voyage par exemple » raconte la mère. Anna a l’air las, comme trop habituée au racisme. Elle le vit au quotidien. Mais c’est la première fois qu’il vient le rattraper sur son lieu de travail.

« Ça fait six ans qu’on est dans le quartier. C’est la première fois qu’une chose pareille nous arrive » explique Anne-Marie Mendy.

« Mes clients ne viennent pas danser ou crier dans la rue devant la magasin, poursuit-elle un peu agacée. Je sais très bien que c’est l’enseigne qui les dérange, si on l’enlevait, on serait juste un magasin de cosmétique comme les autres. Mais je suis fière de ce que je vends ». La patronne dit en avoir vu des « voyous » dans sa vie. Elle les croise encore là où elle vit. Mais jamais ici. « Je n’ai rien contre les quartiers cités, mais ici il n’y a pas de racoleurs, c’est calme, c’est aussi ça que viennent chercher mes clients ».

Anna Mendy qui tient dans la main ce qu'il reste de l'affiche.

Anna Mendy qui tient dans la main ce qu’il reste de l’affiche. Crédit : Rafi El Watik.

Un peu plus haut dans la rue, on entend des enfants jouer dans une cour d’école. Les quelques rues du quartier, un peu cachées derrière le Grand Rex, sont calmes. Le 2ème arrondissement est pourtant très actif. Entre le boulevard de Bonne Nouvelle et la rue Réaumur, Colorful Black est installé dans une petite pente sans trop de passage.

Une rue fréquentée du quartier.

Une rue fréquentée du quartier. Crédit : Rafi El Watik.

Le quartier a longtemps été textile, comme en témoignent les nombreuses boutiques de tissus et de vêtements. Eddy, un commerçant installé depuis 32 ans, est toujours perplexe. « J’ai vu [Anna] nettoyer les traces de l’affiche, j’ai été vraiment très surpris. On a jamais eu de problèmes de racisme ». Pour le vendeur de tissus, le coin a changé : « Ça devient un peu plus bobo, maintenant, il y a plus d’habitations que de commerce ». À quelques mètres de sa boutique, un restaurateur propose des bagels gourmets. Il est midi et quelques, c’est l’heure de la pause déjeuner et les employés défilent. Pour Aude, qui travaille dans le secteur, l’acte perpétré sur la vitrine de Colorful Black est « inexplicable ».

De l’avis général, l’acte est isolé, et les tensions entre communauté fantasmées.

Le quartier est cosmopolite, pas envahi. Par la force des choses, différentes communautés se croisent et cohabitent, dans un arrondissement qui concentre plus de 22 000 habitants. Dans un communiqué, le maire du secteur, Jacques Boutault déclare : « Je tiens à dire aux gérants et clients de Colorful Black qu’ils sont, évidemment, les bienvenus. Ce qui ne l’est pas dans cet arrondissement, comme partout ailleurs, c’est le racisme et la malveillance ».

Comment alors expliquer un tel acte ? La réaction de soutien des réseaux sociaux touche Anna Mendy, au même titre que celle des commerçants et voisins : « Ils viennent me soutenir, ça me fait vraiment plaisir ». Dans le 2ème arrondissement comme ailleurs, le racisme s’affiche rarement dans les rues. Ce geste fait l’effet d’une douloureuse piqure de rappel. Comme le déplore la gérante : « On en est encore là ». Se balader dans les ruelles aux alentours peut rassurer. Les passants ont l’air trop pressés pour se détester. Toutes les couleurs foulent le pavé. Un homme rajuste son turban et enfourche un scooter, à quelques mètres d’un restaurant kasher dont la porte ouverte laisse passer deux hommes en kippa. Une femme voilée flâne. Tout a l’air calme, le travail va reprendre. Mais les apparences ne disent rien. L’affiche a été déchirée. Les mots, eux, restent en mémoire.

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