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Société
Par Jalal Kahlioui

Moussa : « Ma libération n’est qu’une question de temps »

Moussa Ibn Yacoub est toujours bloqué au Bangladesh. Suite à sa libération conditionnelle survenue en mars dernier après plus de deux mois de détention à la prison de Cox's Bazar, l'humanitaire français n'est toujours pas autorisé à quitter le pays dans lequel il était parti effectuer une mission de repérage, pour l'ONG Barakacity, afin d'aider la communauté musulmane des Rohingyas. Moussa s'est vu incarcéré le 22 décembre 2015 pour "activités suspectes en lien avec le terrorisme". Pour Clique, l'humanitaire revient sur les conditions de son séjour au Bangladesh, l'avancée de son combat judiciaire, ainsi que son nouveau projet socio-éducatif Bani Street.

La première question que l’on a envie de vous poser : comment est-ce que vous tenez le coup ? 
Je ne suis plus au stade de me demander si je vais tenir ou pas. Dans ma tête, j’ai passé tous ces stades, en terme de patience, par rapport à ce qui m’arrivait. Le fait de me donner de nouveaux objectifs me permet de passer outre toute cette histoire. Par exemple, lorsque mon audience du 20 juin a été reportée au 24 juillet prochain, j’ai préféré me dire que cela me laissait du temps sur mon nouveau projet ici, au lieu de me lamenter.

Où en êtes-vous dans votre combat judiciaire ? 
La prochaine audience aura lieu le 24 juillet, et j’espère qu’elle sera décisive. Ce que j’attends depuis le départ, c’est que mon cas soit traité à la cour d’appel située à Dacca, la capitale. Je me trouve actuellement à Cox’s Bazar, et c’est ici que toute la procédure a été effectuée après mon arrestation à Teknaf. Je sais qu’il y a eu une volonté de me laisser à Cox’s Bazar le plus longtemps possible. C’est la raison pour laquelle je dois faire face à un report d’audience à chaque fois que je dois me présenter devant la justice. Et cette situation dure depuis quatre mois. Une fois cette audience du 24 juillet passée, je pourrai plaider mon cas à la cour d’appel où je suis persuadé que l’issue me sera favorable.

Comment s’est passée votre arrestation ? 
Lors de ce voyage, je n’avais pas de mission définie, je suis venu ici en tant que simple observateur. Juste avant d’arriver au Bangladesh, j’étais en Birmanie pour des raisons humanitaires. Depuis ma venue au Bangladesh, j’avais déjà visité cinq écoles avec une forte concentration d’enfants issus de la communauté des Rohingyas (une communauté musulmane qui fuit les persécutions qu’elle subit en Birmanie et dont une partie s’est exilée au Bangladesh, NDLR). Lorsque j’ai été contrôlé à Teknaf, les documents, les doléances, les autorisations des écoles portaient mon prénom musulman qui n’est pas le même que celui inscrit sur mon passeport (Moussa Ibn Yacoub est le nom musulman que s’est choisi l’humanitaire, différent de celui inscrit sur ses documents d’identité : Puemo Maxime Tchantchuin, NDLR). S’est ajouté à cela le fait que j’avais des documents birmans issus de mon voyage. C’est ce qui a amené les autorités à faire un raccourci sur mes activités les considérant comme ‘suspectes’, du fait du choix des écoles visitées, et de l’usage de mon nom musulman présent sur ces documents. Des éléments qui ont suffi à ouvrir une enquête à mon encontre.

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez compris que vous étiez incarcéré pour un moment ? 
Une fois en prison à Cox’s Bazar, j’ai été présenté devant le chef de l’établissement qui m’a communiqué ma ‘courte date’, qui correspond à la date du jugement. Et le chef m’a annoncé la date du 15 janvier, alors qu’on était le 22 décembre.

Pour moi c’était la descente aux enfers. Jusqu’à ce mon ambassade me contacte, ça a vraiment été l’horreur. Le jour même on m’a envoyé en isolement, c’était mes premiers pas en prison.

Les détenus ne parlaient pas anglais, le personnel de la prison non plus, je n’avais aucun dialogue avec personne. Le fait est que je suis noir, et donc tout le monde me regardait, en même temps je ne pouvais pas m’exprimer, c’était une situation très lourde, très dure, jusqu’à ce que je prenne contact avec l’ambassade.

Comment avez-vous appris la mobilisation citoyenne en France autour de votre histoire ? 
C’est d’abord un Anglais, qui sortait de nulle part, qui est venu me rendre visite au parloir. Et dans ce parloir bruyant de la prison de Cox’s Bazar, il m’annonce en larmes qu’il y’ a une mobilisation en France pour moi. C’était quelques jours après mon incarcération. Le même jour les représentants de l’ambassade de France m’ont communiqué les chiffres de la mobilisation, mais je n’arrivais pas à réaliser. Ce n’est que quelques jours après, une fois après avoir revu cet anglais au tribunal que j’ai réalisé l’ampleur du phénomène, après qu’il m’ait expliqué concrètement ce qu’il se passait.

Avez-vous été surpris par cette élan de solidarité ? 

Quand j’ai compris, je me suis dit ‘Woah’. En prison je me sentais comme Malcom X ou Nelson Mandela (rires). Mais je n’ai jamais vraiment pu matérialiser cette mobilisation.

Bien sur, en prison cela m’a fait un bien fou, mais le quotidien de la prison me rattrapait et surtout c’était dur de mettre des images sur ce qui se passait en France. Quand mon frère est venu me rendre visite au mois de février dernier, il m’a tout expliqué : la pétition, ma photo à la mairie … Presqu’un mois et demi après mon emprisonnement.

Nekfeu avait même dit lors des dernières Victoires de la Musique « Prenez Marine Le Pen et libérez Moussa »
J’ai presque eu des larmes de joie lorsqu’on me l’a annoncé. C’est vraiment là que j’ai compris que la mobilisation était dingue. Ce sont les membres de l’ambassade de France qui m’avaient annoncé ce que Nekfeu avait fait, même si j’étais encore loin, j’étais encore à l’isolement.

Nekfeu, en plus, rappeur reconnu, le rappeur de la jeunesse… J’étais euphorique, j’ai crié de joie un peu partout ! Ça m’a fait vraiment beaucoup de bien.

J’aimerais le remercier parce qu’il a valorisé et donné de la force à mon combat. Le fait qu’il vienne d’un univers complètement différent du mien a permis d’ouvrir complètement le débat et le combat. Pas tout le monde n’aurait été prêt à prendre ce risque là.


Nekfeu, lors des dernières Victoires de la Musique, avait dédié quelques mots à l’humanitaire.

Est-ce que vous comprenez le fait que certains ont été frileux en évoquant votre histoire ? 
En France, c’est normal, vu le climat dans lequel on est actuellement.

Je comprends cette frilosité, c’est toujours triste quand elle vous arrive. Mais il faut comprendre, il ne faut pas jouer au naïf. C’est une situation que je comprends parfaitement.

En ce qui me concerne, très vite on aurait pu cerner mon profil en tant qu’humanitaire, même si ce statut n’est pas forcément gage d’innocence. L’étape de doute est compréhensible du fait du contexte, mais cette étape là ne doit pas durer éternellement.

Avez-vous de l’espoir quant à votre retour en France ? 
Je pense que ma libération n’est qu’une question de temps, que ce soit dans un mois, dans deux mois ou plus. Après l’échéance du 24 juillet, avec l’ambassade, nous avons bon espoir de transférer mon cas devant la cour d’appel. Ce n’est qu’une question de temps. Mais d’un autre côté je suis tiraillé, avec mon nouveau projet humanitaire : Bani Street. C’est un peu la course contre la montre. J’ai même envie que le temps se rallonge.

Avant mon incarcération, j’avais déjà visité cinq écoles dans ma mission d’observation. Après ma détention, j’ai fait la rencontre des enfants qui vivaient près de chez moi mais je n’imaginais pas pouvoir les aider directement compte tenu de ma situation. Puis progressivement des liens se sont tissés avec eux et de fil en aiguille je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose.

Dans ces reports d’audience vous avez vu une chance de continuer un nouveau projet humanitaire…
Parfois, avec le recul, je me dis ‘mais pourquoi ai-je mis autant de temps à faire ce que je suis en train de faire’ car maintenant je me dis que chaque minute de chaque de chaque jour est précieuse. Il faut collecter de l’argent car c’est le nerf de la guerre, il faut aussi commencer à tout mettre en place, que ce soit en termes de structures mais aussi en termes de personnel. Je sais que je ne serai pas là indéfiniment. Car tant que je serai ici, le projet avancera comme je le veux. Cela demande une organisation qui prend du temps et de la rigueur que je me dois d’apporter.

Quel est l’objectif de Bani Street ? 
Créer un centre dans lequel ils rentreraient le plus vite possible pour les éloigner de la rue et de la mendicité. Le projet se veut ambitieux. Dans l’immédiat, on veut une réinsertion pour les sortir de la rue le plus vite possible, pour leur permettre de repartir de zéro. La deuxième étape s’articulera autour d’un processus d’éducation, car la plupart n’ont pas la chance d’être scolarisé. On aimerait pouvoir suivre ces enfants le plus longtemps possible, leur permettre d’accéder aux études supérieures.

Comment s’est créé ce projet ? 
L’humanitaire fait partie de mon ADN, et de ce fait je suis toujours à la recherche de nouveaux projets et de nouveaux objectifs. À l’origine j’étais venu au Bangladesh pour mesurer les besoins des Rohingyas et notamment les réfugiés dans les camps. J’ai voulu aller plus loin et faire plus que donner ce que j’avais l’habitude de donner. Et c’est allé très vite, notamment grâce à l’association avec laquelle j’étais sur place, qui dispose d’une structure adaptée pour les accueillir et les éloigner de la rue, c’est comme ça que le projet est né. Ce qu’il faut savoir c’est que malheureusement leurs parents vivent de cette mendicité, et c’est très difficile de sortir les enfants de cette situation. C’est très compliqué d’avoir l’accord des parents pour inscrire leurs enfants dans le type de structure que l’on propose. Le but pour nous n’est pas de tout chambouler, il faut leur laisser le temps de la réflexion et garder un très bon contact avec les familles.


Dans cette vidéo de présentation, Moussa présente son nouveau projet Bani Street, pour extirper les enfants des rues.

Est-ce que vous avez rencontré des difficultés à mener votre combat du fait de votre image au Bangladesh après votre détention ? 
À vrai dire je ne leur en parlais pas. Ces populations sont loin de tout ça. Il est peut être arrivé qu’une ou deux familles soient au courant de mon actualité. Mais mon histoire, au regard de leurs conditions de vie, les dépasse totalement. Ils passent outre ce que je peux être ou représenter. Certains enfants mendient depuis leur plus jeune âge, et beaucoup d’entre eux sont méfiants à l’égard de ceux qui souhaitent changer leur situation même si c’est pour améliorer leur sort. Le fait d’être encadré dans un centre, qui prendra la forme d’un internat, est source d’appréhension pour eux. Il y’a beaucoup de trafic humain ici, et les enfants sont des proies potentielles. Et de fait la peur du kidnapping est très présente.

Qu’est-ce que vous retiendrez de ce séjour hors-normes au Bangladesh? 
Je me dit que j’avais besoin de le vivre pour faire ce que je suis en train de faire aujourd’hui. Parfois on se sent prêt a accomplir certaines choses, mais en réalité on ne l’est pas réellement.

On dit souvent ‘ce qui ne tue pas, rend plus fort’. Cette phrase veut dire beaucoup de choses pour moi. J’étais venu faire un projet educatif pour les enfants, je n’ai pas pu le faire, je suis parti en prison, j’en suis ressorti, et je me retrouve aujourd’hui à enfin faire ce pourquoi j’étais venu ici.

Photographie à la Une © Page Facebook Free Moussa

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