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Cinéma

« L’Enfant du Paradis est une déclaration d’amour au cinéma » Rencontre avec l’acteur-réalisateur Salim Kechiouche

Connu pour ses rôles dans La Vie d’Adèle, Mektoub, my love ou encore la série Braqueurs, Salim Kechiouche passe derrière la caméra pour la première fois dans son nouveau film L’Enfant du paradis. À la fois acteur et réalisateur, l’artiste signe une œuvre touchante fortement inspirée de récits personnels, mais également le film le moins coûteux de cette année. Interview avec un acteur-réalisateur qui a su placer la sincérité au-delà du reste.

Comment allez-vous depuis que votre film est sorti ? 

Depuis que le film est sorti je reçois beaucoup d’amour. Quand j’ai fait ce film, j’ai donné beaucoup de ma personne, de mon énergie et l’équipe aussi, il n’y a pas que moi. Je l’ai fait avec une grande sincérité et je la reçoit du public en retour. C’est extraordinaire parce que je ne savais pas que ça allait toucher les gens comme ça, les faire réagir de la sorte. Ça fait un bien extrême parce qu’au-delà du côté gratifiant, le fait de ressentir des émotions avec les gens, c’est magnifique. C’est ça le cinéma, s’enfermer tous ensemble dans une salle obscure et ressentir des émotions ensemble. 

Parlons d’abord de vous, d’où venez-vous et comment avez-vous commencé dans le théâtre puis le cinéma ?

En vérité j’ai commencé par le cinéma, j’ai grandi à Vaulx-en-Velin à côté de Lyon. C’est la cité où il y a eu les premières émeutes en France, hélas parce que la police avait heurté un jeune en moto, c’était en 1999 et j’avais dix ans. C’est aussi la cité où j’ai pu m’épanouir, j’ai pu faire de la boxe, faire mes études, ça m’a nourri de grandir là-bas. Mais à un moment donné, il a fallu que je bouge et que je fasse autre chose, j’avais besoin d’air, de liberté. J’avais déjà commencé à faire une école de théâtre à Lyon, j’ai fait aussi mes classes sportives et j’ai été champion de France de kick-boxing à la fin des années 90, début des années 2000. Puis, j’ai été repéré par un réalisateur qui venait de la même région que moi, Gaël Morel, il m’a proposé un rôle dans son film, j’avais 13 ans. Il a vu en moi cette petite envie, cette petite lueur d’espoir. J’avais un peu un côté amoureux de la caméra et j’avais la chance de pouvoir être naturel. Il y a des gens, ils l’ont ou ne l’ont pas et quand on décèle ça chez quelqu’un, on a envie de le filmer. 

« C’est un cinéma qui parle de sincérité, de vérité, où l’on n’a pas envie de sentir les dialogues, où ça joue juste. »

Vous avez tourné dans des films tels que La vie d’Adèle, Mektoub my love, puis des séries comme Lupin, Engrenages. Comment ces expériences ont nourri votre art ? 

Déjà notre art c’est quelque chose qu’on travaille, qu’on aiguise au fur et à mesure des rencontres et des expériences. Ça m’a appris ce que je voulais faire et ce que je ne voulais pas faire. Dans ce que je veux faire, il y a une mouvance à laquelle j’avais envie d’adhérer qui est la mouvance naturaliste et réaliste. Je m’inspire de réalisateurs tels que John Cassavetes, Maurice Pialat ou tout récemment, Maïwenn. C’est un cinéma qui parle de sincérité, de vérité, où l’on n’a pas envie de sentir les dialogues, où ça joue juste, où on sent une liberté de cadre avec une caméra qui se ballade avec les acteurs qui sont libres et en même temps dirigés dans la bonne direction. 

Dans L’Enfant du paradis, vous êtes acteur-réalisateur. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer derrière la caméra ?

Depuis tout petit, j’avais envie de réaliser, mon père m’avait acheté un caméscope, l’image m’a fasciné et je m’amusais à faire des films avec mes copains et mon petit frère. Ma passion première, c’était de réaliser, j’ai commencé par être acteur parce qu’on m’a repéré lors d’un casting sauvage. De fil en aiguille, je me suis pris au jeu d’acteur et je m’amusais bien à faire ce métier, tout en ayant l’envie de vouloir faire un film un jour. Le seul truc qui était différent, c’était la temporalité. Pour réaliser un film, il faut de l’écriture et du développement, je n’avais pas ce temps quand j’étais plus jeune. J’avais besoin de travailler et je me disais qu’en faisant l’acteur, je pouvais en même temps apprendre le métier et gagner ma vie parce que je venais sur Paris, il fallait que je paye un loyer et que je continue à bosser.

« Ça ne me dérangeait pas de ne pas être payé pour jouer dans mon propre film. »

J’ai lu qu’à l’origine vous n’étiez pas censé jouer dedans, qu’est-ce qui vous a décidé ?

C’est inspiré de l’histoire de mon meilleur ami, Yasmine Belmadi, qui a eu un accident de scooter après une fête de fin de tournage. Je tiens à préciser que c’est vraiment une inspiration, ce n’est pas une biographie, mais une autofiction parce que j’ai mis beaucoup de moi et de ma personne. À la base, je ne pensais pas jouer dedans, mais par la suite, je me suis rendu compte que c’est la chose la plus simple à faire parce que ça me faisait gagner du temps. La deuxième chose, c’est que le budget minimaliste du film me permettait d’économiser. Ce n’est pas que mon travail ne mérite pas salaire, mais ça ne me dérangeait pas de ne pas être payé pour jouer dans mon propre film. J’ai préféré investir sur moi et m’investir dans la fabrication du film, être impliqué à 200%.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire L’Enfant du paradis ? Pourquoi le film s’appelle-t-il ainsi ?

J’avais envie de raconter l’histoire d’un acteur qui me ressemble même si ce n’est pas une autobiographie, j’ai pris beaucoup d’éléments personnels, notamment des films de famille. C’était un hommage à maman parce que j’ai perdu ma mère et mon ami (ndlr : Yasmine Belmadi) a perdu la sienne. J’ai mis ma mère dans un film, pour moi c’était le plus bel hommage que je puisse lui faire. Il y avait beaucoup de charge affective dans ce projet. Concernant le titre L’Enfant du paradis, il y avait un rapport avec l’au-delà parce qu’on espère que les gens qu’on aime sont au paradis. Il y avait aussi un rapport avec Les enfants du Paradis de Marcel Carné, c’est un chef d’œuvre, c’était le film préféré de mon défunt ami. De plus, en faisant des recherches, je me suis rendu compte que “le paradis” c’était le nom de l’endroit où les personnes qui avaient peu d’argent pour s’acheter un ticket étaient placées à l’époque dans les théâtres. Je trouvais ça beau parce que dans mon film, le personnage principal vient d’un milieu modeste et est acteur.

« Ayant grandi dans une cité, étant d’origine maghrébine, on a toujours été habitué à en faire dix fois plus »

Quelle est la charge de travail lorsque l’on joue dans son propre film ? 

C’est énorme. Je ne me rendais pas compte que c’était aussi gros que ça, et même jusqu’aujourd’hui, pour la promotion et le reste. Quand on part avec ce genre de film guérilla et fait un peu à l’arrache, sans autorisation et avec une petite équipe, il faut fournir dix fois plus de travail. Ayant grandi dans une cité, étant d’origine maghrébine, on a toujours été habitué à en faire dix fois plus, je me suis dit que toute notre vie on allait devoir en faire plus que les autres. Et là, il fallait que j’en fasse vingt fois plus pour viser l’excellence, pour faire un film de qualité malgré le fait qu’on partait bien derrière les autres. Ce qui est génial aujourd’hui, c’est qu’on arrive à montrer qu’avec moins de moyens, mais avec plus d’envie, plus de sincérité et de volonté, on arrive à faire aussi bien. J’étais aussi beaucoup plus dur avec moi-même au niveau du jeu, de la rigueur, de la ponctualité, de l’organisation des costumes. C’est un travail de longue haleine, on se bat pour la course aux César parce qu’on est éligible à toutes les catégories, notamment le « meilleur premier film », je pense sincèrement qu’on a nos chances. On va se battre pour être représenté, le tout, c’est d’être vu étant donné qu’on n’a pas la force de frappe des grosses machines, des gros distributeurs, des grosses productions, on n’est pas dans les radars. Et là, le fait de faire une interview pour Clique par exemple, ça permet d’être vu. On ne demande pas un traitement de faveur, mais je demande au moins que l’on voie mon film et qu’on me donne la chance de pouvoir concourir comme les autres. 

« On est le film le moins coûteux de l’année, mais proportionnellement à ça, on a la meilleure presse. »

J’ai lu que c’était le film le moins cher de l’année. De quelle manière on s’organise pour tourner un film comme ça ?

On était trois personnes à investir de l’argent, notamment un producteur qui a permis que le film soit fait dans les clous, et de payer les gens. Tous les acteurs qui sont venus, ce sont des acteurs que j’admire, ce sont des amis qui sont venus pour moi mais aussi parce qu’ils adhèrent au projet. Ils sont venus en faisant un effort, en étant payés de manière très symbolique pour donner de la force au film. Les techniciens étaient très forts parce que l’équipe était toute petite. On tournait dans Paris, des fois on n’avait pas d’autorisation, du coup il ne fallait pas qu’on se fasse attraper par la police parce qu’on n’avait pas le droit de tourner à Montmartre. On leur disait que c’était un film étudiant, on trouvait des feintes pour diminuer les coûts du film. J’ai plein de potes dans Paris qui m’ont prêté des lieux, des boîtes de nuit, des salles de concert. Donc, le film quand on le voit, il ne fait pas du tout cheap. On se dit qu’il y a du budget, mais on s’est juste mis en immersion dans la réalité et du coup on a l’impression qu’il y a des bêtes de décors, qu’il y a beaucoup de figurants, alors qu’on s’est juste débrouillé avec le système D qu’on a l’habitude d’utiliser depuis qu’on est petits. On est le film le moins coûteux de l’année, mais proportionnellement à ça, on a la meilleure presse.

« C’est ça qui est beau, c’est que les gens ne savent plus si c’est de la fiction ou de la réalité. »

Le film est ponctué d’archives familiales, j’ai appris qu’il s’agissait des vôtres. Pourquoi ce choix ?

Comme je voulais faire une autofiction, je trouve que les images d’archives ancrent les personnages dans le réel, elles apportent aussi quelque chose de mélancolique et de nostalgique, comme des souvenirs. Ça ancre le film dans quelque chose de réel, on m’a même demandé si ces images d’archives n’étaient pas fabriquées. C’est ça qui est beau, c’est que les gens ne savent plus si c’est de la fiction ou de la réalité. Comme ça, l’histoire n’appartient plus seulement à moi, mais aussi au public. Cette histoire est très proche de la mienne puisque ce sont mes propres histoires de famille, le personnage c’est un peu moi et un peu mon meilleur ami. Malgré le côté très personnel, les gens se sentent touchés et ressentent les émotions au plus proche de ce que je voulais transmettre. 

Quel est le rapport de Yazid, le personnage principal, avec les autres ? 

Yazid tente de leur montrer qu’il a changé, que c’est un autre homme. C’est très difficile parce que quand les gens nous ont connu d’une certaine manière, que ce soit nos proches ou notre famille, c’est compliqué de leur dire qu’on a changé, qu’on a évolué et qu’on a appris de la vie, de nos expériences, que l’on peut être quelqu’un d’autre. Je me rends compte que c’est compliqué de faire comprendre aux autres qu’on peut changer.

« Ce film est une déclaration d’amour au cinéma. »

C’est quoi le secret pour bénéficier d’autant de retombées avec un film qui dispose de peu de moyens ? 

Le secret c’est de donner de la sincérité à 100%, de se donner à 100% dans le jeu, il n’y a pas de fausses notes. Les acteurs sont tous vrais, il n’y a pas un moment où on se dit “ça joue faux” ou “ils ont fait ça que pour l’oseille”. C’est un film qu’on a fait avec le cœur, avec passion, c’est une déclaration d’amour au cinéma. C’était pour montrer qu’on est capable nous aussi de faire des films, de transmettre des émotions et de faire quelque chose d’universel. En faisant quelque chose de très précis, très détaillé, on touche à l’universel parce qu’on touche l’humanité, l’humanisme. C’est un film qui est vraiment humaniste dans sa profondeur et je pense que c’est ça qui touche finalement. On peut avoir un film qui a un gros budget avec des gros effets spéciaux, une maîtrise technique irréprochable et finalement, il n’y a pas de sentiment et d’émotions qui passent. Maintenant, il y a moyen aussi de faire des choses comme ça et ça donne beaucoup d’espoir à la jeunesse de pouvoir fabriquer leur propre contenu. On le voit avec Internet, les portables, les jeunes commencent vraiment à s’exprimer à travers les réseaux sociaux. J’ai aussi surfé sur ça pour montrer qu’on était capable de le faire. 

Pourquoi était-il important d’aborder le sujet des transfuges de classe dans le film ?

Je l’ai vécu. On n’a pas les codes, on arrive dans un milieu, et on peut nous exclure. On est toujours obligé de s’adapter aux situations, de montrer patte blanche, qu’on est gentil, intelligent et au bout d’un moment, c’est fatigant. Je voulais montrer ça dans le film, et c’est pour ça que c’était intéressant de mettre en exergue les transfuges de classe, les couples mixtes, parce que sinon c’est trop facile de montrer des couples qui sont tous d’accord et qui viennent de la même origine. Là, je voulais créer des différences dans le film pour les exploiter et les montrer de manière positive. C’est pas du tout une critique, je voulais montrer que même avec les différences, on se ressemble. On est tous des êtres humains, on a des sentiments, on a perdu des gens dans nos familles, on essaye de réussir, on essaye de se battre, on a nos problèmes, on a nos vieux démons, on a nos addictions et à la fin, c’est ce qui rend tout le monde humain. Aujourd’hui, on essaye de nous vendre uniquement la différence, ça me rend fou. Je veux montrer qu’il y a beaucoup de choses qui nous unissent et que c’est l’amour qui peut nous sauver face à toute cette haine, je le pense réellement. Il faut aussi s’accepter, croire en soi. Au lieu de renvoyer de la haine à la haine, il faut renvoyer quelque chose de positif et bienveillant. Je ne dis pas qu’il ne faut pas se laisser faire, mais je dis qu’il faut être soi-même et heureux de soi-même, ce qu’on est, c’est une force, si nos parents et nos grands-parents viennent d’ailleurs et si on est là tous ensemble, c’est pour montrer que l’on peut vivre ensemble. Tout ce qu’on nous renvoie dans les médias, c’est de la manipulation, il ne faut pas se laisser faire. 

« Si nous on ne croit pas en nous, il n’y a personne qui va croire en nous à notre place. »

Le monstre auquel Yazid doit faire face c’est aussi la peur du succès. Pourquoi vouloir en parler ?

C’est difficile, on a été élevé comme ça, on a toujours tendance à se voir comme on était et à se rapprocher des gens qui sont comme nous, comme Yazid. C’est comme si on voulait s’auto-saboter parce qu’on ne se donne pas le droit de réussir parce qu’on nous a tout le temps mis dans la tête qu’on n’y avait pas le droit, c’est des trucs qui viennent de génération en génération. En fait, on fait comme si on n’avait pas le droit de réussir et même aujourd’hui en faisant un film comme ça, je me rends compte que simplement pour être vu, c’est très très difficile. Je le sais car on part dans la course pour les César, les prix de la critique et à chaque fois, c’est une bataille juste pour leur demander une chance de voir le film, une chance d’aller en festival, c’est très difficile de ne serait-ce qu’exister. Ce sont des choses que moi-même j’ai pu ressentir, sur tel évènement où je me suis auto-saboté, si nous on ne croit pas en nous, il n’y a personne qui va croire en nous à notre place. Parfois, j’ai même envie de remercier les gens qui n’ont pas cru en moi et qui ne croient pas en moi parce qu’ils m’ont donné de la force. Si on arrive à faire de la force avec ces choses négatives, on va tout gagner, alors que si on se laisse bouffer, c’est très difficile parce qu’on part de vachement loin pour y arriver. 

Que diriez-vous pour nous donner envie d’aller voir le film ? 

Je vous dirais que de toutes les projections qu’on a fait en avant-première, il en est ressorti beaucoup d’émotions, de sensations fortes, beaucoup de rires aussi. C’est un film où on rigole, on pleure et où on passe un moment intense.

L’Enfant du paradis de Salim Kechiouche est actuellement en salles.

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