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Société
Par Noé Michalon

Le Red Star, le dernier rempart des clubs de foot populaires

Véritable OVNI dans le football français, le Red Star est un des rares clubs à bénéficier d'un soutien sans faille d'un public aussi engagé sportivement et politiquement. Son caractère bien trempé et sa culture imprégnant le 93 tout entier survivront-ils à une montée en Ligue 2 ?

La pelouse synthétique du vieux Stade Bauer fait miroiter la brume du soir de ce début de printemps. Au programme : Red Star – Bourg Péronnas. La tribune principale, la seule ouverte, est pleine à craquer, comme d’hab. Des slogans singuliers sont scandés : « Qui ne saute pas est policier ! » ; « Flic, arbitre ou militaire ! Mais qu’est-ce qu’on ne fait pas pour un salaire ? ». Bienvenue au Red Star, club emblématique de Saint Ouen, au passé communiste et au présent antifasciste, actuellement en National (3ème division) mais peut-être plus pour  très longtemps.

Le club gagne finalement 2-1 dans la joie partagée. Les quelques centaines de spectateurs tiennent à saluer un à un les joueurs qui se présentent à eux depuis le poteau de corner, avant de quitter l’enceinte en se frictionnant les bras. Quelques noms ont de quoi rappeler des souvenirs aux assidus de la Ligue 1. Hammeur Bouazza, David Bellion ou Vincent Planté : tous quitté l’élite pour rejoindre le plus connu des clubs méconnus, et ne diraient peut-être pas non à un retour sous les projecteurs du professionnalisme.

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Un club historique :

Après quinze ans d’errance dans les divisions inférieures, le club à l’étoile rouge est plus proche que jamais de retrouver l’élite. Leaders du championnat avec sept points d’avance sur le quatrième, ça sent bon la Ligue 2. Encore quelques victoires, et l’équipe audonienne écrira un nouveau chapitre de sa longue histoire.

Ce que l’on oublie souvent, c’est que le Paris Saint Germain n’est le principal club de la capitale que depuis les années 1970, peu après sa création. Son hégémonie sur la région parisienne est relativement récente à l’échelle du bon siècle d’âge de notre football national. Mais lors des premiers pas derrière le ballon rond dans l’hexagone, c’est ce cher Red Star qui en met plein la vue. Fondé par Jules Rimet, amoureux du sport qui deviendra président de la FIFA et créera la Coupe du Monde de foot (carrément), le club francilien brille dans les années 1920 en remportant quatre Coupes de France en sept ans, puis une cinquième en 1942.

À cette époque, Saint Ouen est déjà un bastion ouvrier depuis la révolution industrielle. Les premiers maires de la ville sont communistes, et le seront jusqu’en 2014. Le Red Star n’échappe pas lui-même à cette coloration politique : s’il conserve l’humanisme revendiqué de ses fondateurs, il verse peu à peu dans l’anticléricalisme et l’antimilitarisme, encore présents à travers les slogans des supporters contemporains. « Je viens ici depuis un demi-siècle et je n’ai pas l’impression que les chants aient changé, c’est toujours une ambiance unique, ici. On a un vrai stade à l’anglaise, avec les supporters tout proches des joueurs », se souvient Luc Balbont, supporter historique qui a vu son club fétiche passer par toutes les situations, des crises aux montées euphoriques en deuxième division.

Véritable icône posthume qui donnera son nom à l’une des tribunes, le joueur italien Rino Della Negra fait partie des résistants communistes exécutés par les Nazis durant la seconde guerre mondiale. Son assassinat est encore commémoré chaque année par les plus fidèles du Red Star, qui sont aussi inconsolables de la tristement célèbre mort d’un des leurs, Clément Méric, en juin 2013. Quant au docteur Jean-Claude Bauer, qui donne le nom à la rue et à son stade, il est aussi communiste et résistant, également fusillé par les nazis en 1942, et reste aussi populaire dans l’image du club.

rdn-389af4f-3Source : Collectif Red Star Bauer.

Cet engagement des joueurs et des amoureux du club passe par de nombreux gestes solidaires. Le Collectif Red Star Bauer, qui rassemble des supporters attachés à la promotion de leur équipe et de son stade historique, procède à des collectes pour les Restos du cœur, le Secours Populaire ou plus largement divers projets associatifs.

20150417_201156L’annonce distribuée vendredi dernier avant la victoire (2-1) contre Avranches.

Par amour pour Bauer

Le club vert et rouge joue presque sans interruption dans ce même Stade Bauer depuis sa construction au début du XXème siècle. Après la Seconde Guerre Mondiale, l’équipe de Saint Ouen connaîtra un déclin sportif qui mettra en péril son enceinte légendaire à l’orée des années 2000. La tempête de 1999 dégrade les lieux et n’arrange rien au dossier. Le club doit jouer quatre saisons à La Courneuve, un vrai traumatisme. « C’était une véritable catastrophe », résumera Vincent Chutet Mezence, qui dirige le Collectif.

De retour dans son « jardin » en 2002, les ennuis ne sont pas terminés : après une série de contre-performances, le club a dégringolé de la deuxième à la cinquième division en cinq ans. Mais les supporters ne se découragent pas et se rendent toujours aussi nombreux (entre 1500 et 2000 en général) à Bauer pour soutenir leurs joueurs.

Mais la situation se tend lorsque leur équipe remonte petit à petit les échelons du football national et que le nouveau président, le producteur de cinéma Patrice Haddad, ambitionne de construire un nouveau stade à 200 millions d’euros, sur les docks de la ville. Pas question pour les supporters de quitter Bauer ! Le collectif monte au filet, et prépare un projet alternatif de rénovation de leur enceinte.

« En général en France, les supporters sont maltraités, on les prend pour des beaufs. Mais nous, on essaie d’animer la vie de notre club, et ça agace les politiciens. Donc on a pris notre destin en main, et on a fait tout un travail avec un urbaniste pour garder notre stade. » Vincent Chutet Mezence

Simulation 3D à l’appui, le groupe travaille d’arrache-pied pour s’armer d’arguments et refuser ce qui serait pour eux l’entrée dans le foot-business. À l’occasion des dernières élections municipales, les supporters s’emparent du dossier et organisent une discussion sur le sujet entre les différentes listes candidates. Mais lorsque pour la première fois dans l’histoire de la ville, la majorité communiste tombe au profit des centristes de l’Union des Démocrates et Indépendants (UDI), le débat n’est pas clos pour autant.

« L’opacité totale » de la mairie qui possède le stade sur le sujet est pointée du doigt par les supporters : « On a l’impression que ce qu’on nous demande, c’est de soutenir notre équipe et rien d’autre. Alors que c’est nous qui connaissons le mieux le Red Star », dénonce Vincent Chutet Mezence.

Aujourd’hui, le projet de grand stade semble quand même être remis dans le tiroir, au moins pour le moment.

« Sur le court-terme, notre politique est claire, on va tout faire pour que le Red Star joue à Bauer, c’est son stade historique. Sur le long-terme, on a une autre réflexion, si le Red Star joue à un plus haut niveau encore, il sera peut-être question de réfléchir à une nouvelle enceinte. Mais pour le moment, notre priorité, c’est Bauer », rassure Pauline Gamerre, la directrice générale du Red Star.

Au Red Star, pas de pétrodollars

On est bien loin du Paris Saint Germain et de son stade un peu trop silencieux malgré une équipe cinq étoiles dont les transferts atteignent les dizaines de millions d’euros. On a le cas inédit d’une équipe dont les supporters refusent la construction d’un grand stade de 20 000 places pour préférer le lieu chargé d’histoire où ils se rendent tous les week-ends depuis des décennies. L’autre club de la capitale, le Paris FC, vient de signer un contrat de sponsoring avec le géant du BTP Vinci, membre du CAC 40. On voudrait bien y voir un choc des idéologies, mais Pauline Gamerre nuance : « Le Red Star aussi attire les sponsors, Bouygues nous sponsorise depuis déjà trois ans, par exemple, et Dailymotion depuis deux saisons ».

Le club se singularise toujours un peu plus en misant sur la formation des jeunes licenciés au Red Star, qui font aussi le tour des musées entre deux entraînements. La promotion en Ligue 2 permettrait à cet égard de donner un rôle social considérable au club, concernant les jeunes, comme l’explique la jeune directrice générale :

« L’Île de France, c’est un peu la Silicon Valley du football français, il y a de nombreux talents, des pépites que le club doit garder et ne peut pas garder pour l’instant faute de moyens. Beaucoup de jeunes ont touché du doigt les paillettes, les promesses de professionnalisme et se retrouvent finalement sans rien à 18 ans, faute d’accompagnement. »

Ce qui marque le plus quand on est au milieu des travées de Bauer, c’est l’immense diversité d’âges et d’origines des supporters. On y croise aussi bien des VIP qui se sont attachés au club que des spectateurs et anciens joueurs « historiques » grisonnants au regard chargé de légendes. Éric Naulleau est un habitué, Gérard Depardieu s’y est rendu en 2007 et François Hollande est allé voir jouer le club au stade Jean Bouin en Coupe de France en février.

Hollande Red StarFrançois Hollande au match du Red Star (source : So Foot)

Mais au-delà du charme des soirées audoniennes rythmées par les chants antifascistes, le Red Star est à la croisée des chemins en frappant à la porte de la Ligue 2. La Ligue 2, c’est le départ à coup sûr du Stade Bauer, au moins provisoirement le temps de le mettre aux normes du championnat. La Ligue 2, c’est aussi le professionnalisme des joueurs et les millions d’euros de droits télé qui affluent en même temps que les sponsors. Le budget du club devrait même doubler d’une année sur l’autre si la montée se confirmait. L’idée d’ouvrir le capital du club à d’autres investisseurs semble aussi trotter dans la tête de la direction au fur et à mesure que la montée se rapproche. Le label Wati-B, icône de la culture urbaine serait déjà sur les rangs parmi les repreneurs, preuve que l’esprit populaire n’est pas (encore ?) sur le départ. « Que du pipeau ! », réfute cependant la direction, qui nie toute vente de parts du Red Star.

Quoi qu’il en soit, la médiatisation pourrait bien renforcer la « marque » du Red Star. « Cette montée reste une aubaine pour nous. Elle permet d’accélérer le dossier du stade, qui n’avançait pas quand on végétait sportivement », se rassure Vincent Chutet Mezence, qui ne cache pourtant pas sa crainte de voir mourir son club « tel qu’il a été ». Une crainte qui s’exprime par une défiance envers la direction et la mairies, accusées de manquer de transparence. « La direction c’est des menteurs », pouvait-on entendre du côté du Kop Rino Della Negra lors du dernier match, contre Avranches.

Mais Pauline Gamerre ne se laisse pas impressionner. « J’ai été abonnée dix ans aux ultras du Vélodrome, donc j’en ai entendu des chants contre la direction d’un club ! ». Confiante dans le dialogue avec les supporters, elle explique la difficulté de la tâche du club : « c’est comme quand vous louez un appart et que vous voulez changer la peinture, il faut l’accord et l’aide financière du propriétaire, ici la commune de Saint Ouen, et c’est là que c’est difficile de trouver un accord ».

Une chose est sûre, il faudra monter en Ligue 2 et quitter Bauer, la seule star du Red Star, donc. Le défi est de taille, mais pas insurmontable, à condition de pouvoir revenir un jour à ses premières amours, pour le public audonien.

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Cet article a été mis à jour le 21 avril 2015, pour inclure les propos de Pauline Gamerre.

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