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Société
Par Laura Aronica

La pauvreté : l’autre combat de Martin Luther King

Ce samedi 4 avril marque un triste anniversaire. Il y a 47 ans, le 4 avril 1968, Martin Luther King était abattu d'une balle devant sa chambre d'hôtel de Memphis, aux États-Unis. C'est l'occasion de revenir sur un autre combat, moins connu, qu'a mené le plus célèbre des militants pour les droits civiques américains : celui contre la pauvreté.

Août 1965. Martin Luther King peut souffler un peu. Quelques mois plus tôt, il est devenu le plus jeune lauréat du prix Nobel de la paix, couronnement de son combat victorieux contre la ségrégation des Noirs, au sud des États-Unis.

Ce succès a fait de lui la figure héroïque que l’on connaît, notamment grâce à sa célébrissime harangue « I have a dream » (« J’ai fait un rêve »). Cette phrase, il l’a prononcée deux ans plus tôt, en 1963, sur le mémorial de Lincoln à Washington:

martin luther king1Photographie © ABCNews

Il lui aura fallu dix ans d’immenses marches pacifiques, d’innombrables prises de risques, dont une série d’emprisonnements, et le concours des présidents en exercice pour que que le Congrès interdise enfin, en 1964 et 1965, la séparation des Noirs et des Blancs dans l’espace public et instaure le droit de vote pour tous. Aux États-Unis, ça y est : la ségrégation est tombée aux oubliettes. Du moins, officiellement…

Car cet été 1965, « une énorme émeute raciale éclate », nous raconte Jacques Portes, professeur émérite à Paris 8, spécialiste de l’histoire des États-Unis. Entre le 11 et et le 17 août, Watts, qui fait partie de Los Angeles, est à feu et à sang. Dans ce quartier composé en majeure partie d’Afro-Américains, les immeubles sont recouverts de poussière, chaque jour connaît de nouvelles arrestations. « Il y a des morts, des pillages ». Le problème, ce n’est pas uniquement le racisme, mais la pauvreté. Logement, chômage : les difficultés socio-économiques gangrènent ces zones.

wattasriotsLa police arrête un homme pendant les émeutes de Watts, le 12 août 1965. Photographie © Library Of Congress / New York World-Telegram

Que faire, alors ? Martin Luther King choisit d’élargir son champ d’action. Désormais, il va s’attaquer de front à la pauvreté. En se mobilisant pour la justice économique et sociale, il décloisonne son combat pour les droits civiques. Comme l’écrit le site américain Vox, il veut éliminer « quelque chose qui n’a pas besoin du droit pour oppresser les peuples : la pauvreté ».

Dès lors, son combat prend des allures d’arc-en-ciel. La couleur de peau n’a plus d’importance : il faut, affirme-t-il, que tous les pauvres se mobilisent et défendent leur droit à une vie meilleure, qu’importe s’ils sont Afro-Américains, Blancs, Hispaniques… Toujours selon Vox, qui cite des chercheurs l’Université de Stanford :

« King était certain que les Afro-Américains et les autres minorités ne seraient des citoyens à part entière que lorsqu’ils atteindraient la sécurité économique ».

Le lutte est rude. King perd une partie de ses soutiens. « À partir de 66-67, quand il a commencé à vouloir mener des campagnes dans le Nord, il se coupe d’une partie des autorités » explique Jacques Portes. Longtemps, quand Martin Luther King ne s’occupait que de la ségrégation du Sud, elles ont été rassurées par sa figure de pasteur pacifique et populaire.

Qu’il vise le territoire entier, qu’il s’approprie une cause plus globale, « plus floue« , agace les États-Unis. Il est, par ailleurs, moins bien reçu par les communauté noires du Nord : « Là-bas, elles n’ont pas vécu les mêmes choses que dans le Sud. Elles ne le reconnaissent pas comme seul porte-parole, sont moins réceptives à ses méthodes ».

Fin 1967, quelques mois avant son assassinat, Martin Luther King annonce officiellement la tenue d’une grande marche sur Washington, la « Poor People’s March ».

Le principe : rameuter le plus de monde possible pour une manifestation pacifique à Washington, et camper sur place. Les organisateurs espèrent ainsi alerter les autorités fédérales sur la détresse des plus pauvres.

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Photographie © Encyclopédie Britannica

C’est la raison pour laquelle on évoque souvent une la filiation entre ce mouvement et celui, en 2011, d’Occupy Wall Street – un lien « un peu tiré par les cheveux », si ce n’est qu’il s’agit d’occuper un endroit pour se faire entendre, selon Jacques Portes.

Petits employés, militants d’associations et personnes issues de milieux défavorisés se mobilisent pour des mesures globales et immédiates contre la pauvreté. Ils réclament, comme décrit sur l’un de leurs prospectus de campagne :

« Une vie décente pour les pauvres, de manière à ce qu’ils puissent prendre en main leur destin ».

Capture d’écran 2015-01-20 à 16.31.12Une brochure de la « Campagne pour les pauvres », 1968 (version intégrale)

Il faut dire qu’en 1968, rien n’a bougé – ou presque. Des émeutes meurtrières ont chamboulé Detroit, l’année précédente. À Memphis, les éboueurs sont en grève. Ils font appel à Martin Luther King pour qu’il s’empare de leur cause. Selon André Kaspi (in « 1968, L’Année des contestations ») ils réclament de meilleures conditions de travail et dénoncent les discriminations raciales qu’ils subissent toujours.

Le 4 avril, Matin Luther King meurt, assassiné. Le pasteur Ralph Abernathy, appelé à lui succéder, prend à la volée les rênes de la « Marche pour les Pauvres ». Malgré la disparition soudaine de King, plusieurs dizaines de milliers de personnes se réunissent à Washington entre mai et juin 1969, sous la canicule. Mais très vite, la manifestation tourne au désastre.

« Le résultat relève moins de l’action collective réussie que du campement de hippies », selon Jacques Portes. Sur place, des huttes sont construites pour abriter les sans-abris. Elles sont détruites par des pluies soudaines et par la police, lors de très violents affrontements.

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Des manifestants se rafraîchissent dans la fontaine de Washington, juin 1968. Photographie © Paris Match

campsQuelques-uns des camps construits fin mai 1968 à Washington, qui restèrent en place pendant six semaines. Photographie ©  Henry Zbynszynski

Lors de cette campagne, plus de 260 personnes sont placées en garde à vue. Abernathy lui-même, arrêté pour trouble de l’ordre public, est incarcéré trois semaines. Cette tentative laisse, en fin de comptes, un goût amer à ses instigateurs. Mais qui sait ce qu’elle serait devenue, si Martin Luther King avait survécu ?

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