Les premier jeux européens de l'Histoire s'ouvriront demain 12 juin à Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan. À cette occasion, nous republions un article daté du 24 avril dernier. L'ONG Human Right Watch reprochait déjà à l'Azerbaïdjan d'organiser cet événement pour briller sur la scène internationale tout en confortant ses pratiques autoritaires et répressives.
Alors que le Guardian et d’autres organes de presse ont été interdits d’entrée sur le territoire azerbaïdjanais pour couvrir les jeux européens, et que le pays est sous le feu des critiques, la demande des ONG – que les prisonniers politiques soient libérés par le régime – n’avait toujours pas été entendue, ce jeudi 11 juin.
Fin avril dernier, Jean-Marie Fardeau, directeur du bureau français de Human Rights Watch, faisait avec nous le point sur ces jeux et leurs enjeux pour les droits humains :
1. Les Jeux européens, qu’est-ce c’est ?
Ce sont les premiers Jeux olympiques européens, qui réuniront les 50 nations européennes membres du mouvement olympique. Pendant deux semaines, plus de 6000 athlètes vont participer à la compétition, pour de la natation, de l’athlétisme, du tir à l’arc, du judo, etc.
Sur la carte, Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan où se déroulent les jeux, est identifiée par un marqueur rouge (cliquer pour agrandir l’image).
2. Qu’est-ce que vous dénoncez ?
La situation en Azerbaïdjan est catastrophique du point de vue des droits humains.
On veut profiter de l’exposition de l’Azerbaïdjan à l’occasion de ces jeux pour demander à ce que tous les prisonniers politiques soient libérés avant qu’ils aient lieu.
On en a identifié une vingtaine, au moins. S’ils ne sont pas libérés, on demande aux officiels de toute l’Europe de ne pas se rendre à Baku pour la cérémonie d’ouverture.
3. Vous pouvez m’en dire un peu plus sur la situation du pays ?
En Azerbaïdjan, en ce moment, les principaux opposants et défenseurs des droits de l’homme sont en prison. La plus symbolique, c’est Leyla Yunus, la présidente de l’Institut pour la Liberté et la Démocratie, une organisation non-gouvernementale qui promeut l’État de droit en Azerbaïdjan. Elle a été décorée de la légion d’honneur par la France en juillet 2013, elle a vu Monsieur Hollande et Monsieur Fabius en mai 2014, et elle a été mise en prison en juillet (après avoir dénoncé la situation azerbaïdjanaise à l’approche des jeux. Elle a notamment écrit à François Hollande depuis sa prison, NDLR). Elle y est toujours.
Leyla Yunus. Photographie © HRW
Ces gens-là ont été maltraités, parfois torturés, ils n’ont pas le droit à un procès équitable. Une presse muselée, un droit d’association brimé : voilà, l’Azerbaïdjan d’aujourd’hui.
C’est un régime extrêmement autoritaire et tyrannique, qui veut organiser de grands événements pour avoir une excellente image internationale, quelle que soit sa politique interne.
Le président, Monsieur Aliyev, est au pouvoir depuis 26 ans (il a en fait succédé à son père, lui-même président et acteur incontournable de la vie politique pendant plus de 30 ans, en 2003, NDLR) et il le tient d’une main de fer avec son clan. Sa femme, Madame Alieyva, est en charge de l’organisation des Jeux européens de Baku.
4. Qui est à l’initiative de ces jeux ?
C’est un événement organisé par le Comité Européen olympique, la branche européenne du Comité International Olympique, le C.I.O. Je ne sais pas si c’est ce comité qui en est à l’origine ou si c’est l’Azerbaïdjan qui a essayé de créer un événement de plus pour redorer son image, comme il avait déjà organisé l’Eurovision, il y a trois ans.
> À lire sur Libération : La Suède remporte l’Eurovision, l’Azerbaïdjan soigne son image, 27 mai 2012
Une vidéo officielle des Jeux Olympiques européens, intitulée « Le ‘Maradona du Karaté’ vise une victoire à domicile, à Bakou »
En tout cas, l’Azerbaïdjan était le seul candidat pour organiser ces jeux. Il n’y a pas eu de compétition.
La compétition dépend des Jeux olympiques, elle utilise son logo, sauf que le C.I.O dit « Nous, on est pas responsables de cette affaire-là, voyez avec le Comité Européen ». Trop facile ! Nous appelons le C.I.O à faire pression sur le C.E.O pour qu’il se rende compte à quel point il se rend complice, par son attitude extrêmement peu regardante, de la gravité de la situation.
5. Vous parlez de tous les chefs d’État européens qui vont s’y rendre, c’est un grand rendez-vous ?
Les plus grands athlètes européens ne seront pas là dans la natation et dans l’athlétisme, ils ont de plus grandes compétitions après. C’est un peu comme les jeux asiatiques ou les jeux panaméricains. Mais il y aura quand même une médiatisation forte et l’Azerbaïdjan va mettre beaucoup de moyens. Il a bien sûr invité tous les officiels des 50 pays, les Présidents, les ministres des Sports, les ministres des Affaires étrangères… Nous ne savons pas si Monsieur Hollande, Monsieur Fabius ou Monsieur Kanner, (Ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, NDLR) ou Monsieur Braillard (son secrétaire d’État aux sports) décideront de s’y rendre (EDIT du 11/06 : Nous savons désormais que ce dernier s’y rendra, NDLR). Mais on va mettre la pression sur eux pour qu’il n’y aillent pas.
J-1 avt ouverture Jeux #Bakou, dernière chance pr condamner publiquemt détention prisonniers politiques @francediplo pic.twitter.com/QOKD32n71t
— HRW en français (@hrw_fr) 11 Juin 2015
François Hollande en visite à Bakou en avril 2014. Photographie © La Croix
6. Vous leur donnez jusqu’à quand ?
La cérémonie d’ouverture, c’est le 12 juin prochain. Ils ont jusqu’au 11 juin à minuit pour libérer ces gens-là. Si ce n’est pas le cas, on va blâmer les officiels européens qui oseront se rendre à la cérémonie d’ouverture ou aux compétitions pendant les jeux dans ces conditions.
7. Concrètement, au jour le jour, comment vous travaillez ?
On fait un travail de lobbying sur les décideurs concernés. On les appelle, on va les voir, on demande des rendez-vous. On leur fait passer des informations de manière extrêmement régulière, pour qu’ils se rendent compte de la gravité de la situation. Et puis HRW diffuse des communiqués de presse et des vidéos, des outils de communication grand public qui visent d’abord les médias, qui sont pour nous la caisse de résonance pour obtenir de l’influence sur les politiques.
Le logo des Jeux européens de Bakou. Image via EspritBleu
8. Vous êtes sur ce dossier depuis des mois, notez-vous des avancées ?
Pour le moment, pas beaucoup. Personne ne se dévoile. Les politiques attendent de voir comment la situation évolue. Ils vont voir ce qu’ils ont à gagner ou à perdre en se fâchant avec l’Azerbaïdjan ou avec les ONG. Dans ces situations-là, ce ne sont malheureusement pas des questions de principe, mais d’intérêts.
9. Qu’est-ce qu’un État peut perdre en se fâchant avec l’Azerbaïdjan ?
Il peut perdre de gros contrats. C’est une mine de pétrole et à l’heure où la Russie est un pays compliqué à gérer, l’Azerbaïdjan est la route d’approvisionnement n°1 de cette région du monde pour l’Europe.
L’Azerbaïdjan est l’État le plus riche de la région, c’est le Qatar du Caucase.
Il y a beaucoup de marchés, beaucoup d’entreprises qui font du business là-bas. Tout ça, c’est des choses qui peuvent être remises en cause, car l’Azerbaïdjan peut sanctionner des entités qu’il estimera trop regardantes sur sa situation interne.
Une image de synthèse de l’un des futurs stades de Bakou via Baku2015
10. Disons que je suis un lecteur de Clique, qui se demande comment il peut agir, en tant que citoyen français. Qu’est-ce que je peux faire ?
En tant que citoyen, vous pouvez écrire à vos députés.
Vous pouvez aussi écrire à vos médias pour leur dire de traiter le sujet. Et puis, sur les réseaux sociaux : partager des liens Facebook, faire des tweets, retweeter par exemple toutes les vidéos que sortent les ONG. Ce sont d’excellents outils de sensibilisation et de mobilisation. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a de quoi se mobiliser. Voilà pour le petit cours de lobbying (rires).
À lire sur Le Monde > En Azerbaïdjan, les jeux de la répression, 23 mars 2015
Photographie à la Une : Teddy Riner, l’un des membres de l’équipe française de judo pour les jeux de Bakou. (Edit du 11/06 : il a entretemps déclaré forfait pour des raisons physiques).