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Société
Par Justine Paolini

« JE VOULAIS JUSTE… » « Justine et le pire rencard de sa vie »

Retrouvez chaque semaine, la chronique de Justine Paolini.

Tu sais, quand on ne le sent pas, il faut ne pas y aller. Parce que c’est vite arrivé de se retrouver dans le rencard le plus pourri de toute sa vie.

Évidemment, à l’origine du mal, la racine de n’importe quel problème sentimental moderne : Tinder. (T’as vu, je pige toujours rien à cette appli, j’utilise « Tinder » et « sentimental » dans la même phrase). Donc, Tinder est complètement responsable mais un peu de ta personne est également coupable : tu t’étais jurée de ne plus foutre un pouce sur cette application à la con. Mais, à ta décharge pleine de mauvaise foi, un soir, tu t’es vraiment ennuyée. Et l’ennui est ton pire ennemi, c’est là où tu fais des trucs très stupides.

Ce soir-là, t’étais plus relax sur les critères, avoue. T’as jeté un œil trop mollasson sur la tête de tous ces figurants de l’amour. Et je peux te dire que tu vas la payer, ta paresse. Parce que dans ce tas informe de mâles, tu ne sais pas encore que t’as chopé LE Prince du charme. *Sourire ironique*

Le lendemain matin, trois messages dans ton Tinder. Un des mecs est plutôt marrant, il se la pète un peu mais il est fun. Il n’est pas non plus cul-dégueulasse-vulgaire donc ça passe. On papote, on papote… Par contre c’est quoi sa tête déjà ? Retour sur son profil… Merde il te dit un truc. Un truc nul. Sa tête ne t’est pas inconnue, et pas pour quelque chose de flamboyant. Meeerde, mais c’est qui ? Son prénom te dit rien. Mais sa tronche, sûr. Ton cerveau ouvre tous ses tiroirs, rien, sauf une impression de déjà-vu naze. Comme si tu tombais sur Donald Trump sans vraiment le remettre, tu vois. Dans le doute, t’abrèges un peu l’échange, sans réussir à savoir ce qu’il fait de sa vie. C’est sans compter sur notre Prince du charme plein de charme (mouahahah) qui a décidé que tu serais sa cible.

Pendant deux mois, le mec va travailler à mort pour que tu lui accordes un verre. Oui, DEUX mois. Et là où il est bon, c’est que dès que tu ne réponds plus, dès qu’il sent qu’il commence à te soûler, il arrive à trouver le truc qui va te faire rigoler, et donc lui répondre. En plus, t’es une fille polie, ça te met toujours mal à l’aise de pas répondre à quelqu’un, c’est un de tes nombreux talons d’Achille. Donc, le gars va tout faire pour que tu boives un verre avec lui. Toi, t’esquives. Alors il joue tout, même la flatterie. Il aime ton coté « insolent et intellectuel », il a besoin de ça en ce moment… Tu pouffes allègrement derrière ton téléphone, c’est bien la première fois qu’on te dit que t’es intellectuelle. Insolente, mouais… c’est juste que tu l’envoies chier.

Dans ton cerveau, deux trolls :
La Princesse péteuse : « Le mec doit vraiment avoir bloqué sur toi pour ne pas te lâcher comme ça.»
La Blasée cynique : « Le mec doit être hyper en chien pour bloquer sur toi comme ça. »

Comme d’habitude, tu ne sais pas qui écouter. Et pour savoir, il faut que tu voies. « Quand une femme accorde un rendez-vous, elle ne sait jamais si elle consentira ou si elle ne consentira pas. C’est même pour le savoir qu’elle donne le rendez-vous. » En 1900, Tristan Bernard avait déjà tout pigé aux femmes.
Donc, après déjà deux posages de lapin, troisième tentative : tu lui jures de pas lui en poser un cette fois-ci. Rendez-vous pris, ça sera jeudi.

– Par contre mec, jeudi je bosse tard donc je serais pas en forme. Un verre, c’est tout.

– Pas de pb chéwie.

Ouh que ça commence mal. Non mec, ne m’appelle pas « chéwie ». Cette condescendance par le surnom affectueux alors qu’on ne se connaît pas, rajouté à l’écriture « texto », pfff, franchement… Ca ne sent pas bon du tout, ce truc.

Jeudi soir. T’arrives au bar qu’il t’a indiqué – pardon, imposé – et il est déjà là, au bout de la terrasse. Oh merde.

Le mec est en slim avec des strass sur les poches, en perfecto (avec des franges, je rêve pas) et… en TN turquoises. T’as envie de chialer. Tu veux bien regarder au-delà des apparences mais faut un peu aider quand même.

Dans son regard, un espèce d’arrogance faussement cool et un peu bêta alors qu’il se prend pour un alpha. Ce mec, comme ça, représente à peu près tout ce que tu détestes. « Bon, un verre et JE-ME-CASSE. »

Niveau conversation, ça ressemble à ce qu’il est : beaucoup de forme pour très peu de fond. Il regarde au loin avec l’air de ne pas y toucher, mais tout en te jetant quelques coups d’œil prétentieux en coin pour vérifier si tu fonds quand même devant son charme. Mais non, tu ne fonds pas, bien au contraire, tu te transformes en congélo avec trop de givre sur la porte. Sur le coup, pas grave : t’as pas l’impression de lui plaire, ce qui t’arrange… on pourra se barrer plus vite. Mais au bout de dix minutes de platitudes embarrassées, le mec se retourne vers toi et te regarde droit dans les yeux, avec un air faussement séducteur. Et là, en une seconde, tout te revient.

« Oh mais oui, je me souviens, je sais qui est ce mec… Je suis tombée sur sa tronche à la télé il y a quelques semaines… C’est un humoriste sans humour que j’ai vu dans une émission d’humour sans humour et qui fait des trucs vraiment… sans humour. Oh la la la la la, quelle galère intersidérale… Au secooooouuuuurs, pourquoi j’ai pas googlisé !?!? » Premier PV pour ta paresse.

Donc, au même moment où le tiroir de l’horreur s’est enfin ouvert dans ta mémoire, il te regarde droit dans les yeux…

– T’habites où ?

– Euh… 20 ème. Et toi ?

– Bah moi, j’habite juste là… (Il montre une fenêtre de l’immeuble juste en face de nous)

Tu le sens arriver le plan pourri, là ?

– Ah… ok.
– Du coup, je me disais…

Non, mec, non.

– Du coup, je me disais… on peut monter chez moi et on finit cette conversation pendant que tu me branles…?

Whaaaaaat ? Tu sais pas quelle tête t’as faite, mais à l’intérieur, t’as redécouvert le sens du terme « éclat de rire spontané ». Tu t’attendais tellement pas à tant de poésie qu’aucune répartie pleine de sarcasme n’arrive à sortir de ta bouche.

– Ahhhh, ohhh, euhhh, bahhh, non… Vraiment pas.

– Ah bon ? Et pourquoi ?

– Ben parce que… non quoi.

– Ah bon ? Putain tu me déçois.

Tu re-pouffes intérieurement et sûrement un peu extérieurement vu le regard vénère qu’il te lance.

– En plus, je m’attendais à ce que tu débarques en petite robe, bas, talons, tout ça tout ça, quoi.

– Ah. En effet, tu me connais très mal.

– Pourquoi tu veux pas monter ?

– Faut vraiment une raison ?

– Bah ouais. Ca t’excite pas ?

– De monter te branler ? Là, comme ça, non. Et imaginons, je monte… j’y gagne quoi moi ? (J’ai essayé de glisser ça comme une blague).

– Bah, la satisfaction de me faire bander. (il dit ça avec une évidence… déconcertante.) C’est plutôt flatteur pour ton égo, non ?

Ton fou rire a débordé.

– AHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAH merci, c’est vraiment attentionné.

Il y a eu un gros blanc extrêmement embarrassant. Ca l’a pas fait rire. Tu as donc confirmation que ce mec n’est pas drôle et qu’il n’est pas en train de te faire une blague, aussi peu réussie soit-elle. Magique. Ce silence devient vraiment très encombrant. Ce moment de ta vie, là maintenant, est le plus dénué de charme, de séduction et d’érotisme que t’aies vécu. Deux mois que tu me travailles pour ça, mon gars ?

– Bon, et bien salut du coup…

– Ah ouais ? Tu la joues comme ça ? T’es hyper décevante comme meuf.

– Touchée en plein cœur.

– Tu sais que je vais effacer ton numéro et ne plus jamais te rappeler ?

– Vas y, je t’en prie.

– Ah ouais ? Ah ouais ? Je suis déçu.

Ouais, je t’en supplie : efface mon numéro et ne me rappelle plus jamais de ta vie. Jamais. Le plus fou, c’est que s’il l’a tenté, c’est bien que ça a dû marcher au moins une fois… Non, pas possible. Inutile de dire que t’as même pas fini ton verre et que t’as chopé le premier taxi pour t’enfuir loin, très loin d’ici, dans un monde où on ne te prend pas pour un poignet articulé avec un égo défaillant. Ou pour une groupie de 17 ans.

Le lendemain, t’as quand même eu le droit à un texto :

– Y a pas intérêt que je me retrouve dans une de tes chroniques à la con.

Il vient d’insulter mes textes là, j’ai pas rêvé ?
Cher prince, vraiment navrée… Mais en plus d’être susceptible et décevante, je suis une sacrée connasse.

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