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Société
Par Laura Aronica

Le procès d’Hissène Habré, ex-dictateur tchadien, en 10 questions

Cela devait être un moment historique pour l'Afrique. Une fois de plus, elle devra attendre. Ouvert lundi 20 juillet après de longues années d'attente, le procès de l'ex-dictateur tchadien Hissène Habré a été reporté au 7 septembre prochain. Le point sur ses enjeux avec Yves Gounin, auteur de "La France en Afrique" (De Boeck, 2009).

1. Qui est Hissène Habré ?
Hissène Habré, 72 ans aujourd’hui, est un ex-président tchadien. En 1982, il accède au pouvoir suite à un coup d’État et installe, pendant 8 ans, une dictature sanglante. En 1990, il est renversé par l’un de ses ex-collaborateurs, Idriss Deby Itno (le président actuel du pays) et s’exile au Sénégal, où il vit toujours. « Il est devenu extrêmement discret », précise Yves Gounin. « Il est parti du Tchad avec les réserves de la Banque centrale. Cela lui a permis de vivre toutes ces années et de s’acheter des protections ».

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Hissène Habré à sa sortie du tribunal après un interrogatoire préliminaire, le 3 juin 2015. Photographie © Seyllou/AFP

2. De quoi est-il accusé ?
Hissène Habré va être jugé pour « crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture » pendant ses 8 années de présidence. Son régime d’alors est accusé d’être à l’origine de milliers d’assassinats politiques, d’arrestations arbitraires et d’avoir recouru systématiquement à la torture à l’encontre des personnes considérées comme des ennemies du régime. Au total, 40 000 personnes seraient mortes assassinées ou pendant leur séjour en prison, selon les chiffres des ONG qui travaillent sur le dossier.
Hissène Habré disposait d’un redoutable outil de terreur : la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), sa police politique réputée pour sa barbarie, dont les plus hauts dignitaires lui rendaient directement des comptes. Sept de ses ex-responsables ont été condamnés à la réclusion à perpétuité en mars dernier dans un autre procès, au Tchad, pour « assassinats » et « tortures ».

> À regarder sur LeMonde.fr : Témoignage d’un Sénégalais : j’ai survécu aux gêoles d’Hissène Habré

3. Qui l’accuse ?
Des organisations humanitaires font pression depuis de longues années pour que le procès ait lieu, et en particulier Humans Right Watch. Sous son impulsion et grâce à son soutien, plus de 4 000 victimes se sont constituées parties civiles. « Ce qui est très intéressant dans ce procès, c’est le rôle instrumental et décisif qu’ont joué les ONG, bien plus que les États », analyse Yves Gounin. « Le procès est le fruit des efforts inlassables d’un homme : Reed Brody de Human Rights Watch (un ex-magistrat new-yorkais, NDLR). Depuis 15 ans, il se bat pour juger Habré, y consacrant une énergie folle. Il y a même eu un film à son sujet, Chasseur de Dictateur ».

4. Qui va juger Hissène Habré ?
Le procès ne se déroule pas au Tchad, mais à Dakar, la capitale du Sénégal. En accord avec le pays, l’Union Africaine (l’organisation internationale des États africains) a mandaté un tribunal spécial (ad hoc), les « Chambres Africaines Extraordinaires », qui est donc un nouvel outil juridique au sein de l’appareil judiciaire sénégalais. Les chambres extraordinaires ont été instituées pour – et seulement pour – juger le cas d’Hissène Habré » précise Yves Gounin. Les juges, africains, sont nommés par l’Union Africaine.

5. Pourquoi au Sénégal ?
« Lorsque la question s’est posée, en 2006, j’étais Conseiller du président de la République du Sénégal », se souvient Yves Gounin. À l’époque, la communauté internationale fait pression sur le Sénégal pour qu’ Hissène Habré soit jugé. Elle s’appuie sur le principe du droit international « Aut devere aut judicare », un outil pour lutter contre l’impunité (« soit vous l’extradez, soit vous le jugez », en somme).

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En vert, Dakar. En bleu, N’Djamena, capitale du Tchad.

« La première solution, c’était de le déférer dans des pays qui voulaient le juger. Le Tchad le réclamait, mais le risque qu’il ne soit pas jugé objectivement étant trop élevé, le Sénégal a refusé. La Belgique le réclamait aussi, faisant valoir sa compétence universelle – un autre outil de lutte contre l’impunité, qui donne à un Etat le droit de juger quelqu’un qui a commis des crimes graves même s’il n’a aucun lien avec lui. »
Finalement, le Sénégal refuse l’extradition, et se décide à organiser le procès lui-même. « C’est à l’époque où le Libérien Charles Taylor avait été livré à La Haye, ils ne voulaient pas recommencer ça ».

6. Si la question s’est posée il y a presque dix ans, qu’est-ce qui a fait hésiter le Sénégal toutes ces années ?
« Le Sénégal a longtemps traîné des pieds pour organiser ce procès, invoquant son coût prohibitif et la tradition sénégalaise de « Teranga », c’est-à-dire d’hospitalité », explique Yves Gounin. La question religieuse est aussi entrée en jeu. « Habré est un musulman très croyant. Une fois sur place, il a été protégé par l’une des confréries très influentes du Sénégal. », ajoute-t-il. « Pour ces trois raisons difficiles à pondérer, le procès a tardé ».

7. Le rôle de la France dans l’affaire Habré est souvent décrit comme ambigu. Pourquoi ?
« Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Pendant son mandat, Hissène Habré était soutenu par la France », rappelle Yves Gounin. Comme les États-Unis, entre autres, la France fermait les yeux sur les crimes commis au Tchad car Hissène Habré était un soutien précieux dans la lutte contre la Libye de Mouammar Kadhafi, considérée comme le berceau du terrorisme en Afrique. « Aujourd’hui, la France est en pointe de la lutte contre l’impunité. Elle a ratifié de nombreux traités internationaux dans ce sens. Elle n’est ni active, ni passive dans ce procès, mais il faut veiller à remettre les éléments dans leur contexte et à ne pas systématiquement ramener son comportement à celui d’il y a 25 ans ».

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François Mitterrand reçoit Hissène Habré, le 21 octobre 1989. Photographie © Reuters/Christine Grunnet

> À lire sur L’Express.fr : Hissène Habré, un bourreau soutenu par la France et les États-Unis

8. Qu’encourt Hissène Habré ?
30 ans de prison ferme, ainsi que des travaux forcés à perpétuité.

9. Comment va se dérouler le procès ?
Le procès était censé durer au moins trois mois, jusqu’au 22 octobre en principe, mais il a été reporté au 7 septembre prochain ce mardi 21 juillet. Les avocats d’Hissène Habré ont boycotté l’audience, à sa demande. Il faut du temps aux avocats commis d’office, désignés par la justice sénégalaise pour les remplacer, pour étudier le dossier. Que peut impliquer ce report d’audience ?

« Habré est vieux et malade. Tous craignent le « précédent Milosevic », c’est à dire la mort de l’accusé avant la fin de son procès ».

Dès le départ, l’ex-président tchadien a refusé de coopérer. Il ne reconnaît pas le tribunal spécial comme une instance légitime pour le juger. Lundi 20 juillet, il y a été amené de force, comme l’a constaté une journaliste de l’AFP. Il a par ailleurs invoqué ses problèmes cardiaques (il aurait été victime d’une attaque en juin), qui pourraient perturber le rythme du procès.

10. On dit que ce procès est un tournant. Pourquoi ?
Ce n’est pas la première fois qu’on crée des tribunaux ad hoc, mais ils se sont toujours trouvés à La Haye (Pays-Bas), à La Cour Pénale Internationale. Or la CPI est un instrument juridique qui a mauvaise presse sur le continent africain. « Le fait que les criminels africains soient jugés au Nord induit le soupçon, pourtant infondé, que la CPI induit une justice de race » explique Yves Gounin. « C’est la première fois qu’un tel procès est organisé en Afrique ». Pour la première fois, donc, c’est « l’Afrique qui juge l’Afrique ».
« Et même s’il s’est fait attendre », ajoute-t-il, « le procès Habré est une étape supplémentaire dans la lutte contre l’impunité. Cela montre qu’où qu’ils soient, les tyrans sont rattrapés par la justice internationale. Cela pourrait faire réfléchir des gens comme Ben Ali, qui s’est extradé, après les Printemps arabes, de la Tunisie vers l’Arabie Saoudite ».

> À lire sur le Figaro : Tchad : Procès Habré, un ‘tournant’ selon l’ONU

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