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Mode
Par Julien Gangnet

CLIQUE WEAR : J.M. Weston

« J.M Weston, J.M Weston, oyo ya Lario rival ya Weston. »
Papa Wemba – Proclamation

(trad : J.M Weston, J.M Weston, Lario est le rival de Weston.)

Quelques années avant que RUN DMC ne chante « My Adidas » et que tous leurs petits potos du Hip Hop leur emboitent le pas, les vedettes de la musique congolaise, Papa Wemba en tête, balancent déjà des références de sapes.
On chante en lingala les louanges de Gianfranco Ferre ou de Yohji Yamamoto mais quand il s’agit de se chausser, c’est J.M Weston qui a les honneurs de ces messieurs de Kinshasa.

La manufacture familiale de chaussures est fondée en 1891 à Limoges par Édouard Blanchard. En 1904, son fils Eugène voyage aux États-Unis où il apprend le cousu Goodyear dans la ville de Weston, Massachusetts.
Il rentre à Limoge avec ce procédé révolutionnaire qui permet de ressemeler facilement les souliers, et l’idée de proposer plusieurs largeurs pour chaque pointure.

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Mais c’est en 1922 qu’il prend le take-off en rencontrant aux courses Mr Viard, jet-setter de l’époque au carnet d’adresse épais. Ils s’associent, déposent le nom de J.M. Weston et ouvrent la première boutique, boulevard de Courcelles. À cette époque, les hommes qui en ont les moyens s’habillent comme Mandrake le magicien et tout ce que Paris compte comme banquiers se chausse chez Weston.

premier magasin

golf

Au début des années 60, les fils de bonne famille appelés « les minets » trainent au Drugstore des Champs-Élysées. L’influence de l’Angleterre aidant, le style se raffine à Paris, ces jeunes gens portent des Shetland de chez Old England et s’approprient les mocassins Weston à papa en les portant pieds nus avec un jean Levi’s ou un Sta-prest. Comme aujourd’hui, les Champs attirent aussi son lot de lascars qui n’ont pas les yeux dans leurs poches et qui ont bien compris que pour serrer de la racli du 16e, mieux vaut en adopter les codes. Porosité des styles oblige, à cette époque ce sont les mecs de rue qui veulent s’habiller comme des bourgeois, on trime la semaine et le week-end quand on va danser, on met une cravate et une belle paire de chaussures.

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mocassin classique

Triple semelle

Les années 60 se terminent et le Flower-Power rend certainement moins sexy les Richelieu à bouts fleuris, les mecs à la cool trainent en sandales marocaines…

Ellipse.

Quand j’ai l’âge d’ouvrir les yeux sur le style, c’est le début des années 80, je suis au collège à Saint-Paul, mais à l’époque, pas de magasin The Kooples.
Le corner rue des Écouffes/Rosiers est un petit Belleville où on vend du shit dans les bistrots, les kaïra du quartier sont feujs tunisiens pour la plupart et leurs Weston ne viennent pas toutes du magasin. J’apprends qu’il existe des chaussures qui coûtent un SMIC et que certains vont les chercher directement dans la rue, c’est indispensable car en 1985 on ne rentre pas en boîte avec une paire de Stan Smith. Dans le quartier, la tendance est aux mocassins à glands bicolores et aux bottines avec élastique. Ça se porte avec un perfecto ou une doudoune Schott, mais mieux vaut être sûr de soi dans la rue.

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Bottines

Ponpon bicolores

Mais les mecs du 3e ne sont pas les seuls à kiffer la marque et dans tout Paris ça dépouille. Dans certains quartiers, on aime les chasses ou les 4X4, dans d’autres on préfère les mocassins en lézard… les Requins Vicieux, eux, les aiment toutes. Comme me l’ont raconté deux figures de la bande, à l’époque c’est le Far West dans l’Ouest Parisien. Ils écument les beaux quartiers et dommage pour celui qui les croise, chaussé de frais. Repartir en chaussettes fait partie du quotidien, et qu’importe si la victime à leur âge ou 40 balais. Au delà de leurs garde robe personnelle, ces mecs travaillent à la commande et fournissent divers cercles dont quelques Sapeurs de Strasbourg-Saint-Denis.

4X4

Pour ces derniers, qui ne vivent que pour le style, la Weston est la chaussure Historique. Jamais pris en défaut, ils arpentent le boulevard, pantalons Comme Des Garçons au dessus du nombril, aux pieds une paire de triples semelles où de mocassin en autruche, voyant mais toujours raffinés. Leurs idoles de la musique zaïroise et congolaise ne sont pas en reste et grâce à eux, la marque est connue dans tous les faubourgs des pays d’Afrique francophone. Malheureusement, nous ne sommes pas aux États-Unis, pas de Russell Simmons aux côtés de Zaïko Langa Langa pour faire un deal avec la marque et pas non plus de directeur artistique malin chez Weston pour piger le phénomène.

 

mocassin autruche

 

Une éminence de la Sape me confie ne plus porter de Weston depuis 20 ans, car selon lui, la marque n’a jamais renvoyé l’ascenseur aux Sapeurs : « Pas même une paire offerte à Papa Wemba ! ».

C’est malheureusement un problème français : la plupart des marques installées refusent très souvent de s’accoquiner avec leur fanbase, dès lors qu’elle n’est pas blanche blanche.

RUN DMC réalise donc un coup marketing de génie avec Adidas, les Requins vont en prison et le Hip-Hop déferle, mettant le monde à l’envers et emportant avec lui la tendance Weston dans le Paris qui m’est familier, personne ne veut aller au Zoopsie avec une paire de Golf, c’est hachouma’.

En 2001, un nouveau styliste est nommé chez Weston pour relancer la marque, mais selon moi c’est raté. Qu’une maison aussi mythique, dont les souliers classiques aux formes douces sont la signature depuis toujours, bascule dans des formes pointues et carrées dignes d’un stylisme de téléréalité, c’est un aveu de faiblesse poignant. Signe que la marque ne croit plus en sa puissance évocatrice.

Aujourd’hui le salut vient de l’extérieur, même si mon snobisme me fait regarder tout cela avec suspicion, force est de reconnaître que depuis que Weston s’est ouvert aux collaborations, le niveau remonte.

En tout état de cause, riche des ses grands classiques, Weston a encore de beaux jours devant elle, mais Dieu nous préserve d’un modèle à diodes clignotantes signé Pharrell.

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(Merci à Jocelyn-Armel @Connivences pour la traduction plus haut.)

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