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Cinéma

CLIQUE TALK : LASTMAN, la série animée française qui met la pression aux Japonais

Trente ans : c’est le temps qu’il aura fallu attendre entre l’arrivée de l’animation japonaise dans notre pays et la sortie de la première série animée française destinée aux adultes.

A l’origine, il y a LASTMAN, la BD folle de Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville, trois prodiges de l’illustration et de l’animation qui, admiratifs des auteurs japonais, ont voulu créer le premier équivalent français d’un manga. Lancée en 2013, leur œuvre reprend les mêmes codes (quête mystique, bastons épiques, univers mystérieux) et tient le même rythme d’écriture effréné que les références du genre, en y ajoutant une dose de fantaisie européenne et des clins d’œil bien franchouillards.

La BD Lastman (gif par Le Monde)

Le résultat ? Un succès commercial (le dixième tome arrive fin août) et le Prix de la Série au Festival d’Angoulême 2015. Après avoir dynamité la BD d’action, l’équipe a voulu secouer le monde de l’animation. Un challenge difficile : il aura fallu plusieurs années de développement – et une campagne de crowdfunding – pour que la série animée Lastman voit le jour. Mais l’attente en valait la peine. Animation au cordeau, dialogues non censurés, violence sans limite, la liberté de ton – et la réussite – est totale. La série ouvre la voie à une animation plus adulte en France et s’exporte dans le monde entier.

A l’occasion de la diffusion de la saison 1 de Lastman sur Studio+ (le premier épisode est visionnable ici), Clique a rencontré Jérémie Périn, réalisateur de la série et virtuose de l’animation. L’occasion de parler de One Piece, du crâne de Schwarzenegger, de Mimi Cracra, de cinéma 80s… et de l’hommage incroyable que lui a rendu Riad Sattouf.

Le trailer de la série Lastman.

Clique: Comment on devient réalisateur de dessin animé ?
Jérémie Périn : J’ai fait Les Gobelins, école d’animation très classique dans le milieu. Je voulais être réalisateur, j’ai toujours adoré le cinéma. Mais j’ai eu l’impression assez tôt que tout le monde voulait devenir réalisateur – ce qui n’est pas tout à fait vrai… Et je me suis dit que, comme je savais dessiner, j’allais croiser les deux : dessin et cinéma. Le dessin animé est une forme de cinéma pour moi. Je suis parti dans l’animation, ça me plaisait beaucoup.

Après Les Gobelins, j’ai fait un parcours plutôt classique. J’ai essayé de faire un petit peu de tout dans le milieu de l’animation, c’est-à-dire de l’anim’, du décor, du storyboard.

J’ai aussi écrit, je me suis mis à faire du scénario quand j’ai croisé Laurent Sarfati, avec qui je suis devenu ami et qui a été le directeur d’écriture sur Lastman. Ensemble, nous avons écrit des clips que j’ai réalisés, notamment “Fantasy” et “Truckers Delight” pour les deux plus connus.

Sorti en 2011, « Fantasy » du groupe DyE (NSFW) totalise 60 millions de vues.

Avec son esthétique 8 bits et ses idées archi-trash, « Truckers Delight » de Flairs (également très NSFW) avait secoué Internet en 2009.

C’est le clip « Fantasy » pour le groupe DyE qui a donné envie aux auteurs de la BD Lastman, Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville, de me proposer de réaliser et adapter leur projet en série animée.

Quand tu étais gamin, tu dessinais quel style ?
J’ai fait tous les styles. J’ai eu plein de phases différentes. Une phase où je recopiais des photos dans les magazines, je dessinais des Zorro, Charlton Heston en Moïse… Je dessinais énormément G.I. Joe ou les dessins animés que je regardais à la télé, Cobra et tout ça…

La série animée Cobra, dont l’une des musiques est le générique du Gros Journal.

Au bout d’un moment, j’ai eu une grosse révélation Gotlib (auteur français de bande dessinée, Gotlib a révolutionné le genre en France avec un humour absurde et sans limite. Il a créé les magazines L’Echo des Savanes et Fluide Glacial, et est décédé il y a quelques mois, NDLR). J’étais à fond et j’essayais de dessiner comme lui. J’ai été marqué par sa période Rubrique-à-brac, même si je savais qu’il existait un Gotlib un peu bourrin et hyper violent. Quand on allait à Auchan et que j’étais au rayon BD, je regardais un peu du coin de l’œil et j’étais là genre “wow”…

Ça a commencé à m’ouvrir vers la possibilité que le dessin puisse être aussi quelque chose de plus provoquant, et pas seulement un truc enfantin.

J’avais aussi vu un documentaire assez politique sur le dessinateur américain Robert Crumb sur Arte. J’avais l’impression que c’était un peu sérieux, fascinant et provoquant… Ensuite est arrivée toute la vague manga, surtout Akira qui m’a bien marqué. J’étais parti pour dessiner comme Otomo tout le temps… Enfin, pour essayer de dessiner comme lui ! (rires)

AKIRA, de Katsuhiro Otomo, est le premier manga a avoir été publié en France. Son adaptation animée, réalisée par Otomo lui-même en 1988, est aussi culte.

Otomo était invité l’an dernier au Festival de la BD d’Angoulême. Dans une conférence, quelqu’un lui a demandé “qui aimez-vous en auteur actuel de BD ?”. Et Otomo a répondu “Bastien Vivès”, l’un des auteurs de la BD Lastman… Qu’est-ce que ça t’inspire ?
C’est super cool pour Bastien. Tant mieux pour lui.

Ce que je veux dire, c’est que Otomo, qui apparemment t’a marqué, a regardé votre série et l’a validée
Quand il parle de Bastien, c’est entre eux. Je n’ai pas l’impression de faire partie du truc. Je pense qu’Otomo connaît surtout la bande dessinée Lastman, il l’a lue en japonais parce qu’elle a été traduite. Pour ce qui est du dessin animé, je sais qu’il a vu un petit bout de l’épisode 1. Apparemment, et c’est ça qui m’a fait plaisir, il a trouvé que c’était bien. Enfin que ça avait l’air bien, parce qu’il n’a rien compris aux dialogues. (rires) Ça, ça m’a fait vachement plaisir – même si je me méfie en me disant que c’était peut-être juste une politesse japonaise…

Il y a quand même un truc hyper agréable : c’est pour l’adolescent qui est en moi et qui adorait Otomo, qui sait qu’il a vu l’épisode 1 et qu’il a trouvé ça bien. Ca fait hyper plaisir. Mais ce n’est pas pour ça que je fais ce métier.

On va revenir sur ton parcours. Tu as fait aussi une série animée très étrange, « Fabienne Dupond »
Fabienne Dupond, c’était une connerie qu’on faisait quand on était dans un studio qui s’appelle « Je suis bien content ». C’est un studio qui existe depuis environ vingt ans, et qui a fait Persepolis, Avril et le Monde Truqué, Molusco (qui est une série pour Disney), et donc Lastman aussi…

J’étais avec des copains là-bas qui sont aussi réalisateurs ; un midi, on regardait les vieux épisodes de Mimi Cracra sur Dailymotion et ça nous a fait halluciner de nullité ! (rires) On s’est dit “Voilà, ça c’est le talent français. Et si c’est ça le talent français, on peut en faire autant…”

Donc on a fait une parodie d’un genre de dessin animé foireux des premières séries télé françaises. Au début on a fait trois-quatre épisodes d’un coup, maintenant on fait un épisode tous les cinq ans… (rires)

L’épisode 1 de Fabienne Dupond.

J’ai fait aussi une mini-série qui s’appelle Merci Satan et qui est trouvable sur YouTube. C’est quatre épisodes/sketchs très courts, qui n’ont pas de lien particulier entre eux.

« Mystery Boy », le troisième sketch de Merci Satan.

C’était une adaptation ?
Non, pas du tout. Lastman, c’est la seule adaptation que j’ai accepté de faire dans la mesure où ce n’était pas une adaptation littérale. Il fallait ré-écrire une histoire, et c’est ce qui m’a vraiment donné envie. Au départ, quand on m’a parlé de faire Lastman en dessin animé, j’étais moyen chaud parce que je me disais “OK, il y a un intérêt à pouvoir faire une série d’animation pour un public plus âgé que d’habitude en France, ça c’est cool”, mais en même temps ça me soûle un peu les adaptations littérales de BD en dessin animé…

Or, c’est beaucoup ça à la télévision : je pense que les chaînes essaient de se rassurer sur des franchises, et du coup il y a un côté tellement prémâché… Sur une adaptation de roman, tu n’as aucun visuel, donc tu as toute une liberté pour te réapproprier l’univers.

Alors qu’une BD, il y a déjà des dessins ; quand tu l’adaptes en dessin animé, il n’y a plus grand chose à faire à moins de trahir complètement l’œuvre. Ce qui était mon intention de départ pour Lastman (rires), genre “OK je vais les convaincre que je vais tout changer” et je n’en ai même pas eu besoin. Eux aussi voulaient faire une autre histoire, donc on s’est entendus là-dessus très rapidement.

La série animée Lastman a été mise en chantier à quel moment ?
Ça va faire bientôt quatre ans. Le tome 1 et 2 de la BD étaient sortis, et le 3 était sur le point de sortir. Quand on a parlé de l’adaptation animée ensemble, on a assez vite décidé qu’elle serait un prequel (les événements se déroulent avant l’histoire principale, NDLR), comme ça personne — que ce soit de la BD ou de la série animée — ne se marcherait sur les pieds, mais au contraire ne ferait qu’enrichir l’autre.

Dans un premier temps, on était cadrés par la BD, on devait s’en inspirer. Il y a des personnages qu’on ne devait pas trahir au niveau du caractère, comme Richard ou Tomie, mais au bout d’un moment, nous avons créé d’autres personnages.

Sur les deux cents personnages de la série animée, il n’y en a peut-être que huit ou neuf en commun avec la BD.

Mais ce sont des personnages importants, donc il ne fallait pas les trahir… On en a créé des nouveaux, ainsi que de nouvelles situations qui ont finalement inspiré la bande dessinée, et réciproquement.

Est-ce que les auteurs de la BD avaient une vision sur le long terme de la direction de l’histoire ?
D’après ce que j’ai compris, et que j’ai entendu dans les conférences que j’ai faites avec eux, ils ont des jalons clairs de l’histoire dans leurs têtes, mais ce sont des jalons plus ou moins éloignés. Ils ne savent pas toujours comment il vont atteindre ce jalon-là, ce qui est un moyen pour eux de préserver une certaine improvisation et surtout une certaine fraîcheur à chaque fois qu’ils commencent un nouveau volume.

Si tu planifies douze volumes de BD à un moment de ta vie et qu’ensuite tu ne fais plus que « dé-zipper » ce que tu as imaginé à ce moment-là, ça peut devenir pesant…

Peut-être qu’entretemps tu as changé d’avis, que tu as eu de nouvelles expériences dans la vie que tu as envie de mettre dans ta BD – et que tu es bloqué parce que tu as déjà tout figé.

Ils voulaient éviter ça. Ils ont des idées générales, je crois qu’ils ont l’idée de la fin. Maintenant, encore une fois, je pense qu’il y a des choses qui ont été un peu chamboulées par la série animée. Cela n’a pas changé toute leur vision de fond en comble, mais je pense qu’il y a des éléments venus de la série qui les ont inspirés pour la fin, et pour des éléments qui apparaissent en ce moment dans la BD. Le tome 10 sort prochainement, et je crois qu’il a à voir entre les deux histoires.

Le tome 10 de la BD Lastman sort fin août. Il contiendra un code permettant de regarder gratuitement pendant un mois les séries de Studio+, dont Lastman.

Dans la bande dessinée Lastman, il y a moins d’éléments fantastiques que ceux que tu développes dans la série
Le principe du fantastique – tel qu’il est amené dans la série animée – vient d’une contrainte : dans la bande dessinée, il y a une part de fantastique du fait qu’il y a deux univers parallèles dans lesquels on voyage constamment.

L’une des idées de départ de Bastien Vivès, c’était de faire un Richard Aldana qui voyage de monde en monde jusqu’à arriver dans la Vallée des Rois.

J’ai pensé que ce n’était pas possible, parce que ça allait coûter très cher… A chaque épisode, il fallait repenser tout l’univers, ça aurait demandé un temps monstrueux aux décorateurs. Ça avait un côté un peu One Piece, sauf que dans One Piece, chaque île correspond à une, deux ou trois saisons, donc ils ont le temps d’exploiter sous tous les angles tous les décors qu’ils ont créés.

Le générique des premiers épisodes de One Piece.

Il y a un parallèle entre One Piece et vous, c’est que Oda, l’auteur de One Piece, a créé un univers cohérent qui lui permet de dessiner TOUT ce qu’il kiffe. S’il veut mettre des vampires, des ninjas ou des guerriers du futur ensemble, ça passe. Je trouve que, justement, l’univers de Lastman permet aussi ça. Il y a plein de portes qui sont ouvertes mais il y a une cohérence, même quand des mafieux côtoient des chevaliers et des monstres…
Tant mieux ! Cela pouvait être une crainte, effectivement, que ce soit un bordel incompréhensible.

Dans la série animée, j’ai essayé de réunir les éléments qui me plaisaient à titre personnel. Je suis un peu moins heroic fantasy que les autres… Pour rejoindre ce que je disais tout à l’heure, je leur ai dit qu’il fallait une unité de lieu.

Pour la série animée, on se limite donc à une ville : Paxtown, la ville de Richard.

Quelques uns des décors de Paxtown créés pour la série Lastman.

Et on fait venir à lui l’élément fantastique non pas par des paysages, des décors et des machins, mais par des personnages. Comme ça, on peut développer plusieurs personnages avec des pouvoirs différents pour qu’il y ait un peu de renouveau.

C’est plutôt comme ça que s’est concentré le fantastique. Ça nous a assez vite fait penser à Buffy ou ce genre de série, avec la formule « le monstre de la semaine », mais qu’on a essayé de casser un peu, parce qu’on a mêlé différentes arches dramatiques. On a ajouté le principe de la compétition, le principe de l’enquête de police…

Le mélange fonctionne plutôt bien dans le dessin animé, dans la mesure où il se déroule dans un monde qui ressemble au nôtre. C’est une espèce de parodie du nôtre, une ville occidentalo-bordel dans laquelle, forcément, il y a de la mafia – comme il y en a pour de vrai. Donc c’est crédible ensemble.

Mais ce qui l’est moins, et qui est plus délicat, c’est d’ajouter des personnages qui se transforment en monstres. Le vrai pari, c’était celui-là : que cela reste crédible, et qu’on y croie à fond.

Parce que souvent, en France, on relève plutôt de la parodie. Gotlib, que j’adore, est un bon exemple : il représente une façon hyper-cartésienne de regarder le genre et de s’en moquer un peu. Même si c’est gentiment et avec amour, c’est genre: « ouais c’est quand même des conneries tout ça, ça n’existe pas les monstres ». Bien sûr qu’il n’y en a pas, mais j’avais envie qu’on y croit quand même. Un peu comme le font les Américains, les Japonais, les Coréens, les Italiens et à peu près tout le reste de la planète quand il font du cinéma de genre. Sauf chez nous.

Dans ta série, je trouve qu’il y a un côté Jack Burton dans les griffes du Mandarin, le film culte d’action fantastique des années 80.
Complètement, c’était une des références dans notre vision de Richard Aldana avec Laurent. J’avais l’impression que Bastien, Balak et Michaël le voyaient plus comme une sorte de Bruce Willis/John McClane ; nous, on y voyait plus un Kurt Russell, un mec un peu perdu au milieu d’histoires qui le dépassent complètement. Donc complètement Jack Burton, oui.

Big Trouble in Little China (1986) ou en français, Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin.

Au-delà de l’esthétique, je trouve que l’influence des films des 80’s se retrouve aussi dans l’histoire, la dynamique.
Cela vient de deux choses : l’action se déroule avant la bande dessinée, donc il fallait donner un petit parfum rétro. L’autre point, c’est que je suis très influencé par cette période-là. C’est l’époque dans laquelle j’ai grandi, où j’ai vu un max de films. Mes références essentielles sont les années 70, les années 80 effectivement, un peu du début des années 90 aussi. Les films de John McTiernan, Brian de Palma, Dario Argento… Avec le temps je trouve que le cinéma de genre a perdu un petit truc. Il est devenu cynique, beaucoup méta/auto-référencé…

Piège de Cristal (1988) de John McTiernan, souvent considéré comme le meilleur film d’action de tous les temps.

Tu penses à des films comme Scream, Cabin in the Woods etc ?
C’est ça. Pour moi, le premier qui ouvre la porte à tout ça, c’est Tarantino. Ce côté coup-de-coude avec le spectateur, genre « c’est un film, on s’en fout ! ». Un de ses pires enfants, pour moi, c’est Deadpool, qui se met à parler aux spectateurs…

La scène d’intro de Deadpool (2016).

J’avais envie de revenir à un truc un peu plus sérieux, premier degré. Ce qui n’empêche pas le fait que ça peut être marrant, le premier degré. Mais la mise en scène, la narration doivent être respectueuses du genre, de l’action, des personnages. Après, si les personnages ont un caractère à faire des vannes, c’est leur caractère, ça ne me regarde plus.

On parle de références animées et 80’s. Dans les épisodes de Lastman, il y a aussi des cartons de coupure au milieu des épisodes. Pourquoi ?
Encore une fois, c’est des contraintes. On était serrés au niveau du budget donc on a essayé de trouver le max d’idées et d’astuces pour faire le moins d’animation, gratter des trucs. Ces cartons, ça nous faisait gagner cinq secondes par épisode, on en était là… Par ailleurs, normalement, ce genre de coupure c’est des cartons publicitaires en réalité, des virgules : après ce carton-là, tu as une pub, puis tu as le carton qui revient. Chez nous il n’y a pas de pub, mais je trouve intéressant de suggérer qu’il y aurait de la publicité à ce moment-là. Je trouve que ça colle avec l’univers de Paxtown, où tout est mercantile à mort.

C’est aussi des codes de l’animation japonaise
Complètement, ils appellent ça des « eye-catch » je crois. Quand tu écoutes des bandes originales de dessins animés japonais – si jamais tu fais ça un jour (c’est une de nos passions, NLDR) – il y a des pistes dans lesquelles tu as souvent plein de petites musiques à la suite. C’est ces musiques-là : c’est des musiques de jingle, les « eye-catch ». J’ai sans doute une influence un peu 80’s… J’ai essayé de la minimiser, mon but n’est pas non plus que ça soit nostalgique – ça me soûle vraiment le trip Stranger Things, que je trouve assez creux au final.

D’ailleurs, est-ce qu’il y a des animateurs qui travaillent encore sur celluloïd (la méthode traditionnelle d’animation, qui consistait à dessiner et peindre sur des feuilles transparentes, NDLR) ?
Non c’est fini, on est sur des tablettes graphiques Cintiq de Wacom maintenant. Tout est dessiné à la main dans Lastman, mais c’est dessiné sur machine : c’est juste qu’on a viré le papier, le scan… A une époque, il y avait les cellulos, que j’ai pratiqués. C’est hyper cool, je suis très content d’avoir vécu ça, mais en même temps c’est un cauchemar ! C’est pas plus mal qu’aujourd’hui il n’y ait plus tout ça…

Eric Goldberg, l’un des animateurs historiques des Studio Disney, raconte sa bascule vers la tablette graphique.

D’un côté on a gagné vachement de temps, il y a beaucoup moins de pénibilité dans l’animation avec tout ce qui est digital. Mais d’un autre côté, voyant qu’on va un peu plus vite, les productions vont aussi plus vite : du coup c’est aussi vraiment devenu la course.

Les auteurs de la bande dessinée Lastman sont tous bien chauds en animation, et ont une vraie sensibilité dans ce domaine. Est-ce que ça t’a mis une pression sur la série animée, ou est-ce qu’au contraire ça a nourri la réflexion ?
Ça a été d’une grande aide. J’ai surtout bossé avec Balak (l’un des auteurs de la BD, qui travaille aussi pour Marvel et qui a développé un format digital qu’il a baptisé le Turbo Media, au croisement entre la BD et l’animation, NDLR).

La dernière production Turbo Media de Balak, l’un des auteurs de la BD Lastman. Cliquez pour la découvrir (et progresser dans l’histoire)

Avec les auteurs de la BD et Laurent Sarfati, le directeur d’écriture, on a décidé d’une arche dramatique très générale, avec les jalons principaux de la série : le ton, la fin, ce à quoi on en arrive. Le héros va devoir gagner une coupe qui a été faite par un roitelet, on se dit « voilà, ya les roitelets, il va devoir tous les tuer, et il ouvre le passage pour la Vallée des Rois ». C’est ce qu’on a décidé ensemble, en gros.

Ensuite, Bastien et Michaël sont repartis dans la bande dessinée, et c’est Balak qui a continué à écrire avec nous, parce qu’il était l’un des plus enthousiastes. On sentait qu’il avait envie d’y bosser et Laurent a eu l’idée de lui proposer de nous rejoindre pour faciliter tout. Pour qu’on ait déjà comme une sorte de validation automatique des auteurs, sans qu’on soit à travailler dans notre coin. Il était là, et c’était super fluide.

Sinon, le fait qu’ils aient tous de l’expérience en animation a fait qu’ils m’ont vachement fichu la paix ! (rires) Parce qu’ils savent que c’est super chiant et contraignant à faire…

Une séquence de baston dans Lastman.

C’est d’ailleurs pour ça qu’ils n’en font pas beaucoup et qu’ils font surtout de la BD. Quand je leur disais « cette idée-là va coûter cher, il vaut mieux faire comme ça », ils me disaient « ouais, ok ». Et ça franchement c’est cool, parce que je pense qu’il y a plein d’auteurs de bande dessinée qui se sont retrouvés dans la situation de faire des dessins animés ou d’être impliqués dans une production d’animation et qui….

…N’ont pas conscience de la réalité du truc ?
Pas toujours, non. Et ça peut mener à deux choses : soit ils se font arnaquer, soit ils ont l’impression qu’ils vont se faire arnaquer, alors qu’en fait non. Et du coup ils n’écoutent plus ce qu’on leur dit… Parfois ça se passe bien – heureusement – mais là, en l’occurrence, il n’y avait même pas à préciser le fond de ma pensée.

Comment tu expliques que la France soit un des plus gros marchés pour le manga shōnen (manga pour jeunes garçons, type Dragon Ball, Naruto, One Piece, NDLR) et l’animation japonaise, et que cela soit si difficile de produire de l’animation pour adultes ici ?
On peut aussi voir le truc dans l’autre sens : ça commence à exister. C’est normal, ça prend du temps, et j’ai l’impression que lorsqu’il y a des mouvements qui partent de la jeunesse – parce que c’est quand même un public jeune/ado qui lit du shōnen – ça prend toujours beaucoup de temps à arriver. Et si on parle en plus du monde de la télévision, c’est Dinosaures Land : changer un peu de cap, ça prend dix ans…

Est-ce qu’en fait ce ne serait pas vous, la première génération à avoir grandi avec cette culture, et à avoir une palette de compétences qui permet d’avoir enfin des projets qui tiennent la route ?
Complètement… Accordé au fait que, du côté des diffuseurs, il y a une génération un tout petit peu avant nous qui a un esprit ouvert et une curiosité pour les nouvelles formes en animation. Je pense à Pierre Siracusa, Joseph Jacquet et Tiphaine de Raguenel chez France Télévisions… C’est un peu la même chose, et c’est ce qui fait que tout ça a été possible, alors qu’il y a quelques années c’était impensable.

Vous avez prévu de faire une suite à cette saison ?
Oui, on en a très envie. On attend des retours des diffusions à l’étranger, elle va bientôt être diffusé aux Etats-Unis notamment ; via Studio + elle va être diffusée en Amérique Latine, dans le reste de l’Europe, il y aura une diffusion en Asie du Sud-Est également je crois…. C’est de ça que ça va dépendre en fait. Mais oui, il y a déjà des premières recherches faites entre Laurent et Balak.

Trailer international de Lastman.

Il y a un truc qui me fait beaucoup rire dans Lastman, que ça soit dans la BD ou la série : certains de vos personnages sont dessinés à partir de personnalités réelles. Je pense au chanteur Michaël Gregorio et aux frères Bogdanov, par exemple. Dans ta série, il y a un scientifique véreux qui a la tête de Bastien Vivès, quels sont les autres clins d’œil ?
Il y a les trois auteurs de la BD : Balak joue un bookmaker dans l’épisode 12, Michaël Sanlaville (qui n’est pas forcément bien dessiné) est un boxeur à l’entrainement. On a quelques caméos : l’humoriste Louis CK qui apparaît dans l’épisode 3, c’est un flic. Tim et Eric qui sont pris en otages dans l’épisode 18.

Il y a aussi Gobi, un des designers de la série, qui s’est auto-dessiné parce que c’est lui qui a fait le design du personnage. Genre moi je suis un super chevalier, mais qui n‘apparaît que dans un flash qui dure deux-trois images. Après, il y a des clins d’œil entre nous, des gens de la production qui apparaissent dans la foule des matchs de boxe… Il y a aussi des inspirations : une nana qui ressemble un peu à Grace Jones, vous ne pourrez pas la louper.

La réaction des frères Bogdanov quand ils ont découvert les personnages inspirés par eux dans la BD Lastman.

Je ne sais pas si c’est moi que me fais une parano, mais le personnage de McKenzie me fait penser à Docteur Who…
Effectivement il y a une inspiration, c’est une espèce de mash-up entre David Tennant et Vincent Ropion, qui est le comédien qui fait la voix d’Howard McKenzie (et qui faisait celle de… Nicky Larson, NDLR). Certains disaient qu’il avait un petit air de Sherlock… C’est le côté manteau peut-être, ou les cheveux bouclés. (rires)

Le personnage d’Howard McKenzie dans Lastman.

Les meilleurs moments de David Tennant dans la série Doctor Who.

Vu qu’on parle d’inspiration : il paraît que c’est toi le Jérémie des BD « Les Pauvres Aventures de Jérémie » de Riad Sattouf !?
Il paraît ouais. (rires) Riad et moi on se connaît depuis super longtemps. On était aux Gobelins ensemble, on s’est connus à cet époque-là. C’était au départ un super hommage – ça l’a toujours été d’ailleurs, mais comme j’étais pas hyper sûr de moi à l’époque, et que j’entendais des gens dire « ouais c’est trop toi ! » alors que le personnage a la grosse loose et tout… (rires) Le fait est que maintenant, je m’en fous : je trouve ça très marrant, mais c’est d’autant plus marrant qu’en réalité toutes les aventures qui lui arrivent ne sont que des trucs inventés – à part deux-trois anecdotes à la con dans le premier volume.

Je bossais aussi dans une boîte de jeu vidéo à l’époque, du coup je racontais des conneries à Riad et ça l’a un peu inspiré. Mais sinon, je pense que ce personnage, c’est vachement plus Riad que moi…

Jérémie Périn en 2014, et un extrait des Pauvres Aventures de Jérémie par Riad Sattouf (2003)

Riad Sattouf a aussi fait des voix sur certains de tes projets animés ?
Oui, dans Spuf, un pilote que j’avais fait en pixel art. Pour un Festival d’Angoulême, j’avais aussi fait une mini-adaptation ultra-courte d’une BD de Riad qui s’appelle Pipit Farlouse, pas forcément très connue mais qu’il va apparemment rééditer, parce qu’elle a un peu disparu de la circulation. Il avait aussi fait des voix dessus, forcément.

Clique x Riad Sattouf.

On m’a dit que le style de dessin de la BD Lastman, qui est assez épuré, avait dû être très difficile à adapter en animation, surtout pour les visages. Tu confirmes ?
Sur de l’animation 3D, où tu figes les personnages comme une sculpture, adapter le dessin de Bastien et de Michaël aurait été très compliqué. Mais dans notre adaptation animée, qui reste encore dessinée, il y a des moments où tu peux encore un peu tricher avec les angles etc. Mais en vérité, la question ne s’est pas tellement posée, parce qu’encore une fois toute la bande m’a laissé les coudées franches. Pour eux, chaque medium a sa version de l’univers de Lastman, ce qui est du coup très accueillant pour la personne qui se retrouve à tenir les rennes d’un tel projet.

Le design est quand même très fidèle !
Oui bien sûr, parce que dans ce cas c’est assez réaliste. Mais si tu regardes bien, tu verras que, dans la bande dessinée, Richard a peut-être un plus gros menton que dans le dessin animé. J’ai raboté sa mâchoire parce que j’ai repensé à Schwarzenegger, dont j’ai entendu dire qu’il avait une espèce de maladie… Je ne sais même pas comment ça s’appelle, ni si c’est vrai : ses arcades sourcilières et sa mâchoire, bref ses os du visage, auraient eu une croissance exagérée, donc qu’il se serait fait opérer….

Bon, comme tout le monde en vieillissant, il n’a pas la même ossature de visage, mais j’ai l’impression qu’entre Conan le Barbare et True Lies il est un peu plus fin, et je ne pense pas que ça soit seulement le fait de vieillir. Du coup, je me suis dit que j’allais rajeunir Richard, lui ajouter un peu de cheveux, et qu’il n’aurait pas de barbe de trois jours. Aussi parce qu’en animation les petits poils qui se baladent, c’est compliqué…

L’évolution de Schwarzenegger au fil des années.

Est-ce que vous avez prévu que les histoires se rejoignent ?
Oui, vous verrez. L’objectif était multiple, j’avais aussi envie qu’il y ait une vraie fin à la série.

Que ce soit un objet à part ?
Exactement, tout comme la BD peut être un objet à part. Que les deux puissent être regardés ou lus dans n’importe quel sens, sans qu’il y ait des clins d’œil à gogo. Je voulais que ce soit un objet qui se suffise à lui-même, qui ait une vraie fin mais qu’il garde la possibilité d’avoir une petite ouverture vers la BD. Que ça puisse amener à la BD, mais qu’en même temps on puisse encore mettre une ou deux saisons entre les deux si on en avait envie.

On est tellement habitués à ce qu’il y ait des suites que, comme la saison 1 se termine sur une fin ouverte, énormément de gens réclament une saison 2 pour savoir ce qui se passe après. Bah les gars, utilisez ce pouvoir mystérieux qu’est l’imagination personnelle ! (rires)

C’est aussi un moyen pour le spectateur de se réapproprier les œuvres et de ne pas juste être passif. J’aime l’interaction avec le spectateur et je pense qu’une œuvre de fiction est interactive, vraiment.

On nous dit souvent « ouais c’est le jeu vidéo qui est interactif » : oui, littéralement on joue des personnages… Mais un film ou une série peut jouer avec toi, et tu peux jouer avec elle : il y a toujours des blancs, des contre-champs, du off, des choses que tu peux remplir et te réapproprier. C’est pour ça que chacun a un peu sa version à lui de chaque film… Et c’est aussi pour ça que, quand on fait des suites et des nouveaux Star Wars, tout le monde est un peu déçu.

Trailer du jeu vidéo LASTFIGHT, sorti en 2016 (Steam, PS4, Xbox One).

Aujourd’hui, Lastman existe dans une BD, une série animée et un jeu vidéo qui se complètent. Ça me fait penser à la grande époque de Matrix, où il y avait trois films, une série animée et un jeu vidéo qui liaient précisément tout cet univers. C’était une référence ?
Je ne crois pas, parce que c’est vraiment un heureux hasard que les auteurs de la BD Lastman aient pu avoir des suites dans des médias différents. Quand ils ont commencé à créer leur BD, ils ne s’imaginaient pas que ça deviendrait tout ça. Il y a eu des concours de circonstance genre « ouais ok allons-y ».

C’est ça qui est cool, il n’y a pas de volonté marketing à la base…
Non, et c’est ce qui fait aussi qu’à chaque fois, il y a un truc qui se ressent, une espèce de sincérité, de spontanéité. Un côté grand bac à sable, de se dire « tiens, si on se marrait à faire ça ? », plutôt que de se dire « et là on va leur piquer tout leur fric ! » (rires)

Qu’est-ce que tu as fait depuis la fin de la saison 1 de Lastman ? Tu as des projets ?
J’ai bossé un peu sur Les Hirondelles de Kaboul, un nouveau film d’animation qui devrait sortir en 2018.

LES HIRONDELLES DE KABOUL – Pilote VF sous-titré anglais from Les Armateurs on Vimeo.

Là, je suis sur une mini-série que j’ai créée avec Gobi, un des designers de Lastman, et qui est une sorte de dessin animé d’action post-apocalyptique mais aussi psychanalytique.

C’est une sorte de Ken le Survivant qui fait son auto-analyse. C’est de l’ultra-violence métaphorique et métaphysique. Visuellement, c’est assez dégénéré, avec des streums ultra-bizarroïdes.

J’ADORE CE PITCH.
Ça va assez vite voir le jour ; on est censés finir pour la fin de l’année. C’est les producteurs des Kassos qui produisent ce projet. Je file un coup de main, et après je laisse les rennes à Gobi et à Jérémie Hoarau, qui était mon assistant-réalisateur sur Lastman et qui est aussi l’un des créateurs de Fabienne Dupond. J’aimerais repartir sur un projet que j’ai depuis longtemps : faire un long métrage de science-fiction.

En animation?
Oui. On a commencé à écrire des trucs avec Laurent, pour l’instant ça me plait bien, c’est encore un peu tôt pour savoir de quoi il s’agit.

Tu as un conseil pour les gens qui veulent réaliser des dessins animés ?
Ça ne tombe jamais tout cuit. Mon truc, c’est qu’en même temps que je faisais des boulots dans l’anim’ pour vivre, des storyboards etc, le soir et le week-end je faisais des dessins animés à moi. Des projets de pilotes, de courts métrages, des conneries comme ça… Que je faisais pour rien, avec zéro moyen, tout seul. Je faisais absolument tout pour m’entraîner, et pour éventuellement avoir quelque chose à montrer et pouvoir dire “je sais faire, laissez-moi faire”.

Mais en même temps, je n’osais pas montrer mes trucs.

J’avais une espèce de parano qu’on me vole mes idées, mélangée à une crainte de ne pas être à la hauteur, à me dire “est-ce que c’est vraiment intéressant ce que je fais ?” Et des copains à moi m’ont un peu forcé la main pour que je leur montre. Ils me donnaient leur avis, et je me suis rendu compte qu’au final ce n’était pas la mer à boire. On m’a dit “c’est pas si mal, tu veux faire un épisode de telle série, vas-y, fonce !

Il ne faut pas avoir peur de montrer son travail. Et il faut être prêt à suer pas mal, parce que c’est assez fatiguant comme boulot…

Vous pouvez regarder gratuitement le premier épisode de LASTMAN sur le site de Studio+, et vous abonner à Studio+ ici (sans engagement). Le tome 10 de la BD Lastman contiendra un code d’un mois d’essai gratuit de Studio+.

Propos recueillis par Anthony Cheylan, avec l’aide de Max Danet.

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