Oops! Aucun résultat
Société
Par Fanny Marlier

« C’est dur d’être féministe en 2015 », rencontre avec Anne-Cécile Mailfert

Qui êtes-vous ?
Je suis Anne-Cécile Mailfert, j’ai 31 ans et je suis militante féministe. J’ai été porte-parole d’Osez le féminisme de 2013 à mai 2015. J’ai fait ma carrière dans l’entrepreneuriat social, et suis actuellement en train de monter le projet de fondation des femmes. Le lancement aura lieu le 8 mars prochain (date de la Journée des droits des femmes, Ndlr). On rassemble le plus de monde possible, citoyens, mécènes, chef-fes d’entreprises, artistes, tous ceux qui souhaitent s’engager sur la question et aider les associations qui oeuvrent pour l’égalité femmes-hommes.

À partir de quel moment avez-vous ressenti le besoin de vous engager dans la cause féministe ?
Il y a eu plusieurs événements marquants, mais le premier c’est lorsque j’ai compris qu’il y avait une grosse différence de traitement si l’on était fille ou garçon. Un jour, au collège, un professeur nous a donné un cours sur la reproduction. Alors qu’en réalité, on se reproduit, en moyenne, deux fois dans une vie… et évidemment la question du plaisir et de la sexualité n’avait pas du tout été abordée alors que là, c’est déjà plus fréquent ! À la fin du cours, entre nous, on a parlé de la masturbation.

Et là, quelque chose m’a frappé. Les garçons en parlaient comme si c’était une preuve de leur virilité, alors que pour les filles, il était impossible de dire quoique ce soit.

Lorsque j’ai raconté que j’avais déjà essayé, c’est devenu très violent, on m’a traitée de salope et les filles se sont désolidarisées car elles avaient aussi peur d’être montrées du doigt. À l’époque, je ne pouvais pas encore le politiser où y penser en tant que manifestation de la domination masculine… J’avais 14 ans.

Comment l’analysez-vous aujourd’hui ?
Je me suis rendue compte qu’il y avait une grosse arnaque en quelque sorte. Malgré ce qu’on nous racontait sur l’égalité, les filles n’avaient pas le droit de faire ce qu’elles voulaient avec leur corps, c’était une sorte d’interdit social. À partir de là, j’ai compris deux choses.

Tout d’abord, il y a de vraies inégalités entre les filles et les garçons et la sexualité est au cœur de ce phénomène. Ensuite, quand tu es toute seule pour défendre une liberté, c’est très difficile. C’est même quasiment impossible.

Et donc, quand tu es une femme qui défend des positions avant-gardistes par rapport au reste d’un groupe, il est fondamental que les autres femmes se solidarisent pour pouvoir mener ton combat d’idées. Le féminisme, c’est une aventure collective avant tout.

En début d’année vous avez sorti le livre « Ils ne décideront plus pour nous » (Ed. Les Petits Matins) où vous racontez votre avortement à l’âge de 18 ans. Dénonçant la supposée « banalisation de l’avortement », Marion Maréchal-Le Pen, tête de Liste en Paca, promet de couper les subventions au Planning familial en cas de victoire aux régionales. Que lui répondez-vous ?
Qu’on ne la laissera pas faire.

L’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse, Ndlr) est le résultat d’un long combat féministe, cette liberté est une vraie chance pour toutes les femmes. Pour chacune d’entre nous, chaque grossesse devient un choix et jamais une contrainte.

L’IVG concerne 33% des femmes en France !

Le Planning familial est une organisation fondamentale. C’est un endroit où tu peux aller librement, sans crainte, où tu es bien conseillée et prise en charge par des professionnels. Comme beaucoup je m’y suis fait prescrire mes premières pilules quand j’avais peur d’aller voir le médecin de famille !

Si les choses ont avancé dans le bon sens ces dernières années avec notamment la suppression du délai de réflexion en septembre dernier, ça reste fragile comme on peut le voir à travers les récentes velléités de Marion Maréchal-Le Pen.

Le contrôle des corps des femmes et de la reproduction est un enjeu de pouvoir du système patriarcal sur les femmes. Et Marion Maréchal-Le Pen est infestée par le système patriarcal, elle en est une grande défenseuse.

Donc si vous mettez des fachos au pouvoir – et vraiment, il faut que les femmes l’entendent : ce qu’ils vont faire, c’est revenir sur les droits des femmes. Le Front national dit aussi qu’il faut que les femmes rentrent à la maison pour laisser les emplois aux hommes.

Je suis assez abasourdie et effarée de voir qu’autant de femmes peuvent voter FN aujourd’hui. Mais c’est, sans doute, parce que le FN est suffisamment malin pour mettre des femmes à sa tête, ce que ne font pas d’autres partis. C’est un trompe-l’œil, ils font croire qu’ils sont un parti moderne, alors que ce n’est absolument pas le cas. Ils puent le formol rance.

 

Hasna Aït Boulahcen, fait partie des trois terroristes morts de l’assaut de Saint-Denis. Les médias l’ont présentée comme une fille frivole menant une vie de débauche. Qu’est-ce que cela traduit de notre société ?
Déjà, ça montre que le pendant de la délinquance pour les garçons (les médias supposent également que les kamikaze étaient des délinquants) c’est la « frivolité » chez les filles. Vu que ce n’est pas commun chez une femme d’être kamikaze, ils cherchent l’explication dans des comportements déviants, et la déviance pour une femme c’est boire de la vodka et coucher avec les garçons…ce qu’on appelle la frivolité.

Maintenant, le fait que ce soit rare pour une femme révèle d’autres choses. Il est faux de penser que les femmes seraient par nature plus douces ou plus gentilles. Les femmes sont, physiquement et génétiquement, tout aussi capables que les hommes de prendre une kalachnikov, de devenir kamikazes et de faire des atrocités.

Si ce sont plutôt des hommes aujourd’hui, c’est parce que Daesh théorise la barbarie et que ça fait échos à l’ultra-virilité. Ils organisent un réseau d’esclavage de femmes. Des hommes deviennent des barbares surpuissants qui violent et tuent. Dans ce cadre-là, les femmes qui rejoignent Daesh ne deviennent pas des combattantes, a priori, elles sont des épouses de guerriers.

Donc, quand on dit qu’une jeune femme se serait fait exploser, on cherche des explications. Je trouve ça dommage qu’on n’ait pas présenté les choses de la sorte : une jeune femme qui, semble-t-il, a eu une enfance assez terrible, et une vie d’adulte compliquée. Elle avait un parcours chaotique et des fragilités, ce qui explique pourquoi elle a pu être probablement facilement manipulée. De fait, l’histoire dira qu’elle n’avait même pas été kamikaze. Très vite, en tout cas, on a vu arriver dans les médias des spécialistes de femmes kamikazes, alors qu’en fait ce n’était pas du tout ce qu’il s’est passé.

A la fin du mois de janvier, vous avez été victime d’harcèlement, pouvez-vous nous raconter ce qu’il s’est passé ?
Avec Osez le féminisme, nous avions dénoncé la fresque d’une salle de garde de jeunes internes en médecine du CHU de Clermont-Ferrand qui nous est paru constituer un appel au « viol collectif ». On y voyait des super-héros, Superman, Batman, ou encore Flash qui maintenaient Wonder Woman, et la violaient. Des bulles y avaient été rajoutées dans le contexte de la grève des médecins contre la loi présentée par la ministre de la Santé Marisol Tourraine, avec les phrases : « Tiens, la Loi santé ! », ou « Prends-la bien profond ! ». A la suite de quoi la fresque a été recouverte. J’ai été victime d’un vrai acharnement.

Qu’avez-vous ressenti au moment où vous avez vu tous les messages, les photomontages pornographiques etc ? Quelqu’un a même dévoilé votre numéro de téléphone sur Facebook.
Tu commences à recevoir un appel, puis un deuxième, puis un texto, puis un deuxième et ça s’accélère… C’est comme ça pendant deux-trois jours, toutes les cinq minutes. J’avais affaire à des personnes qui se sentaient toutes puissantes. Juste parce qu’on dénonce une fresque qui est, à l’évidence, très violente, des médecins de toute la France, m’ont envoyé des textos d’insultes et de menaces.

C’est dur d’être féministe. Vous mettez le doigt sur une vérité, et en face, vous avez un pouvoir tout-puissant qui n’a aucune envie de se remettre en question, et qui va plutôt essayer de vous faire taire, de vous impressionner, de vous écraser, plutôt que de se remettre en question sur le fait qu’ils ont merdé.

J’ai déposé deux plaintes : une plainte auprès des services du Procureur pour appels malveillants, menaces, harcèlement…et une plainte avec constitution de partie civile devant un juge d’instruction pour injures en raison du sexe. Sur le plan des appels malveillants, trois médecins qui avaient été entendues au préalable par les services de police ont reçu un rappel à la loi de la part du Procureur de la République. C’était important que les femmes sachent que lorsqu’elles sont menacées ou autre, elles peuvent réagir, en portant plainte. Ça va assez vite. Et puis surtout, c’est pour leur montrer qu’ils ne sont pas tout puissants. Qu’ils soient médecins ou autre, la loi est la même pour tous.

Le processus de la deuxième plainte pour injure sexiste est beaucoup plus long, on va essayer de dégager une jurisprudence. Pour le moment, et hors l’affaire d’Orelsan qui est toujours en cours, il n’y jamais eu de condamnation pour injure en raison du sexe, qui est un délit depuis 2014. Or, j’ai été traité de pute, etc. Quand une femme touche là où ça fait mal, les hommes (et même c’est le comble, certaines femmes) ont pour habitude de la réduire à son statut d’objet sexuel, ils la rabaissent en la déshumanisant en quelque sorte. Elle ne fait plus partie des humains, elle n’est qu’un sexe.

Vous avez aussi été bénévole pendant près de cinq ans au sein du Mouvement du Nid (qui vient en aide aux prostituées), qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Ce qui m’a marqué ce sont les violences qu’elles subissent et l’absence d’empathie de la société à leur égard. A l’époque, je m’intéressais beaucoup au modèle suédois de pénalisation du client. Je ne comprenais pas que ces femmes subissent des choses terribles et que toute la société leur tombe dessus, alors que les clients bénéficient d’une protection incroyable. Elles sont victimes de plein de violences différentes : la violence des passants ou encore la violence de la justice. Jusqu’à très récemment, le racolage passif était un délit. Juste parce qu’elles étaient sur le trottoir, elles se faisaient réprimander par la police ou la justice. Quasiment personne ne les regarde avant tout comme des êtres humains dignes, qui ont besoin d’un coup de main.

On est dans quelque chose de complètement schizophrénique où la société insulte ces femmes et dit à la fois : « Non mais elles sont hyper utiles, grâce à elles il y a moins de viols ».

J’ai rencontré des femmes qui avaient vécu des choses d’une barbarie inouïe. Il n’y a pas que Daesh qui est atroce vis-à-vis des femmes. Il n’y a pas suffisamment de structures pour aider ces femmes qui ont vécu des tortures physiques et psychologiques très graves.

C’est pourquoi la pénalisation des clients est primordiale afin que qu’elles soient reconnues en tant que victimes et puissent se reconstruire.

C’est très important, aussi bien pour les personnes prostituées aujourd’hui, que celles qui en sont sorties, ou que celles qui vont tomber dedans. Car, oui, on ne va pas réussir à éviter ça toute de suite. En tout cas, j’ai rencontré des femmes courageuses, intéressantes et très puissantes, mais aussi, tout simplement démunies.

Précédent

LE CLIP DU JOUR : Nekfeu ft. Phénomène Bizness, "Les bruits de ma ville"

CLIQUE CADEAU : Phoenix et Bill Murray reprennent les Beach Boys pour Noël

Suivant