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Cinéma
Par Pauline Baduel

À VOIR : « ROCANCOURT, IMPOSTURE(S) » d’Olivier Mégaton

« L’ami des stars », « l’Arsène Lupin de Hollywood », « le bourlingueur », « le malfaiteur » : tout a été dit sur Christophe Rocancourt, mais tout n’a pas été montré. Olivier Mégaton a lâché ses blockbusters (Taken, Le Transporteur) pour le documentaire. Quatre heures : c’est le temps qui lui a fallu pour déconstruire la légende.

« Que veux-tu faire quand tu seras grand ? – Je veux être ingénieur atomique pour pouvoir faire sauter le monde ». Le monde, c’était ambitieux. En revanche, des barrières, Christophe Rocancourt en a fait sauter beaucoup : sociales, géographiques, linguistiques, financières, sentimentales… Le documentaire Rocancourt, Imposture(s) s’ouvre comme une B.O. de thriller, une course contre la montre, une fiction incroyable : celle d’un escroc hors-norme né dans les champs de Pont-Audemer, un « cul-terreux » qui a enfumé l’Amérique en dilapidant des millions de dollars. Sauf que cette fois-ci, l’histoire est vraie. En tous cas, celle qu’on croit distinguer entre les lignes.

Christophe Rocancourt, adolescent (Canal Plus) 

« Le verbe ‘escroquer’ n’est pas le bon, elles (les victimes) ont été ‘dupées’. Des personnes bien ne se font pas avoir comme ça… »

L’histoire, on la connait : une mère irresponsable qui lui coupe un doigt en claquant la portière d’une voiture, un père alcoolique, une sœur fragile, un passage par la DDASS et un autre par la case prison – autant de péripéties qui le formeront. Christophe Rocancourt, c’est l’enfant discret qui décroche « le prix d’observation et de curiosité » en primaire – témoignage de la directrice d’école à l’appui – et qui, à force de trop les regarder, finit par voler la vie des autres. On entend les « amis », les avocats, les stars déchues, les enquêteurs, la sœur, l’oncle. Tous parlent dans un décor épuré : une pièce vide, un couloir et une chaise au milieu. De la soeur flouée à la réalisatrice « éconduite » en passant par le comptable, tous ont encore de la tendresse pour l’homme qui les a escroqués.

« Le verbe ‘escroquer’ n’est pas le bon, elles (les victimes) ont été ‘dupées’. Des personnes bien ne se font pas avoir comme ça » précise Christophe Rocancourt, lourd de mépris. Sa première épouse, l’actrice américaine Gry Park, n’arrive même pas à lui en vouloir. Tour à tour boxeur, fils d’ambassadeur, riche héritier, promoteur immobilier, Christophe Rocancourt a joué tous les rôles, sans jamais changer de nom : « je n’ai pas menti sur ça », déclare-t-il. Olivier Mégaton l’a rencontré trois fois en deux ans ; l’ex-détenu s’est plié au jeu du récit rétrospectif avec un naturel déconcertant. Pas un remords, pas une seule émotion, si ce n’est un œil rougi à l’évocation de la mort de son père sur un banc public.

« J’étais incarcéré aux États-Unis, personne ne m’a prévenu ». L’homme se raconte à l’imparfait, d’un air détaché, comme s’il parlait d’un héros de fiction qui lui ressemble.

Imposture(s), « La Genèse » (Canal +)

Olivier Mégaton le filme en plan large, souvent en contre plongée, dans trois lieux différents : à l’intérieur d’une cellule, dans une église et dans une salle de jeu. Le malfaiteur apparait soit en costume col roulé, soit avec un simple sweat, les épaules larges ou le dos voûté. Il répond aux intervenants dans un jeu de ping-pong très révélateur : lorsqu’il assure ne jamais avoir volé les plus démunis, sa sœur Samantha répond : « J’ai fait plusieurs crédits et je n’ai jamais revu les 20 000 euros que je lui ai prêtés ».

La mise en scène appuyée a le mérite de mettre en lumière la mythomanie du personnage, son dédoublement de personnalité, aussi. L’angle psychologique est très développé dans la seconde partie du documentaire « L’Origine du mal » diffusée le 1er novembre prochain : Olivier Mégaton découpe le mythe au scalpel pour comprendre comment cet homme au physique de paysan, qui ne parle pas un mot d’Anglais, n’a jamais travaillé de sa vie – des sacs de billes volés dans la cour de récré aux 52 kilos de cocaïne – a réussi à duper tant de gens de tant d’horizons différents.

À l’écran, l’ex-malfaiteur ne décroche pas un sourire, alors qu’il est maître en art de séduire. Comment a-t-il réussi à se faire aimer de toutes ses victimes? Même ses passages répétés en cellule (environ onze ans d’incarcération) n’ont refroidi personne.

Certaines scènes font penser à Split de M. Night Shyamalan, d’autres plans de coupe à Casino de Scorsese ; une petite BO très immersive, et on se retrouve dans le meilleur film jamais réalisé sur l’arnaqueur sans coeur.
La démarche est un peu appuyée, le format long, mais Olivier Mégaton ne se laisse pas berner et va plus loin en cherchant l’origine du mal.

Le réalisateur n’a pas peur de le dire : c’est la presse qui a créé le mythe, « le petit enfant fragile pauvre qui s’en est pris aux riches ». Tout est faux.

Catherine Breillat, la célèbre réalisatrice à qu’il extorqua plus de 700 000 euros, le dit pendant son procès : « Les journalistes sont venus le voir en prison, on a écrit un livre sur lui, j’ai fait un film (…) Et même au tribunal, la victime ne les intéressait pas ».

Plus le documentaire avance, plus Christophe Rocancourt est pris en flagrant délit de mensonge. Fini le bad boy séducteur, on voit l’homme dénué de sentiment et d’empathie qui instrumentalise ses origines afin de justifier ses crimes. « Je ne voulais pas que le spectateur sorte indemne de ce film, qu’il se sente lui aussi volé, sali, tout comme les victimes de cet arnaqueur de haut vol, mais aussi qu’il ressente l’excitation, l’adrénaline du chasseur », conclut Olivier Mégaton. Bien joué.

La première partie « La Genèse » est diffusée mercredi 25 octobre à 20h50 sur Canal +. La seconde « L’origine du mal » sort le 1er novembre.

Image à la Une : Canal Plus.

 

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