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Il cartonne en Belgique avec sa pièce "Djihad", qui raconte l'épopée en Syrie de "trois bras cassés". Il vient de sortir un livre, "Les aventures d'un Musulman d'ici" dans lequel il retrace, avec humour, son parcours jalonné de tourments identitaires.
"Dehors tu es en Belgique et à la maison dès lors que tu fermes la porte tu es au Maroc. Pour compliquer les choses, j’allais à l’école catholique. Tout cela rend schizophrène, c’est comme avoir un meuble Ikea à monter sans la notice. Alors la notice, c’est mon livre."Vous avez pris le parti d’utiliser l’humour pour véhiculer vos messages, c’est très belge ça ? Mais non, c’est au contraire très français. Quand j’étais petit et qu’on regardait la télé en famille, dès qu’il y avait une scène de flirt entre deux acteurs on devait changer de chaîne, pudeur oblige. Il fallait courir très vite car on n’avait même pas de télécommande à l’époque ! J’ai réalisé qu’avec les films drôles comme ceux avec Pierre Richard ou Louis de Funès, il n’y avait pas de risques de gêne.
"Finalement, l’humour ça rassemble tout le monde, du barbu au militant gay."Quel a été le déclic pour l’écriture de votre pièce Djihad, qui raconte l’histoire de trois Belges qui partent en Syrie sortie en 2014 ? Cette pièce je l’ai écrite en trois semaines. J’étais en train de préparer un film et je regardais LCI. Marine Le Pen était invitée et déclarait, à propos des jihadistes, qu’il n’y avait "pas de problème à ce que ces jeunes partent, à la condition qu’ils ne reviennent pas." Ça m’a chamboulé. Elle aurait pu parler de mes enfants, c’est tellement scandaleux. Il suffit d’une poisse pour qu’un destin bascule. Pour moi le jihadisme c’est une hydre à deux têtes : il séduit toute une génération abandonnée, dans les banlieues en France. En Belgique, c’est plus pernicieux, il n’y a pas vraiment de banlieues mais des frontières invisibles entre les quartiers plus chics et les autres. Je condamne aussi la pression que la communauté musulmane met sur les siens. Dans la pièce, je dépeins trois personnages en proie à des questionnements identitaires. Il y a par exemple, Reda qui sort avec Valérie depuis dix ans. Sa mère lui dit "Elle, c’est une fille pour s’amuser, épouse une musulmane". Il y a aussi Ismaël à qui on explique à l’école coranique qu’il va aller en enfer s’il dessine.
"Djihad"
La jeunesse actuelle partage-t-elle les mêmes questionnements qui vous tourmentaient ?
Après les projections de "Djihad", il y a toujours un débat avec les spectateurs mené par un islamologue, un journaliste et moi. Je réalise que les jeunes musulmans ont les mêmes interrogations qu’il y a vingt ans. Une Nadia se demandera si elle a droit de tomber amoureuse d’un Michel ou un autre voudra savoir s'il est permis de dessiner des êtres vivants en islam. Moi je n’avais pas les outils pour y répondre quand j’étais ado. Il existait seulement des livres anxiogènes inutiles. Aujourd’hui, l’information est partout mais ce n’est pas mieux pour autant. On a le choix entre des prédicateurs "sauvages" ou des imams supra-intellectuels qui te parlent d’herméneutique ou d’eschatologie, sans rien vulgariser. Les plus simplistes restent, hélas, les plus compréhensibles y compris pour le mec qui fume son joint et ne connaît rien à la religion. Ils véhiculent un islam fast-food, condensé en une vidéo de quatre minutes sur YouTube. Ils parlent français contrairement à de nombreux imams, seulement arabophones, et ils maîtrisent les codes des jeunes. Ils ont tout pour les séduire.
"En plus, il tiennent un discours macho, pour moi c’est du Scarface islamisé. C'est pour ça qu'on doit réapprendre à nos jeunes à réfléchir."[caption id="attachment_25875" align="alignnone" width="620"]
Les acteurs de la pièce "Djihad", Ismaël Saidi, Reda Chebchoubi, Ben Hamidou.[/caption]
Vous, c’est Jean-Jacques Goldman qui vous a amené à vous poser des questions sur votre foi ?
A 12 ans j’étais très fan de Jean-Jacques Goldman. La chanson "Envole-moi" était très forte pour moi, le fils d’immigré avec ces paroles : "Envole-moi, Loin de cette fatalité qui colle à ma peau, Envole-moi, Remplis ma tête d'autres horizons, d'autres mots". Je ne savais pas qu’il était juif. Je ne savais même pas ce que ça voulait dire. J’allais à la mosquée à l’époque et j’écoutais la cassette dans mon Walkman le temps de mon trajet. Un mec voit la cassette. Il me dit "T’écoutes ça alors qu’il est juif ?" J’étais perturbé. Pendant une heure, je me suis dit "c’est quoi cette religion bizarre ? Ce n’est pas le bon dieu ou alors on lui a fait dire ce qu’il n’a pas dit". Je suis allé chercher le Coran dans le salon et je l’ai lu pendant sept mois avec la traduction pour être sûr de bien tout comprendre. J’étais sous le choc. Toutes les traditions marocaines dont j’avais été abreuvé n’étaient même pas mentionnées.
"J’ai appris à cette occasion à développer mon sens critique. C’est donc un Français de culture juive qui a poussé un musulman belge à lire le Coran !"Les livres ont aussi joué un rôle important dans votre parcours… Nous avions une voisine, que j’appelais "Madame", qui m’a offert mon premier livre. Elle ne m’a jamais regardé comme un basané. Elle m’a offert un livre et un jouet à mon frère. J’ai pleuré car j’étais déçu je me sentais lésé. Elle m’a dit "c’est dommage tu ne pourras pas avoir le trésor". Le livre en question c’était "L’île au trésor". Finalement, je n’ai plus voulu de voiture. A chaque visite, elle m’apportait un livre. Tant et si bien qu’elle n’a plus réussi à suivre vu le rythme effréné auquel je les dévorais. Ma deuxième révélation a été Alexandre Dumas et "Les trois mousquetaires". Non seulement il écrit comme un fou, mais en plus j’ai appris qu’il était petit-fils d’esclaves. Je n’en revenais pas. Malgré cette ascendance, il est devenu quelqu’un. Quand tu grandis dans un quartier "ghetto" tu te sens appartenir à la pire couche de la société. Des symboles comme ça font avancer les choses et on en manque. La pédagogie par l’exemple fonctionne. Quand les jeunes voient un Arabe sur scène ils se disent "moi aussi je peux le faire". Ça prouve qu’on peut venir du fin fond des égouts et y arriver. Il faut contrecarrer ainsi le discours des prédicateurs qui promettent le paradis aux jeunes.