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Société

Saint-Denis se réveille en état de siège

Dans un texte publié sur le Bondy blog que nous reprenons, Ilyes Ramdani raconte la matinée traumatisante vécue par les habitants de Saint-Denis.

Saint-Denis s’est pris une gifle au réveil. De 4 heures du matin à la mi-journée, ce mercredi a placé la commune de Seine-Saint-Denis au centre des attentions nationales. La faute à l’assaut lancé par les forces de sécurité contre un immeuble du centre-ville, soupçonné d’héberger le commanditaire des attentats de Paris.

Vendredi, déjà, les trois attentats-suicides commis par des kamikazes à proximité du Stade de France avaient stupéfié, ici. Déjà touchée et affectée d’ordinaire, la population locale s’est sentie, en plus, concernée par ces explosions qui n’ont fait « qu’un » mort. « Le Stade de France, c’est notre stade, on connaît tous quelqu’un qui y était dans le 93 », résume un jeune.

De vendredi à samedi, les coups de téléphone se sont multipliés, chacun prenant des nouvelles de l’autre, chacun réalisant, aussi, que désormais le terrorisme pouvait frapper tout le monde, partout, n’importe quand. Depuis, toutefois, on nous avait parlé de Belgique, de Syrie, de migrants passés à la frontière grecque. Et on s’était dit, inconsciemment, que le danger s’était éloigné. Que le pire, finalement, était passé.

L’espoir n’aura pas résisté plus de trois jours. Mercredi, ce devait être le jour où tout recommencerait, petit à petit, à fonctionner normalement. Après un début de semaine où les discussions dans les écoles, les universités, les entreprises ou les cafés n’avaient tourné qu’autour de « ça », on allait enfin parler d’autre chose. De la météo, du football ou de la politique. On se prenait même à attendre le moment où on rediscuterait chômage, pauvreté… Bref, de ces problèmes qu’on connaissait si bien qu’ils en devenaient presque rassurants.

Mais mercredi, ce fut le jour où ça a tiré à Saint-Denis. Dans cette ville qui vit de jour comme de nuit, il y a un seul instant de répit, où les lève-tôt n’ont pas encore succédé aux couche-tard. C’est précisément à ce moment de la nuit, quelque part entre quatre et cinq heures du matin, que tout a commencé. Les premiers coups de feu. « Explosions », « détonations », « déflagrations » : peu importe le nom, on n’en retiendra que le son. Plus d’une heure durant, le silence froid de la nuit fut brisé par ces violents échanges.

Les voisins immédiats, les mamans, les gens à l’ouïe fine, puis les écoliers, les étudiants, les travailleurs : petit à petit, Saint-Denis s’est réveillé avec ce bruit, ce mot, transmis de SMS en SMS, de bouche à oreille. Et puis, le son s’est arrêté. Laissant derrière lui un silence de mort, et un spectacle inquiétant. Les gyrophares, les sirènes, l’hélicoptère.

Le déploiement des forces de l’ordre fut aussi rapide que spectaculaire, offrant petit à petit à voir une sorte de catalogue des unités de sécurité françaises : l’armée, la police nationale, la gendarmerie, la BRI, la BAC, les CRS, le GIGN, le RAID, la police municipale…

Probablement un millier, peut-être plus, d’hommes et de femmes venus quadriller ce territoire dont les images étaient, très vite, diffusées en boucle à la télévision. Il est difficile de décrire la sensation vécue par les Dionysiens ce matin. Tous se sont réveillés comme scotchés devant des chaînes (d’information, puis généralistes) toutes passées en édition spéciale avec le nom de leur ville en lettres capitales et leur quartier en théâtre.

Sitôt la gifle du réveil passée, sorte de seau d’eau froide version encore plus violente, on comprenait ce qui se passait. L’un des terroristes français les plus recherchés au monde, Abdelhamid Abaaoud, identifié comme le commanditaire des attentats de vendredi, était donc soupçonné de se cacher à Saint-Denis avec près d’une dizaine de compères. Lui qu’on croyait en Syrie était là, devant chez nous. Au centre-ville de Saint-Denis, dans l’hyperdense rue de la République, à deux pas de la mairie, du métro, du marché, des cafés, des commerces.

Pas de doute, ce mercredi, Saint-Denis a été touchée en plein cœur.
Elle, d’habitude si active dès l’aube, a été contrainte à s’éteindre. Le lycéen a appris qu’il devait rester chez lui. Le boulanger qui préparait son pain depuis plusieurs heures a appris qu’il devait laisser son rideau fermé. Le riverain qui s’en allait au travail a appris qu’il devait renoncer à quitter le quartier. Près de l’immeuble concerné, les habitants durent même fermer leurs volets et se cloîtrer chez eux, plusieurs heures durant.

Un peu après sept heures, ceux qui n’avaient pas assisté au spectacle nocturne eurent droit à un rappel. Une minute de détonations, qui relancèrent l’effroi chez ceux qui l’avaient dissipé, qui le firent émerger chez ceux qui en étaient épargnés.

Dans les rues, ni voiture ni passant, évidemment. Seulement des journalistes, en nombre impressionnant et exilés hors du périmètre de sécurité, et des policiers et militaires en faction. On a essayé de sortir, voir ce qu’il se passait dans ce centre dramatiquement calme. À peine quelques pas et trois policiers accouraient pour nous sommer, le visage tendu et le verbe peu amène, de rentrer chez nous. À chaque tentative, partout, la même scène. « Rentrez chez vous ! Demi-tour ! C’est dangereux ! » On leur arguait qu’on travaillait, qu’on voulait juste sortir de la rue et rejoindre l’autoroute. « Aujourd’hui, aller travailler ? Appelez plutôt votre employeur et dites-leur de regarder BFM Tivi (sic)… Ils vont comprendre. »

Il fallait trouver le temps d’appeler notre employeur, au milieu des dizaines d’appels et de messages de proches, de collègues ou d’amis qui firent sonner en boucle les téléphones pendant cette folle matinée. « Ça va, toi ? Et ta famille ? », best-seller des conversations matinales. Attention rassurante, mais inquiétante, en ce qu’elle fait réaliser, un peu plus encore, le caractère exceptionnel de la situation. Autre attention, celle du maire, du député et autres pouvoirs publics nous enjoignant, à la télévision et à la radio, à rester à la maison.

Excepté quelques curieux ayant passé des heures à observer le vide, c’est ce que la plupart des Dionysiens ont fait. Ils y ont appris, vers midi, que l’assaut était fini, que deux terroristes étaient morts, que sept avaient été interpellés. En début d’après-midi, certains pointaient timidement une tête dehors. À ce moment-là, ni les tramways ni les gens n’avaient réinvesti le centre de la ville. Il faudra probablement attendre quelques heures pour voir Saint-Denis revivre. Le souvenir de cette matinée traumatisante devrait, lui, hanter la ville pendant quelque temps encore.

Ilyes Ramdani

Cet article a été initialement publié par le Bondy blog  : cliquez ici pour le lire. 

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