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Musique
Par Laura Aronica

QUI ES-TU… Hamed Sinno, chanteur du groupe Mashrou’ Leila

Clique a rencontré le chanteur du groupe libanais Mashrou' Leila, star au Moyen-Orient, lors de son dernier passage à Paris. Conversation.

Qui est Mashrou’Leila ?
On est 5 Libanais, on est un groupe d’indie pop qui chante en Arabe.

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D’où vient ce nom ?
Honnêtement ? On avait juste besoin d’un nom. Ça veut dire « le projet de Leila », ou « le projet de la nuit » (en Arabe, « leila » signifie « nuit », NDLR).

Aucun lien avec le poème « Majnoun Leila » (« fou de Leila ») ?
Si ! Leila c’est un nom très répandu, un nom qui a une résonance énorme dans la culture et dans la littérature arabe. Avec Majnoun Leila (sorte de Roméo et Juliette du monde arabe : un jeune homme, Qaïs, veut se marier avec sa cousine, mais sa famille l’en empêche. Il sombre alors dans la folie et passe le reste de sa vie seul, à déclamer son amour pour Leila, NDLR), il y a cette idée de passion profonde. Qaïs passe sa vie à réciter de la poésie pour quelqu’un qu’il a perdu. Ça nous plaisait que ce nom y fasse écho.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?
On s’est connus il y a 7 ans, en 2008, à l’Université Américaine de Beirut (AUB). On étudiait tous l’architecture et le design. C’est arrivé un peu comme ça. On a commencé à faire des concerts, à avoir de plus en plus de public.

Dans une précédente interview, tu disais que c’était plus difficile pour vous de jouer au Liban qu’en Europe. Est-ce que c’est toujours vrai ?
Ce n’est pas plus difficile pour nous de jouer, c’est plus difficile de passer à la radio, parce que les stations de radio ne jouent pas de musique libanaise ou arabe, à moins que ce soit très « pop ». Nous sommes dans une catégorie un peu particulière, disons que ça ne colle pas vraiment.

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Pour des gens qui ne connaissent pas du tout le contexte, peux-tu un peu préciser comment ça se passe au Liban pour des artistes comme vous ?
Il y a beaucoup d’attention envers une musique mainstream très conservatrice, très répétitive. On dirait une formule toute faite, qui se répète à l’infini. Même les studios sont formatés, ils sont pensés pour correspondre à ce genre de musique, il y a toujours les mêmes instruments. Il n’y a pas vraiment de place pour quelque chose de différent.

Vous êtes souvent décrits par les médias, surtout internationaux, comme des symboles de la jeunesse arabe. Un peu malgré vous, ou pas du tout ? 
Ces choses font plaisir à entendre, mais c’est aussi beaucoup de pression. Honnêtement, je n’y pense pas trop, je prends les choses comme elles viennent. J’aime bien lire des choses qui se rapportent à la politique, mais j’ai beaucoup de mal à en parler en public : je n’ai pas la prétention de parler au nom d’une génération entière de personnes. En fin de comptes, je suis juste musicien. Je pense que l’art n’a pas besoin d’être engagé politiquement pour avoir de la valeur. On parle de ce que l’on voit et ce de ce qui nous touche, et il s’avère que ce sont souvent des choses politiques. Mais je ne me sens obligé de rien.

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Cela dit, certaines de tes paroles évoquent l’immobilisme du Liban, tu as posé pour le magazine gay Têtu, en 2013…
Ça fait partie du package, c’est sûr. Mais il y a les choses que tu fais par choix, et les réflexions que tu te prends dans la figure, en permanence. J’ai l’impression que ça arrive à pas mal d’artistes du monde arabe. Il y a une certaine attente, on attend de nous qu’on aborde le Moyen-Orient, la politique… Ça fait un peu « Dis-nous des choses sur ton peuple ».

Tu as l’impression qu’on te fait sentir que tu es différent ? Enfin, c’est le très gênant point « Arabe cultivé » qu’on peut ressentir parfois ?
Un peu ! C’est vrai que parfois quand j’arrive en interview, j’ai l’impression que le reporter est surpris que je sache mettre des mots les uns à la suite des autres, que je n’aie pas envie de tout faire péter et de convertir tout le monde à nos chansons. J’ai l’impression qu’il n’y a qu’une partie du Moyen-Orient qui est vraiment montrée dans les médias.

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C’est le côté qui renforce les préjugés racistes sur les Arabes, celui qui dit « tous les Arabes sont extrêmes et veulent tout faire exploser». Évidemment, on n’a jamais lu de livres, on ne va pas à la fac, on porte tous des robes et on se laisse pousser la barbe !

Voilà. Je ne voulais pas te le dire, mais j’ai vraiment peur de toi en fait. 
Oui, oui je te vois frissonner ! (rires) Oui, donc j’ai l’impression qu’une grande partie des médias ne montrent que cette partie. Et ils en tirent des bénéfices, parce que ça peut justifier les politiques qui se passent entre le monde arabe et les autres pays etc. etc. etc. Quand un journaliste vient nous voir et nous dit qu’on est les premiers dans le Moyen-Orient à avoir un groupe comme ça, c’est totalement inapproprié. Ce n’est pas vrai ! Ça signifie au mieux qu’il n’a fait aucune recherche sur le sujet. Ce que je ressens vis à vis de ça ? J’en sais rien… Il y a des gens décevants partout.

La tradition de la satire est assez forte au Liban…
Oui, ce côté satirique des textes existe depuis longtemps au Liban, en Egypte, en Syrie. Depuis les années 50, même avant, dès le XIXe siècle.

Tu as l’impression d’en faire partie, de t’inscrire dans une lignée ?
J’aimerais bien (rires). C’est quelque chose qui m’inspire, oui.

Tu écris les paroles.
Oui, mais on fait la musique tous ensemble.

Tu citerais quoi, parmi vos influences ?
Écoute, honnêtement, tout ce qu’on va écouter va être une influence potentielle. On est aussi très influencés par le cinéma. Le dernier très bon film que j’ai vu c’est Mommy, de Xavier Dolan. J’adore aussi Franju, c’est un super réalisateur. Les yeux sans visage, c’est un vieux film des années 60. J’aime aussi beaucoup Godard, Visconti…

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Les yeux sans visage (1960), Georges Franju

Dès que l’on compose ensemble, on essaye de créer une histoire, on voit une histoire qui se déroule. On voit des couleurs, des images, des choses comme ça.  Je pense que c’est parce que j’ai une formation de designer : une grande partie de notre travail est liée à l’image, c’est très visuel. Cette façon de s’imaginer comment on va mettre ensemble les éléments qu’on a, ça a un côté très cinématographique, je trouve.

Ça ne te manquerait pas un peu, le design ?
J’en fais toujours un peu, pour le groupe. Je m’occupe des pochettes, les affiches, les trucs comme ça. À part ça je n’ai pas le temps, et pour l’instant je ne le regrette pas. Et puis, rien ne m’empêche d’y revenir un jour.

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Tu as été très exposé, on parle beaucoup de ton physique. Ça fait partie du plan ?
Non ha ha, ça ne fait pas partie du plan. Honnêtement, déjà, les autres sont mieux que moi. Mais il y a toujours peut-être un peu plus cette attente par rapport au chanteur d’un groupe. Tu me gênes, je suis rouge, là (rires).

Vous faites beaucoup de reprises, dont la plus connue est peut-être « Toxic » de Britney Spears, que tu chantes en arabe. 
C’est une chose d’écouter de la musique, une autre de l’analyser, de la comprendre. Les reprises c’est un bon moyen de comprendre comment est construite une chanson, comment travaillent les autres artistes. Et de s’amuser en même temps.

Vous vivez toujours au Liban ?
Oui on est toujours à Beyrouth, même si cela devient de moins en moins une priorité d’y être au jour le jour. C’est à la fois un endroit très facile à vivre et très compliqué. Les gens peuvent vivre ensemble et en même temps, il y a plein de choses qui se passent, comme des raids sur la communauté gay, dans des clubs gays et des bar gays, ça arrive tout le temps. Cela dit au Liban, ce n’est pas comme si la police était vraiment efficace, ils sont très corrompus.

Quant à votre lien à la France, qu’est-ce que tu en dis ?
On a une relation particulière avec la France. C’est le premier pays où l’on a joué, en-dehors du Moyen-Orient. Tout ce que j’ai appris quant à mon jeu sur scène par rapport à un public qui ne parle pas arabe, je l’ai appris ici. Et puis on passe énormément de temps ici, on adore tous Paris. J’aime tellement cette ville. Si je pouvais déménager ici demain, je le ferais ! Mais bon, ma famille est au Liban. On prend ces choses très au sérieux là-bas (rires).

Pour Mashrou Leila, quelle est la prochaine étape ? Tu te vois plutôt au Liban ou à l’international ?
Les choses vont main dans la main. Le fait qu’on commence à grandir hors du Moyen-Orient va avoir de l’impact sur notre notoriété là-bas, et vice versa. En ce moment, on prépare un album. L’orientation sera différente de ce qu’on a fait auparavant, mais je ne veux pas en dire plus, parce que le temps qu’on l’enregistre, on aura déjà changé 5 fois d’avis.

Photographies : Gabrielle Malewski.

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