Entre morceaux engagés ("Guerlain", "Africain") et plus légers (comme "Renoi fragile"), NJ milite pour pour redorer l'image du R&B en français. Rencontre, à l'occasion de la sortie de sa mixtape "Mon R&B", disponible en téléchargement gratuit depuis le 25 mai dernier.
Qui es-tu, NJ ?
Je suis chanteur de R&B, très simplement. J’ai 28 ans. Je suis né en Angleterre, je suis originaire du Cameroun, et je suis venu en France vers mes 5 ans. Avant de chanter, j’ai commencé par la danse, je faisais du hip hop.
Et comment as-tu commencé à chanter ?
J’ai toujours chanté. Autour de mes 20 ans, j’ai intégré une chorale qui s’appelle We Are One, à Paris. C’est un peu comme les chorales de gospel des States (les harmonies, les manières de chanter, etc.), sauf qu’au lieu de chanter pour Dieu, on fait des chants urbains. On a chanté pour des artistes tels que Corneille, Yannick Noah… – Grossièrement, c’est Sister Act (rires). Pour moi c’était super important de pouvoir m’imprégner de la scène avant de devenir chanteur, pour avoir une crédibilité, du bagage…
Donc c’est un plan, tu as toujours voulu faire ce métier ?
Oui. Depuis le début je savais ce que je voulais faire. Mais je voulais prendre le temps pour bien le faire.
Et ensuite ?
J’ai rencontré mon producteur, Pierre, du label AM7 musique, avec lequel j’ai commence à travailler – j’y suis toujours. Notre premier morceau, c’était Danser, en 2010. On l’a posté sur iTunes, et on a fait un top directement. J’ai aussi signé chez Sony en licence, mais j’ai préféré partir. Disons qu’au niveau de l’entente sur la stratégie, ce n’était pas ça. J’ai préféré arrêter là, sans animosité. Entretemps, j’ai sorti un EP, Hors Série. C’est un R’n’B plus soft que mon dernier album, qui est plus trap, qui rentre plus dans le vif du sujet.
C’était planifié, je ne voulais pas qu’on me confonde avec un rappeur.
Ce côté trap dont tu parles, tu n’as pas peur qu’il soit vécu comme un effet de mode ?
Non, mon premier morceau trap, je l’ai fait il y a deux ans et demi. Il s’appelle Guerlain, avec Mac Tyer.
Justement, parlons-en, de ce morceau. Avec Guerlain, tu es revenu sur une sortie raciste du parfumeur Jean-Paul Guerlain, au 13 heures de France 2, en 2010. Il y parlait des « nègres », mettant en doute leur capacité à « travailler ». Qu’est-ce qui t’a poussé à faire ce morceau ?
Aujourd’hui pour moi on ne peut pas cracher sur telle population, telle communauté, sous le prétexte de la rigolade, de l’ironie. Cette histoire m’a outré. Ça m’a choqué, alors j’ai tout naturellement répondu. Les nègres n’ont jamais bossé ? Je t’invite à venir le vérifier.
Les propos racistes de Jean-Paul Guerlain, au 13H de France 2, en octobre 2010.
Pourquoi il a fallu que ta réaction passe par la musique ?
Parce c’est ce que je sais faire. C’est mon moyen d’expression, un défouloir. Une bonne partie de ma musique est issue de vraies histoires, d’ailleurs. Pas forcément les miennes, même si c’est souvent le cas.
D’ailleurs, récemment, tu as sorti un morceau intitulé « Je suis Africain ». Qu’est-ce que tu peux m’en dire ?
C’est un clin d’oeil à tous les jeunes d’aujourd’hui. Ceux qui disent « je suis Malien », « je suis Sénégalais », « je suis Camerounais », mais qui ne disent pas pour autant « je ne suis pas Français ». Ils veulent dire : « Je suis issu de deux cultures ». Ce n’est pas péjoratif. Moi aussi, je dis que je suis Camerounais.
Je suis fier d’amener, aujourd’hui, une différence en France. J’estime que si demain, je me marie avec une Bretonne, nos enfants auront la chance d’avoir une double culture. Ça amènera encore un truc en plus à notre pays, la France.
Et en même temps, pour moi je suis un « Cainfr », mais quand moi je pars au bled, pour mes cousins qui sont en Afrique, je suis un Français. Et cette opposition, ça fait bizarre de la vivre. Mais c’est positif, ça apporte toujours quelque chose.
NJ ft. Mokobé – Africain
Ce morceau, c’est un message d’espoir. Si tu écoutes les médias, l’Afrique c’est mort, il n’y a rien à y faire, ça se résume à Ebola. Je voulais juste faire une belle chanson, apporter un message positif.
Dans le clip, il y a un Africain albinos. J’imagine que ce n’est pas anodin.
J’ai voulu montrer que lui aussi, il est Africain. En vrai, même toi t’es Africaine ! D’un côté, c’est plus un état d’esprit qu’une question de localisation géographique… C’est manger à dix autour de la table. Il n’y a pas de place pour dormir ? Très bien, on dort par terre.
Chez moi, à un moment donné, on était 12. Tu vois ce que je veux dire ? 12 ! Voilà c’est comme, ça, c’est la vie. S’il y en a pour un, il y en a pour les autres. C’est aussi ça que je voulais véhiculer.
Pas d’allusion directe à la persécution des albinos en Tanzanie ?
Non, je ne voulais pas entrer dans le politique pur et dure. Ce que je voulais, c’était les inclure, tout court. Dire qu’ils sont Africains, point. Les Africains peuvent être Albinos, Noirs, Blancs, Métisses… Ce n’est pas une question de couleur de peau.
Et ta collaboration avec Mokobé ?
J’avais déjà rencontré Mokobé plusieurs fois, il m’a dit qu’il aimait ce que je faisais, et là, j’avais ce morceau, « Africain ». Je me suis dit que c’était lui qu’il fallait : l’ambassadeur de l’Afrique, le mec qui a toujours milité pour diffuser des messages positifs. Je lui ai proposé, il a directement accepté.
Il y a quelques jours, quelqu’un de haut placé au Front National a donné à Clique une partie de sa vision de la culture en France. Il a expliqué que les cultures dites « alternatives » comme le rap ou l’électro ne sont pas à bannir, mais qu’elles n’ont pas a être financées de la même manière que la culture « classique » française. Qu’est-ce que tu en penses ?
C’est grave, c’est très grave. La plus grande richesse de la France, c’est qu’elle est remplie d’origines différentes. Et la culture est là pour servir les gens. Si toi tu fais ta culture, mais que personne ne s’y intéresse, c’est qu’il y a un problème.
C’est qu’ils n’ont rien compris aux jeunes, c’est tout. Ce n’est pas parce que tu aimes le rap, l’électro ou le R’n’B que tu ne peux pas allier le classique avec le contemporain ou l’urbain
S’ils faisaient des événements, des festivals, qui mélangeaient la culture urbaine et classique, beaucoup plus de monde viendrait. Il ne faut pas renier le classique. Il faut l’inclure, pour attirer les jeunes : plus le temps va passer, plus la musique urbaine touchera plus que le classique.
Précédemment, tu as dit que le R&B avait changé, notamment qu’il y avait de l’appropriation de cette musique par des gens à qui elle n’appartenait pas à l’origine. Peux-tu m’expliquer ?
Même si, effectivement, ça bouge un tout petit peu avec le net, c’est vrai que dans mon domaine, le R&B, on n’est pas représenté. C’est compliqué parce que ceux qui détenaient cette musique avant – il y avait beaucoup de renois – ont fait énormément de choses, et au bout d’un moment il y a eu une cassure. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé.
Ce phénomène-là n’est pas lié qu’à la France. Aux States, ça chauffe pour Iggy Azalea, beaucoup se demandent pourquoi elle reçoit des Grammys alors qu’un mec comme Kendrick Lamar ne reçoit rien.
Il y a quatre ans, les renois, aux States, ne faisaient plus de R&B. Ils faisaient de l’Eurodance, et le R&B, c’était les Justin Bieber et compagnie. Est-ce qu’il y a un phénomène comme ça en France, et vu qu’on a toujours du retard en France, est-ce qu’on s’est pris ça aussi ? Je ne sais pas. Mais en tout cas là-bas ça change, maintenant on entend à nouveau des sons R’n’B. J’espère que ça va changer ici aussi.
Pour toi, il y’a eu un désintérêt ?
Non ! Parce qu’il suffit de marcher dans la rue, d’entendre ce que les gens écoutent dans leur voiture pour savoir que c’est faux. C’est du Usher, du Trey Songz, du R.Kelly. Quand on voit que des gens comme August Alsina – je prends un nouveau exprès – font un concert en France et qu’il est immédiatement complet, on ne peut pas dire que les Français n’aiment pas le R&B. C’est juste que le R&B qu’on leur propose en France n’en est pas vraiment un.
Je pense qu’il y a un vrai marché pour le R&B en France, mais ce qu’on propose n’est pas à la hauteur de ce qu’attendent les auditeurs.
En tout cas moi je propose ma version, et j’ai l’impression que pour le moment, les gens me disent « OK, là, oui ». Regarde, rien que le mot R&B, est utilisé de façon péjorative quand il s’agit de musique française, alors que ce n’est pas le cas pour les artistes américains.
Je ne fais pas du « R’n’B français », mais du « R’n’B en Français ». C’est une très grande différence.
Tu identifies d’autres gens dans ta mouvance ?
Je suis sûr que je ne suis pas le seul, je ne suis pas un cas isolé. Quand je vois les retours que j’ai – sans prétention – c’est qu’il y a forcément des mecs qui sont là dans leur coin et qui savent faire. Regarde comment s’est fait le rap. À l’époque, tous les mecs ont fait des feats ensemble. Tout ça, ça a créé un mouvement. Pour le R&B, ça devrait être pareil.
Donc toi tu voudrais qu’une scène de « R&B en français », comme tu l’appelles, voie le jour ?
Il y en aura une, c’est sûr. Quand tu vois des Nov, des Skreally Boy... Tout ça, petit à petit, ça gonfle. Moi j’y crois. J’ai écouté ce qu’il font, j’estime que c’est lourd. J’y crois ! C’est tout.