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Musique

Clique x Assassin, Ministère A.M.E.R., Ärsenik et Expression Direkt

À l’occasion de la tournée l’Âge d’Or du Rap Français, Mouloud Achour retrace trente ans d’histoire de France avec des légendes du rap français, auteurs de certains des plus grands classiques du genre. À ses côtés : Rockin’ Squat du groupe Assassin, Stomy Bugsy du groupe Ministère Ä.M.E.R., K-Reen mais aussi Kertra, Weedy et Delta du groupe Expression Direkt ainsi que Lino et Calbo du groupe Ärsenik. Il sera question de politique, de violences policières mais aussi d’écriture et de coupes de cheveux. En prime, notre reporter Jalal Kahlioui est allé à Mantes-la-Jolie, à la rencontre d’une famille chère au groupe Expression Direkt.


Clique x La France au Rap Français par cliquetv

Mouloud Achour : J’ai toujours rêvé de dire ça à la télé : “Meurtrier à souhait au coeur d’Assassin, c’est encore lui et pour vous il revient, voici le mec que l’on appelle…”

Rockin’ Squat (Assassin) : 2017 !

Bienvenue dans le Gros Journal. On tenait à faire cette émission à l’occasion du concert L’âge d’or du rap français, qui réunit les gens qui ont fait le rap français. Le rap français, avant d’avoir été un mouvement musical qui est pour moi le plus important depuis ces 20-30 dernières années, c’est pour moi le dernier courant qui a raconté l’actualité de l’intérieur, qui a raconté une autre histoire de la France.

L’idée de cette émission, c’est de raconter l’histoire de la France vue par le rap français, parce que vous êtes les seuls qui avez été dans les quartiers au contact des gens qui vivent pour raconter ce qu’ils ressentaient. On va passer en revue un tas d’images, on va commencer avec un truc qui va te rappeler quelque chose : retour en 91 quand Assassin se faisait entendre partout, au JT on entendait ça. Est-ce que tu t’en souviens ?
Oui je m’en souviens. C’est malheureusement la continuité de ce qui se passait déjà en France depuis… les années 70.

Assassin était le premier groupe de rap français qui a été politisé, et identifié avec un discours politique. La phrase qui a fait rentrer Assassin sur les corps de tout le monde, c’était celle qui était gravée dans les t-shirts : “La justice nique sa mère, le dernier juge que j’ai vu avait plus de vice que le dealer de ma rue”. Ça avait quel écho auprès du public ?
J’ai écrit cette phrase parce que, malheureusement comme beaucoup de jeunes à l’époque, je suis passé pas mal de fois en jugement pour mineur, et en correctionnelle. Et je me suis retrouvé trop de fois devant des juges ou des procureurs qui m’ont donné envie d’écrire cette phrase.

Est-ce que le traitement de la jeunesse qui écoute du rap a changé dans les médias ?
Je pense qu’on est quand même en 2017, ce ne sont plus les années 80 ni 90, et que la culture Hip-hop est rentrée de plus en plus dans les mœurs. Elle est de plus en plus perçue par des gens qui ne sont pas issus de cette culture comme une vraie culture. Il y a aussi un truc très intéressant, c’est que la pop music est complètement teintée de cette musique. Ça veut dire que les artistes d’aujourd’hui, même les plus pop, issus de cette culture, ne sont plus les artistes du roi, ce sont les artistes du peuple.

Et selon ce qui se passera, même celui que tu vas penser le plus pop, qui fait de la merde aux yeux des puristes, aura toujours une part de ghetto en lui. Parce que ça arrive de là, et il se positionnera au moment où il faut se positionner, parce que son arbre généalogique, musical et familial remonte à l’esclavage, à la colonisation, à la décolonisation, à la précarité des quartiers, aux violences policières, aux bavures policières… Aujourd’hui, les nouveaux artistes issus de cette culture, que ce soit des Jul, des Maître Gims, des Alonzo, des PNL… Ce sont des gens du ter-ter, que tu le veuilles ou non.

Playlist inédite : morceaux et freestyles a capella des classiques de 2 Bal, Ärsenik, Assassin, Busta Flex, Expression Direkt, Ménélik, Monsieur R, Nuttea, Sages Poètes de la Rue, Stomy Bugsy, X-Men en exclusivité pour le Gros Journal

Le concert L’Âge d’Or du Rap Français, c’est quelque chose qu’on aurait imaginé ne jamais voir. Mais le groupe qui a été le premier à rassembler des gens de sensibilités différentes, ça a été Assassin, à travers les morceaux L’underground s’exprime. Le premier chapitre faisait apparaître Stomy Bugsy du Ministère A.M.E.R., qui était une association qu’on n’aurait pas pu imaginer à l’époque et qui était arrivée sur ce disque. Stomy est là aussi. Comment ça va Stomy ?
Stomy Bugsy : Ça va bien.

C’est quoi le secret ?
Quel secret ?

Tu as la même tête que sur tes pochettes.
Stomy : C’est la formule secrète ! (rires)
Rockin’ Squat : Je saupoudre les rappeurs, il faut qu’ils restent jeunes.

Ministère Ä.M.E.R., quand c’est arrivé, ça a été une déflagration. Tout de suite les problèmes avec la justice avec le morceau « Brigitte, femme de flic ». Le deuxième album 95200 et Sacrifice de poulet sur la B.O. de La Haine. On va se faire un petit round-up parce que vous avez un point commun, c’est que vous avez tous les deux traîné dans le XVIIIème, et il y avait un président, qui était à l’époque maire de Paris, qui parlait de la Goutte d’or.

(Illustration de Jacques Chirac à propos du « Bruit et de l’Odeur »)

Ça vous fait quoi ça ? Vous qui étiez à la Goutte d’Or à l’époque ?
Stomy : C’est typique du politicien qui peut-être ne pense pas ça, mais qui, à un moment, doit faire du pied a un électorat du Front National. C’est la grande mode et Chirac avait commencé très fortement avec ça. Je pense que la France c’est le cinquième puissance mondiale, mais pourquoi ? Dans les sous-sols de la France, il n’y a rien a part du charbon, il n’y a pas de gaz, il n’y a pas de pétrole, il n’y a pas d’or… Tout vient d’Afrique, donc tout ce qu’il faut dire aux Français qui nous regardent, c’est que la France doit énormément à l’Afrique. C’est de là dont elle tire toutes ses puissances. Tout, tout, tout, tout vient de l’Afrique.

Vous aviez quel âge à l’époque du « bruit et l’odeur » ?
Stomy : 18, 19, 20… Je me rappelle, j’ai rencontré Squat pendant les émeutes à Jules Joffrin, oh tu te rappelles !
Rockin’Squat : Ouais je sais, ouais ! À Jules Joffrin pour Makomé.
Stomy : Je m’en rappelle. Pendant ces émeutes là, il y a des journalistes qui sont venus me voir qui m’ont dit “non c’est pas ça qu’il faut dire… Dites-moi que vous voulez tout casser, que vous voulez tout brûler !” Je lui ai dit « non, on veut pas tout brûler, tout casser ! On demande des comptes… Pourquoi vous l’avez tué ? » Et ça m’avait choqué ça…
Rockin’Squat : C’était Pasqua le ministre de l’intérieur à l’époque.
Stomy : Les vrais coupables, c’est les politiciens. C’est eux qui laissent empirer ces situations-là. Et surtout le policier, en fin de compte, c’est surtout un tampon entre le peuple, nos élites, ceux qui nous contrôlent et ils mettent les policiers devant pour palper, pour absorber toute la merde.

L’émission du Gros Journal consacrée à l’âge d’or du rap français continue. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis fier – j’en perds mes mots – de recevoir Expression Direkt à la télévision en 2017. La première fois que je vous ai vus à la télé, c’était Weedy et il avait des cheveux.

(Illustration débat télévisé avec Weedy)

C’est fort d’arriver à la télévision et de dire “On s’en fout que vous croyiez qu’on soit civilisé ou non”. Pourquoi tu es arrivé en disant tout de suite ça ?
Weedy : J’ai une éducation mec. Nos parents demandaient la dignité, ils sont venus de loin.
Delta : Et surtout il y avait aussi une ambiance où nos parents nous demandaient, pas de se cacher, mais limite de marcher droit. Ce qu’ils voulaient, c’est qu’on s’assimile, qu’on soit français.

Il y a quelque chose, c’est que le groupe Expression Direkt arrive et s’inscrit indirectement dans la même veine de style que le Ministère Ä.M.E.R. Il y avait les rappeurs qui étaient très inspirés des États-Unis, qui s’habillaient avec des jeans larges, des grosses doudounes. Il y avait leMinistère Ä.M.E.R. qui était en 501 -et qui est toujours habillé comme ça d’ailleurs- et Expression Direkt qui arrivait avec des manteaux trois-quarts, Lacoste, racaille. Et le mot racaille a été mis à l’honneur chez vous, c’était une revendication. Avant d’être utilisé par Nicolas Sarkozy, vous l’avez revendiqué, vous.
Kertra
: On l’a revendiqué, et c’était surtout racaille dans le sens positif du terme : le mec débrouillard qui va faire en sorte de tirer son épingle du jeu. Et effectivement, au fur et à mesure du temps le mot a changé de connotation.

Vous avez mis Mantes-la-Jolie sur la carte, en tout cas dans la culture. Parce que pour plein de gens, Mantes-la-Jolie c’était au JT et c’était ça : 

(Illustration sur les émeutes de Mantes-La-Jolie)

Vous étiez où à l’époque des émeutes ?
Kertra : On était là. On a vu les choses évoluer -hélas- de la mauvaise façon.

Il y a quelque chose qui n’est pas rappelé dans le sujet, c’est pourquoi il y a eu ces émeutes. C’est le décès d’un jeune, Aïssa Ihich.
Kertra : C’est le décès d’un jeune, Aïssa, et c’est ça qui a mis le feu aux poudres. Notre collègue est mort parce que la police a refusé de lui donner sa ventoline. Alors que notre petit Aïssa, c’était un mec super convenable, très droit, pas de problèmes… Et justement au cours de tout ce qui s’est passé, il s’est retrouvé malencontreusement en garde-à-vue.

Au cours d’Expression Direkt, il y a l’histoire du rap, et il y a l’histoire de la vie. Il y a quelqu’un d’autre que vous avez perdu, c’est…
C’est Jawad Zaouiya. Jawad Zaouiya qui restera dans nos coeurs à jamais et pour toujours. Plus tard, après les événements que je viens de te raconter, notre frère Jawad Zaouiya s’est retrouvé aussi interpellé parce que la police l’avait vu, ou avait cru le voir, parmi les gens qui étaient en face de la police. Donc ils sont venus le ramasser le lendemain chez lui, et c’est la dernière fois qu’on l’a vu. Il est mort au cours d’un incendie, dans sa cellule, et on ne sait pas ce qui s’est passé, si les gens l’ont laissé comme ça, ou ne sont pas intervenus… En tous cas, je voulais souligner le militantisme de Monsieur Zaouiya – son père – qui depuis des années, tous les jours, est au combat.

On continue le combat pour la famille Zaouiya, et on vous présente tout de suite son papa Salah. Notre journaliste Jalal est allé le rencontrer pour un Gros Reportage.

Jalal Kahlioui : Mouloud m’a demandé d’aller à Mantes-la-Jolie rencontrer Salah Zaouiya, père de Jawad décédé en 96 dans la prison de Bois-d’Arcy.
Salah Zaouiya : À 7h du matin le téléphone sonne : « je suis le directeur de la maison d’arrêt du Bois-d’Arcy ». Je dis : « et alors ? » Il me dit qu’il y a eu un accident, il me dit : « votre fils est mort ». Là, c’était la catastrophe. La phrase qu’il m’a dite, je ne l’oublierai jamais. Il me dit « rassurez-vous monsieur Zaouiya, votre fils n’a pas souffert ; il est tombé dans le coma tout de suite ». Donc voilà pour lui c’est… Moi j’avais confiance en la justice française, mais quand il y a eu un classement sans suite j’ai dit « qu’est-ce qu’il se passe ? C’est pas normal ». Tu sais, c’est un combat de douze ans, c’est pas… C’est douze ans !

À chaque fois il y a un non-lieu, machin, truc… Nous on cherchait quoi ? On cherchait la justice, on ne cherchait pas l’argent. Jawad n’est pas mort comme ça, il est pas mort dans son lit, il y a bien des cumuls de fautes. La délivrance, c’était Octobre ou Novembre 2008 au conseil d’Etat. Ils ont condamné l’Etat pour cumul de fautes, qui sont maintenant en jurisprudence.

(Désignant une fresque à la mémoire de Jawad Zaouiya) Vous pensez à quoi, monsieur Zaouiya, quand vous voyez cette fresque là ?
Je vois Jawad, avec sa casquette blanche. C’était un rebelle et il est mort rebelle.

C’est quoi le dernier souvenir que vous avez de Jawad ?
C’est quand ils sont venus l’arrêter le matin. Quand il est sorti de l’appartement, il m’a fait un grand sourire il m’a dit : « papa ne t’inquiète pas… » Voilà. Et cette image je la garde avec son grand sourire, c’était ça mon fils.

Stomy : C’est triste… Tragique histoire, la lumière n’a pas été faite…
Expression Direkt : Je pense qu’on a tous essayé de faire changer les choses en fait, de faire évoluer les choses. Et c’est vrai que le résultat n’est pas probant. Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est triste. C’est malheureux quand même de se dire qu’il y a vingt ans on racontait déjà tout ça. Franchement, quand on se dit ça, c’est vraiment dur. On racontait déjà tout ça, limite si vous aviez écouté nos textes, vous auriez compris ce qui allait arriver, ce qui arrive aujourd’hui en fait. Parce qu’on avait déjà tout dit.

Aujourd’hui on est là, on dirait qu’on se réveille tous, qu’on est surpris de ce qui se passe. Mais nous on n’est pas surpris, on savait déjà, on le vivait au quotidien. C’est la catastrophe qui va nous attendre si on continue dans cet esprit. C’est évident. Du coup, sans faire de politique, ça soulève des monstres. Il y a des gens qui arrivent derrière, qui sont cachés, qui vont certainement prendre, peut-être, le pouvoir. Et ça, ça fait peur. On en a également parlé il y a vingt ans. Il y a vingt ans on vous disait déjà “il est possible que le Front National, un jour, prenne le pouvoir”. Il est possible et franchement, le constat est pathétique…

Merci beaucoup Express D. On s’excuse du bruit, parce qu’ils sont en train de monter la scène pour le concert L’âge d’or du rap français. Et on se retrouve tout de suite, pour terminer l’émission en beauté avec Ärsenik. (entrée d’Ärsenik) On vous a découverts avec la compilation Hostile, et il y avait à l’époque de la compilation une image qui m’avait marqué, c’est qu’il y avait une petite vidéo et une interview dans laquelle vous disiez “quel que soit le déguisement du cafard, le coq le reconnaîtra”.

Lino : Tu es un bon toi, tu as des dossiers ! Oui, on aimait bien les petits trucs comme ça, les petits proverbes africains, tout ça. On a beaucoup utilisé ce genre de trucs.

Vous venez de Villiers-le-Bel, signés chez Secteur Ä -le même label que Stomy. Vous avez fait l’âge d’or du rap français, Lino maintenant en solo, Calbo où es-tu ?
Calbo : Je suis là, devant toi.
Lino : Non attends, parce qu’il faut dire que je fais des albums solo mais je suis pas en solo, moi à la base je suis un artiste de groupe… Donc c’est toujours Ärsenik.

C’est là où je voulais en venir, à quand l’album d’Ärsenik ?
Lino : Il va arriver, il va arriver… 2000… 2000… j’allais dire 18 mais on va peut-être dire 68 ! Non, 2018.

Il y a aussi un truc avec Ärsenik, c’était le style Lacoste. Qu’est-ce que ça vous fait maintenant de voir que tous les jeunes de la nouvelle génération se rhabillent comme vous ?
Lino
: Après, « ils se rhabillent comme nous », j’irais pas jusqu’à dire ça !
Calbo : Si, j’irais jusque-là moi !
Lino : Il y a quand même des problèmes de look, un peu… Il y a quand même des trucs un peu bizarroïdes.

Qu’est-ce que vous ne validez pas aujourd’hui ? Au niveau des cheveux ?
Lino : Dans les tailles de pantalons…
Stomy : Y’a Slim et Slam !
Lino : Les leggings je suis moins dedans.

Les jupes ? Les T-shirts jupes ?
Lino : Ouais… Je suis pas dedans !

Les tie and dye ?
Lino : Oh surtout pas ! J’ai pas de cheveux donc c’est compliqué…

Les défrisages ?
Lino : J’ai pas de cheveux donc c’est compliqué… !

Elle n’est pas innocente la question de Lacoste, parce qu’elle lie tout ce qu’on a raconté dans l’émission. C’est vous qui avez fait vendre le plus de Lacoste en France, plus que les sportifs…
Lino : Ouais mais ça nous a rien rapporté.

Bah justement, elles sont où vos actions chez Lacoste ?
Lino : Rien du tout, les mecs ne voulaient pas du tout !
Calbo : La fierté aujourd’hui, c’est de regarder un catalogue Lacoste où il y a des renois. Les mecs sont plus larges.
Lino : Après, à la limite, je dirais même pas que c’est une fierté, à la limite c’est même pas leur problème, c’est juste une marque de vêtements et c’est de la consommation. Il n’y a pas de fierté là-dedans : honnêtement c’est de la consommation. Même nous, après, on le fait parce qu’on aimait bien la marque et on était dans une espèce de surenchère avec nos potes au quartier etc. Mais il n’y a pas de fierté là dedans, je veux dire c’est de la consommation.

La scène qui est là est mise en place pour que vous alliez faire votre boulot, pour l’âge d’or du rap français. L’album d’Ärsenik, on l’attend impatiemment ! Stomy tu peux les motiver ?
Lino : Non mais on est super motivés ! On est en train de bosser dessus, là en 2017, j’ai un nouvel album solo qui arrive.
Stomy : Un nouveau encore ? Tu chômes pas, c’est bien…
Lino : Ouais il faut… J’avais du matos donc…

Il y a un titre ?
Lino : Non je donne rien, pas d’infos, je suis un radin moi.

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