LA VIDÉO DU JOUR : Kaaris, "Bambou"
Alison Rapp, une ancienne employée de Nintendo, a été l'objet d'une campagne de harcèlement, à la suite d'une polémique sur la traduction de jeux vidéos pour le public américain. Ses proches ont également été visés, et la jeune femme doit encore faire face à des menaces. Derrière ces méthodes ? Un mouvement, le GamerGate, qui persiste depuis 2014.
“Voici le monde que nous avons créé”Depuis son licenciement, quelques internautes zélés ont tenu à découvrir quel était ce deuxième travail, et à dévoiler la vie privée d’Alison Rapp. En analysant et comparant des détails sur des images postées par l’ancienne employée de Nintendo, les joueurs en colère ont fini par révéler qu’elle travaillait comme escort-girl sous le pseudonyme “Maria Mint”. La jeune femme a fini par réagir sur Twitter, en racontant l'ampleur que le harcèlement a pris.
"Je ne dirai rien de plus sur [cette affaire], mais sachez qu'ils doxxent ma famille au moment où je vous parle. Voilà le monde qu'on a créé." écrit-elle le 10 avril. Le "Doxxing", c'est-à-dire la révélation publique d'informations de la vie privée d'une cible, est une méthode classique de harcèlement en ligne. Certains internautes sont allés jusqu'à faire de fausses déclarations à la police à l'encontre d'Alison Rapp. Ils contactent les membres de sa famille, même étendue, ses amis, leurs employeurs, pour faire durer la pression. Ce "monde" auquel la jeune femme fait allusion est celui d'une communauté de professionnels et de passionnés du jeu vidéo, qui se déchire depuis deux ans. Le harcèlement sans relâche que subit aujourd'hui Alison Rapp n'est qu'un effet collatéral d'une longue polémique.I'm not going to say anything more about this right now, but just fyi, they're doxxing my family as we speak. This is the world we've made.
— smol pterodactyl (@alisonrapp) April 10, 2016
Le Gamergate, deux ans déjàÀ l’origine du mouvement, une controverse née à l’été 2014. En août de cette année là, un dénommé Eron Gjoni publie un long texte dénonçant Zoé Quinn, une développeuse indépendante de jeux vidéos, et son ex petite amie. Il l’y accuse d’adultère, de mythomanie, et d’avoir échangé des faveurs sexuelles contre des critiques positives pour son dernier jeu. La communauté des joueurs rentre alors en crise : une grande partie soutiennent Eron Gjoni et rentrent en prétendue guerre pour “l’éthique dans le journalisme de jeux vidéos”. Sous couvert d’une bataille morale, les joueurs se rassemblent vite sous la bannière des hashtags #GamerGate et #NotYourShield pour attaquer des femmes. Le mouvement naît sur 4chan mais prend vraiment son envol sur Reddit et Twitter. Ils voient dans cette crise l’opportunité de dénoncer un mouvement de fond : le monde du jeu vidéo serait infiltré par la bien-pensance et le féminisme. La représentation des femmes et des minorités dans l'art vidéo-ludique pose problème, et de plus en plus de voix s'élèvent. Pour le GamerGate, les développeurs plieraient aux moindres désirs de “Social Justice Warrior” (SJW - guerriers de la justice sociale) au double discours. Une hypocrisie militante incarnée à l'époque par le cas Zoé Quinn. La polémique enfle et dépasse bien vite le cadre de l’affaire Zoé Quinn. La guerre devient quasi idéologique, et les victimes du mouvement Gamergate se multiplient. Les mêmes méthodes reviennent : harcèlement, doxxing – la révélation de données personnelles – menaces de mort. Les femmes sont les premières visées par des internautes déterminés, à l’instar d’Anita Sarkeesian, youtubeuse qui dénonce les clichés sexistes dans les jeux vidéos et devient vite un bouc émissaire du Gamergate. Deux ans que la polémique dure. Le GamerGate a connu ses pics, ses retombées, et la couverture médiatique s’est aujourd’hui un peu essoufflée. Mais sur Internet des substrats de cette petite révolte conservatrice restent. Les joueurs qui s'attaquent aujourd'hui à Alison Rapp ne représentent qu'une minorité. Mais une minorité déterminée, entièrement dévouée, et dangereuse. L'idée que la jeune femme ait pu être tenue responsable pour les choix faits sur les jeux Fire Emblem Fates et Xenoblade Chronicles X paraît complètement saugrenu. Alison Rapp était en charge du marketing, et a réaffirmé à de nombreuses reprises n'avoir eu aucun mot à dire dans le processus de traduction. Mais le GamerGate fonctionne par obsessions tout aussi illogiques que misogynes. La nouvelle tactique consistant à déterrer des dossiers passés pour harceler au présent fait froid dans le dos. Mais bien sûr, il ne faut pas oublier : tout ça, c'est avant tout une question d'"éthique dans le journalisme de jeux vidéos".