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Société

La grosse version du Gros Journal : Édouard Louis

Retrouvez en exclusivité la suite de l’interview d’Edouard Louis en version longue. L’écrivain de 23 ans est l’auteur d’En finir avec Eddy Bellegueule, et d’Histoire de la violence. 


Interview de Edouard Louis, version longue – Le… par legrosjournal

Mouloud : Bienvenue dans le Gros Journal. Ce soir, on est avec un invité très spécial, un écrivain cher à notre cœur, il s’appelle Édouard Louis. Il est l’auteur de deux romans : « En finir avec Eddy Belle Gueule » et « Histoire de la violence ». Je suis très content de t’avoir parce que tu ne viens jamais à la télé.
Édouard Louis : Ce n’est pas forcément un espace dans lequel je me sens à l’aise pour parler et dire les choses. La plupart du temps je préfère fuir pour éviter qu’on me vole mon discours. Souvent, nos discours sont volés.

Merci d’avoir accepté de venir ici, on ne va pas te voler ton discours. Cet été, tu as publié avec Geoffroy de Lagasnerie une tribune dans Libération, où tu disais : « Manuel Valls, vous n’avez rien fait contre le terrorisme ». Est-ce que tu peux expliquer ?
Très tôt, avec Geoffroy de Lagasnerie, on a vu que, quand le gouvernement qui est en place aujourd’hui, parlait du terrorisme, il en parlait toujours dans les mêmes termes, c’est-à-dire, la sécurité, la prison, la surveillance. « Il faut surveiller, il faut mettre en prison les gens, il faut renforcer les contrôles ». Et on a été très frappé par ce discours qui jamais, ne cherchait les causes du terrorisme. Mais qui toujours, s’attaquait aux effets du terrorisme. Et jamais, ne parlait du racisme, de l’exclusion sociale, de la pauvreté, de la misère, du sentiment de misère individuelle qui peut conduire à aller vers le terrorisme.

Quand Manuel Valls dit « expliquer, c’est déjà excuser le terrorisme ». Comment interprètes-tu ça ? Est-ce que tu l’interprètes comme un piège tendu pour qu’il n’y ait pas de réflexion ?
On croit toujours que le langage sert à dire des choses mais il y a plein de situations où le langage sert à faire taire. Et ce genre de phrases, ce sont des phrases qui ne servent qu’à faire taire.

Manuel Valls a répondu à votre lettre en disant : « Ce n’est pas normal, pour un ministre de gauche, de répondre dans un journal de gauche, à deux intellectuels de gauche ».
C’est un assez bon signe, parce que ça montre que quelqu’un qui n’est pas de gauche – comme Manuel Valls – veut encore dire qu’il l’est, même si ce n’est pas vrai.

Pourquoi est-ce qu’il ne l’est pas ?
Parce qu’il tient ce discours de la sécurité, qu’il produit des lois racistes, des lois qui s’attaquent aux plus démunis, aux moins protégés. Et on reconnaît quelqu’un de gauche comme quelqu’un qui essaie de réduire le plus la violence dans le monde.

François Hollande aurait été un président de gauche ?
Non, bien sûr que non. François Hollande a dit : « Je suis un président qui va rester dans l’Histoire ». Et il va rester un président dans l’Histoire, parce qu’il aura fait triompher le Front national. Parce qu’il n’aura pas mené une politique de gauche et qu’à cause de lui, tout un tas d’individus qui se sentent dépossédés, rejetés de la politique, qui ont envie d’exister, vont se jeter dans le Front national, comme une tentative désespérée d’exister. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, il est très important de construire une sorte de contre-attaque à gauche.

Je reviens sur la lettre que vous avez écrite en disant : « vous n’avez rien fait contre le terrorisme ». À un moment, tu dis : « on ne verra jamais un gosse du XVIème arrondissement qui a grandi dans les classes supérieures, qui a pu aller à l’ENA, sortir avec une kalachnikov ».
On n’a pas tout à fait dit ça. On a dit : « le jour où un enfant du XVIème sortira avec une kalachnikov et ira tuer tout le monde dans une salle de concert, là, on pourra peut-être commencer à parler d’autre chose que de domination, d’exclusion, de racisme, de pauvreté, de misère individuelle. » Mais pour l’instant il y a une urgence. Une sorte de trajectoire que l’on retrouve de manière semblable entre les gens qui basculent dans ce genre de violences et entre ceux qui ont le pouvoir. De ceux qui ne changent pas ça. Alors qu’ils auraient le pouvoir d’agir sur ces violences. Je crois que c’est pour ça que les dominants sont toujours fautifs d’une certaine façon.

Tu as galéré toi, quand tu as cherché un appartement ?
Oui, comme beaucoup de personnes, j’ai eu beaucoup de mal. Mon père a eu un accident à l’usine quand j’avais 8 ou 10 ans. Il a eu le dos broyé par une charge qui lui est tombée dessus. Il n’a pas pu aller travailler pendant longtemps. Je n’avais donc pas de fiche de paie possible. Quand je suis arrivé à Paris, je demandais à mes amis leurs fiches de paie. Les propriétaires me demandaient pourquoi ce n’étaient pas celles de mes parents. Moi je n’avais pas envie de m’expliquer. C’était une sorte d’injonction terrible.

Tu es né en 1992 et on a l’impression que tu appartiens à une autre génération.
Marguerite Duras, dans son roman L’amant, parle des enfants vieillards. Ces enfants qui ont connu la misère, la pauvreté, l’exclusion… Comme si tout cela donnait un âge supplémentaire. C’est ce que je dis dans Eddy Belle Gueule. Je raconte comment j’allais à l’école, comment des bandes de garçons se jetaient sur moi pour me traiter de « sale PD », pour me cracher dessus. Quand je rentrais chez moi et que je voyais ma mère, qui avait 35 ou 40 ans, j’avais l’impression que cette violence me donnait un âge supplémentaire. Je me disais que ma mère ne le voyait pas. Peut-être qu’elle le voyait plus que ça en fait… Je me disais : « aujourd’hui, j’ai 90 ans ». Et le lendemain je regardais un dessinanimé Walt Disney et j’avais de nouveau 8 ans. Et là, c’est la même chose. Avant de commencer cette émission, on était en train de plaisanter, j’avais 12 ans. Et puis là, quand je parle de la violence, il y a une sorte d’expérience qui s’est accumulée en moi, et qui me donne un autre âge.

Merci beaucoup, merci d’avoir été avec nous. C’était un honneur.
Merci.

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