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Société

Un conseil : lisez la lettre de Kery James

“Le fort est celui qui maîtrise sa colère”

Assister à la naissance de ma fille fut l’un des moments les plus forts, les plus intenses et joyeux de mon existence. Mais avec cette joie est arrivée une crainte que je ne connaissais pas auparavant, la peur du jour dans lequel la mort viendra nous séparer. La séparation par la mort d’un père ou d’une mère de son enfant, de sa famille, de ses proches est une chose douloureuse. Ceux qui ont connu cette douleur savent de quoi je parle. C’est pourquoi en ces jours ensanglantés j’ai d’abord une pensée pour les familles des victimes de l’extrémisme à travers le monde. Un extrémisme qui n’a pas qu’un seul visage. Mais quels que soient les masques sous lesquels se dissimulent l’extrémisme, on peut toujours lui diagnostiquer un point en commun. Il a toujours pour préoccupation première, voire obsession, de nous précipiter au plus vite vers une guerre et ce de gré ou de force. Après ce 7 janvier 2015, une fois encore, j’ai la sensation que les choses évoluent trop vite et que ma vie et mes choix m’échappent. Je crois que ce sentiment est partagé par l’immense majorité des musulmans et des gens conscients des enjeux auxquels nous devons faire face.

J’ai l’impression de ne plus être maître de moi-même et d’être poussé malgré moi à affronter des gens à qui l’on a fait croire que j’étais leur ennemi. Des gens qui auraient pu m’apprécier en tant qu’homme s’ils avaient pu prendre le temps de me connaître. Des gens qui auraient pu enrichir ma connaissance du monde, de l’être humain et peut-être de moi même. Mais les extrémistes de tous bords ne veulent pas de cette rencontre. Ils conditionnent chacun d’entre nous afin que cet échange n’ait jamais lieu. Pour cela ils ont recours à des méthodes et des instruments différents, mais l’objectif est toujours le même : précipiter la guerre. En ces jours tragiques, ce qui me console c’est d’avoir la certitude d’avoir toujours oeuvré pour construire des ponts, ce qui n’a jamais impliqué l’abandon, la falsification ou la trahison de mes croyances et de mes convictions. Construire des ponts ne m’a jamais empêché de dénoncer, de m’élever et de me lever contre l’injustice.

En 2002, déjà conscient du danger qui guettait la société française et le monde, j’ai réalisé une compilation caritative multi-artistes dans laquelle étaient réunis des artistes musulmans et des non-musulmans. Le but de cette compilation était de mettre en lumière des valeurs de l’Islam qui étaient déjà passées sous silence depuis le 11 Septembre 2001. Des valeurs universelles telles que la patience, la maîtrise de soi, la modestie, la générosité, l’honnêteté ou la bienfaisance envers les parents. Avec le recul, le titre de cette compilation était bien choisi puisqu’il allait être représentatif du plus grand défi Français dans les années à venir: “Savoir et Vivre Ensemble”. J’ai consacré une grande partie de mon oeuvre artistique à pousser les jeunes Français vers l’éducation et à la responsabilisation plutôt que l’assistanat. J’ai tenté de les éloigner autant que possible de l’illicite qui mène à la mort ou la prison. Et ce n’est plus un secret pour personne, la prison est aujourd’hui un terreau d’une des formes d’extrémisme.

Aujourd’hui encore, je continue encore à utiliser ma musique dans cet objectif à travers ma tournée solidaire qui aide au financement des études supérieures de jeunes dans une situation économique fragile. Je veux rappeler ces choses non pas pour me justifier, car je ne suis pas coupable. Je veux juste qu’on se souvienne que les musulmans aussi apportent leur pierre à l’édifice de la nation. Dans ces jours de peine, de gêne, de peur, de questionnement, de désolation, ma consolation est dans la certitude d’avoir essayé. La certitude d’avoir essayé de prévenir, d’avoir essayé de guérir, d’avoir essayé d’améliorer la société française. Cela fait plus de 10 ans que je mène ce combat, parfois dans l’incompréhension, voire l’indifférence la plus totale. Mais je n’ai aucun regret car aujourd’hui il apparait violemment mais clairement que mon combat est juste.

J’ai mené ce combat en prenant pour modèle l’altruisme d’hommes sages et visionnaires qui ont fait mon éducation spirituelle. Des hommes dont la voie a toujours été celle du juste milieu et de la modération, c’est à dire ni celle du laxisme ni celle de l’extrémisme. Je ne serai peut-être jamais à la hauteur de leur éducation spirituelle mais là encore, j’ai essayé. Ce feu que nous pensions loin et qui nous brûle aujourd’hui, il y a des gens qui tentent de l’éteindre depuis plus de 40 ans au péril de leur vie. D’autres ont cru que ce feu était loin et qu’il ne parviendrait jamais à leurs portes. D’autres ont carrément manipulé ce feu, l’ont déplacé de régions en régions, d’un pays à l’autre et l’ont même parfois attisé. Il est maintenant aux portes de la France et nul ne peut se sentir à l’abri.

Je me sens obligé de rappeler que le vivre ensemble se construit sur le long terme et non uniquement de manière ponctuelle sous le coup de l’émotion. Le vivre ensemble ne peut être uniquement un symbole qui se fait et se défait au rythme des faits divers aussi abjects qu’ils soient. Il ne suffit même pas de vouloir vivre ensemble pour y arriver, il faut être déterminé à y parvenir. La grande majorité des musulmans dont je fais partie est également victime et otage des extrêmes de tout bord. Et c’est à elle qu’on ordonne constamment de donner des gages de citoyenneté et de patriotisme qui ne semblent jamais suffisants. C’est d’elle qu’on exige sur un ton presque menaçant qu’elle descende dans les rues pour prouver son attachement à la France. Comme si finalement c’était elle qui avait financé et armé les terroristes. Les temps qui vont venir vont être difficiles pour nous et notre patience va être mise à rude épreuve.

Il va nous falloir agir avec prudence, sincérité et sagesse. La sagesse exige de tenir compte des conséquences de nos actes et de l’intérêt général. Libérer ses pulsions les plus meurtrières dans une explosion de violence pour se décharger de la frustration engendrée par la colère, ce n’est pas tenir compte de l’intérêt général. La violence est à la portée de tous alors que la maitrise de soi est une qualité rare.

Je terminerai en citant une parole de celui au nom duquel beaucoup de choses sont dites et sont faites mais dont peu de gens appliquent réellement les enseignements. Celui qui est pour tout musulman un modèle, un guide et un éducateur; le Prophète MouHammad que Dieu l’honore et l’élève d’avantage. Celui qui dans sa sagesse remarquable a dit cette phrase qui touche toute personne en quête de l’amélioration de soi: “Le fort est celui qui maitrise sa colère alors qu’il est capable de l’exercer”.

Après cela, comment quelqu’un peut prétendre assassiner des enfants en son nom J’espère qu’en ces moments dramatiques, ces quelques mots que j’ai pris le temps de choisir afin qu’ils soient le plus juste possible contribueront à apaiser les tensions, les esprits, les coeurs et participeront à préserver l’harmonie et l’intérêt général.

Kery James. Cayenne, le 9 janvier 2015

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