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Par Charlotte Vautier

CLIQUE DATA : Combien faut-il de fans à un YouTubeur pour toucher le SMIC ?

Comment depuis chez lui, en parlant devant une caméra, un YouTubeur peut-il espérer gagner sa vie convenablement ? Jusqu'à présent, il y avait les revenus liés aux pubs précédant les vidéos (les "pre-rolls"), le placement de produit, le mécénat, les Networks qui proposent des partenariats avec des marques... Désormais, il y a aussi le pourboire en ligne.

Lancée il y a bientôt trois ans par Michael Goldman, l’entreprise française Tipeee s’est inspirée du site de financement participatif américain Patreon et du principe du pourboire pour créer une plateforme légèrement différente de celles comme Ulule, KissKissBankBank ou Leetchi. Plutôt que de proposer des financements pour des projets uniques, Tipeee permet à des créateurs de contenus gratuits et réguliers de se faire aider par leurs fans sur le long terme. Concrètement ? Si vous aimez les vidéos d’un(e) YouTubeur(se), vous pouvez lui verser quelques euros par mois pour l’encourager.

Dans une volonté de partage, c’est à la communauté de financer le contenu qu’elle soutient. « Il y a des milliers de créateurs de contenus aujourd’hui sur Internet qui sont talentueux et qui fédèrent de larges communautés, mais à qui le modèle de monétisation par la publicité ne correspond pas. En clair, la publicité ne regarde que l’audience générée par les contenus, et jamais leur qualité », explique Samuel Nomdedeu, directeur général de Tipeee.

D’ailleurs, combien rapportent les publicités pre-rolls à un YouTubeur ?

Brisons le mythe : sur YouTube, 1 000 vues n’équivalent pas à 1 euro, mais à environ 1 dollar de recettes publicitaires. Ce qui suppose qu’en France, cette somme soit soumise aux fluctuations du cours de l’euro (présentement 1 $ = 0,90 €). Si l’on prend en compte le fait que, sur une chaîne YouTube, la totalité des vidéos n’est pas forcement monétisée, qu’un quart des internautes français utilise un adblocker (empêchant l’apparition de publicités), que le statut d’auto-entrepreneur se taxe à 23% et l’entreprenariat à 50% (pour les plus grosses chaînes), le revenu potentiel se trouve très largement réduit.

On l’a compris : à l’exception des chaînes générant plusieurs millions de vues par mois telles que celles de Squeezie, Cyprien ou encore Rémi Gaillard, YouTube n’est pas une ressource rémunératrice outre mesure. Le « pourboire en ligne » constitue alors une solution alternative intéressante.

Les YouTubeurs n’ont pas le monopole sur Tipeee : la plateforme finance toute forme de création de contenu Internet, dont de nombreux sites autonomes. Mr. Mondialisation fait partie de cette catégorie : ce site d’information alternatif et d’opinion compte plus d’un million de fans sur Facebook et s’est inscrit sur Tipeee il y a six mois. Il touche désormais environ 1 200 euros par mois par ce biais.

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Pour son créateur (qui souhaite rester anonyme), Tipeee est une bouffée d’air : « Être indépendant à la fois du privé et des structures d’État est un choix délicat et radical : personne n’est là pour vous aider financièrement. Tipeee, et les dons en général (à la condition qu’ils soient suffisants), offrent une liberté d’expression totale sans craindre pour notre survie ou notre carrière. Derrière les projets que vous voyez sur Internet, des gens bien réels tentent de survivre alors que leurs contenus sont le plus souvent gratuits » (NDLR : L’équipe de Mr. Mondialisation est composée de trois personnes.)

Faut-il pour autant avoir un million de fans pour espérer toucher un SMIC ?

Pour les 30 créateurs détenteurs des comptes Tipeee les plus lucratifs, on constate qu’en moyenne 1% de la totalité de leurs abonnés respectifs les soutient financièrement sur la plateforme. En sachant que chaque internaute inscrit sur Tipeee donne environ 3,90 euros par tip mensuel, il faudrait (en théorie) à un créateur une communauté de 30 000 abonnés au minimum pour s’assurer le montant d’un SMIC (environ 1143 euros nets par mois, à Octobre 2016).

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Mais cette moyenne reste très théorique : elle est à mettre en perspective avec la date d’arrivée du créateur sur Tipeee, le degré de spécialisation de son contenu ou la moyenne d’âge (et le profil social) de ses abonnés qui vont être, en fonction, plus ou moins créditeurs. Dans le cas de la chaîne Le fil d’actu, qui produit chaque semaine une émission d’actualité de façon autonome et indépendante, la moyenne du montant de la donation et le pourcentage de fans engagés est bien au-dessus de la norme : avec « seulement » 23 278 abonnés Youtube, la chaine engendre 1 519 euros par mois.

À l’inverse, une chaîne comme Micmaths, qui vulgarise des problèmes mathématiques, rapporte à son créateur 722 euros par mois sur une totalité de 194 224 abonnés Youtube. Les matheux auraient-ils tendance à compter leurs sous plus que les autres ? Probablement pas.

Pour avoir une clé de compréhension plus adéquate, il faut peut-être se pencher sur la « théorie des 1 000 vrais fans » avancée par l’économiste Kevin Kelly.

On peut résumer cette théorie simplement : pour gagner sa vie et pouvoir vivre de son art, un créateur doit posséder une base de 1 000 vrais fans qui composeront un noyau lucratif durable. L’économiste considère qu’un vrai fan sera capable de dépenser environ 100 dollars par an pour acheter des produits en rapport avec la personne qu’il suit fidèlement. Ce noyau lui permettra de ne pas se faire happer par ce que l’économiste appelle « la traîne » – soit la courbe qui représente le ventre mou et majoritaire d’un ensemble d’abonnés. Ceux qui ne seront jamais (ou très peu) créditeurs.

Courbe de la "Théorie de la longue traîne" de Kevin Kelly

 

Transposé à Tipeee, la théorie des 1000 vrais fans pourrait être appelée « l’hypothèse des 300 tipeurs ». Sur le site, on remarque que les pages Tipeee qui comptabilisent plus de 300 tipeurs ont majoritairement un revenu supérieur à 1 000 € par mois. Le créateur du site d’actualité Mr. Mondialisation raconte que récolter de l’argent de ses fans n’est pas une entreprise facile : « On pourrait croire qu’avec plus d’un million de fans sur Facebook, nous soyons en mesure de soulever d’énormes quantités de fonds. On constate que c’est faux. À peine 400 personnes, le noyau engagé de la communauté, mais aussi simplement ceux qui en ont les moyens (nous ne blâmons pas les autres !), nous soutiennent. Ces personnes font toute la différence et permettent à notre projet de se concrétiser au-delà du simple hobby. »

tina fey

Bruce Benamran, créateur de la chaîne de vulgarisation scientifique E-penser raconte qu’il peut gagner jusqu’à 3 000 euros par mois grâce à Tipeee : « Je ne me concentre plus que sur mes vidéos depuis presque deux ans, avant j’avais une boîte d’informatique. C’est ma communauté sur Tipeee qui me permet de vivre et d’améliorer ma chaine. En plus de cela, l’idée c’est l’indépendance. Je n’ai plus à me préoccuper de combien de vues je peux faire dans le mois pour pouvoir en vivre ».

Si ce système semble pouvoir permettre de ne pas dépendre de la pub sur les contenus, Bruce Benamran met tout de même en garde sur la façon dont certains créateurs peuvent vouloir attirer le plus de « tipeurs créditeurs » sur leur chaîne :

« Il y a un risque que les créateurs modifient leurs contenus en fonction de ce qui fonctionne ou pas chez les tipeurs. Faire rentrer de l’argent reste important, mais pas à n’importe quel prix. Il faut trouver un juste milieu ». Soit exactement le même principe que lorsqu’un créateur est financé par de la pub.

D’après une étude du Cévipof réalisée en 2014, seuls 23% des Français feraient confiance aux médias. De fait, à une époque où les médias généralistes traversent une crise de confiance et cherchent à renouveler leur modèle de financement, les sites d’information indépendants comme Mr. Mondialisation attirent un public croissant. Le créateur du site explique que « choisir son information, ce n’est pas simplement cliquer sur des articles et les lire. C’est oser soutenir ceux qui se démarquent par leur sérieux où répondent à un besoin de société. Pousser les utilisateurs à en prendre pleinement conscience est un enjeu de société. En effet, l’État tarde à réaliser l’utilité et l’ampleur de ces nouveaux médias libres. Peut-être même les craint-il ? Les médias traditionnels, eux, continuent de toucher des sommes colossales de nos impôts, tout en ayant, pour certains, des partenaires privés, des publicités invasives ou des abonnements obligatoires. »

Non, tout le monde ne peut pas s’improviser YouTubeur ou créateur de contenu du jour au lendemain pour espérer gagner sa vie. C’est un travail de longue haleine qui mûrit au fil du temps et des abonnés. Néanmoins, si vous avez du temps et que vous voulez vous lancer dans l’aventure, c’est sans doute sur les plateformes de pourboires en ligne comme Tipeee qu’il faudra miser.

Photographie à la Une de gauche à droite : Le Fossoyeur de films, C’est une autre histoire, Dirty Biology, Le Fil d’actu, Usul

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