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Arts

QUI ES-TU ? Seb Toussaint, le street artist qui ramène l’art dans les zones défavorisées du monde

Avec son projet Share the Word lancé en 2014, le street-artist Seb Toussaint parcourt les quartiers défavorisés des quatre coins du monde pour donner la parole aux habitants.

À chaque rencontre, ce Franco-Anglais de 29 ans demande aux résidents de choisir un mot dans leur langue, puis de raconter l’histoire attachée à ce mot. Seb l’écrit ensuite en couleur sur les murs délabrés.

Seb Toussaint. – Photo Aswad Black

Pour mener à bien son projet, il fait tout de manière spontanée. Il achète un billet d’avion, pose ses valises, se procure le matériel nécessaire et se rend sur place. Le reste du temps, il travaille un peu partout en France, avec des populations dont on entend peu la voix. Avec des prostituées de Caen, des prisonnières ou des étudiants d’un CAP. Rencontre.

Clique : Qui es-tu ?
Seb Toussaint :
J’ai 29 ans, je suis à la fois Anglais et Normand. Je suis artiste, plus spécifiquement street-artist. Je travaille depuis quatre ans et demi sur un projet qui s’appelle « Share The Word » (« Partage le mot »).

« Yarinta » (=l’enfance) choisi par Maimuna dans le bidonville de Kombo, Niamey, Niger. – Aswad Black

Justement, parle nous de ce projet. Comment cette idée t’est venue ?
En 2011, j’ai fait un tour du monde d’un an, à vélo, avec mes deux meilleurs potes, Spag et El Afghani. Ça a été l’occasion pour moi de peindre dans mal de pays différents. À Sucre, en Bolivie, Spag a fait une intoxication alimentaire. Pendant qu’il se reposait, j’ai voulu peindre sur le mur d’une maison, mais le propriétaire m’a dit que la municipalité allait immédiatement repeindre par dessus. Il m’a conseillé d’aller sur les hauteurs, ce que j’ai fait.

Là je tombe sur un quartier défavorisé. Je demande à une dame que je croise si je peux peindre sur ses murs, et elle me répond « oui » sans aucune hésitation, sans me demander ce que j’allais peindre ou demander à son mari.

Pour me remercier, elle m’a donné des bananes. Il se trouve que c’était l’un des rares aliments que mon ami pouvait manger. J’ai vraiment compris qu’on peut être spontané dans ces quartiers. Là-bas, il y a de la place pour l’art spontané. Voilà comment est venue cette idée. Mais au lieu de juste écrire mon blaze, j’ai voulu demander aux gens de m’écrire un mot qui leur tient à cœur. Parce qu’on ne les écoute jamais, on ne leur donne jamais la parole. D’où l’idée de « Share the Word ». Partager le mot, la parole, la palabra.

Quelle a été la première destination du projet ?
En août 2013, je suis parti en Indonésie avec Spag, qui est photographe. On voulait partir dans un pays qu’on ne connaissait pas. On a cherché un quartier défavorisé et on a peint deux, trois mots sur des murs. Les gens ont complètement adhéré. Ils nous ont aidés à préparer les murs, à mélanger l’eau et à peindre. Après un mois, on s’est dit que l’idée était très simple. Qu’on pouvait l’expliquer facilement avec les mots des habitants. Et puis, on peint dans des quartiers où les gens vivent beaucoup dehors, donc on apprend énormément sur la culture locale.

« Paz » (=paix) choisi par les habitants de Mariscal Sucre, Bogota, Colombie. – DR

Un an après, on a recommencé, mais au Kenya, un pays où tout était très différent de l’Indonésie : la langue, la religion, les ethnies… Après ça, on a voulu tester le projet dans d’autres pays du monde.

« Share the word » continue mais je n’y vais plus avec Spag, parce qu’il travaille sur d’autres projets. Je voyage trois fois par an, et je reste un mois dans chaque pays.

« Al Ghafur » (=celui qui pardonne) choisi par Youssef dans le bidonville de Mazarita, Le Caire, Egypte – Spag Photography

Indonésie, Kenya, Népal, Egypte, Colombie, Philippines, Ethiopie, Brésil, Inde, France, Niger, Irak… Au total, tu as été dans une douzaine de pays. Il y a des mots qui reviennent ?

Oui. Paix est le mot qui revient le plus. Il a été peint dix fois sur 146 mots.

Amour, Unité, Liberté, Espoir, Respect sont ceux qui reviennent souvent. Il y a des mots très spécifiques à certaines cultures, il y a des mots très universels, il y a des mots destinés à mon équipe et moi comme Merci. Et puis, il y a des pays où les habitants ont beaucoup de mal à choisir des mots.

Dans quel(s) pays les habitants ont eu du mal à choisir des mots ?
Au Népal par exemple. Là-bas, les gens n’ont jamais été amenés à être très créatifs. Le temps n’est pas conçu comme chez nous avec le passé, le présent et le futur. Leur temps est circulaire. Donc quand on fait de l’art au Népal, il faut le pratiquer comme les ancêtres le pratiquaient. Tout est comme une boucle. Les gens n’arrivent pas à choisir un mot. Les mots que certains ont finalement trouvés nous étaient plutôt destinés, comme Bienvenue ou Merci.

« Dhaniybad » (=merci) choisi par Bishal dans le bidonville de Bainsighat à Kathmandu, Népal – Spag Photography

À l’inverse, dans d’autres sociétés comme en Colombie, au Brésil, au Kenya… les habitants avaient beaucoup moins de mal à choisir des mots.

Apprends-tu aux enfants à peindre ?
Les situations varient. Dans les quartiers peu peuplés, je peux en effet faire des ateliers avec quelques jeunes. Mais d’autres sont complètement surpeuplés : si je commence un atelier, c’est la pagaille totale, donc ça dépend. Sinon, j’essaie toujours d’inclure des jeunes mais aussi des moins jeunes. Il faut aider les gens en général, pas seulement les enfants. Les adultes aussi.

En tout cas, sur chaque mur, il y a toujours une personne qui m’aide. Je lui montre comment faire. Icham au Népal, Daniel en Colombie, Milena au Brésil…Je préfère avoir moins d’élèves mais aller plus dans le détail. Je leur montre comment faire. C’est plus enrichissant.

« Freedom » (=liberté) choisi par Beth dans le bidonville de Gagalangin, Manille, Philippines – Spag Photography

Tu leurs apprends à peindre ; eux, que t’apprennent-t-ils ?
Tellement de choses ! Déjà, quand je suis arrivé en Égypte en janvier 2015, je ne parlais pas du tout arabe. Je connaissais à peine quatre mots. On était dans un quartier où on ne parlait ni français, ni anglais. C’est une bande de quatre-cinq enfants qui m’a appris plein de mots. Quand je suis ensuite allé en Irak, en mai 2017, j’ai pu expliquer mon projet, dire d’où je viens et écrire en arabe.

Mais j’ai aussi appris des choses essentielles. Quand on une vie difficile, on ne  fait pas semblant.

On profite de moments qui paraissent très simples mais qui sont très jouissifs : peindre ensemble, partager un bon repas ou jouer au foot. Les trois sont très universels. Au final, on jouit des mêmes choses : de l’amour, des moments entre la famille et les amis.

Ce sont des éléments simples de la vie qu’on savoure beaucoup plus dans ces quartiers défavorisés.

« Eksat » (=ensemble) choisi par les femmes du bidonville de Phule Nagar, Mumbai, Inde – photo Aswad Black

Et d’ailleurs, à propos de l’Irak… L’an dernier, tu as passé un mois dans un camp de réfugiés kurdes syriens, en Irak. Comment ça c’est passé ?
C’était génial. J’ai conscience d’aller dans des endroits très durs. En Irak, j’ai passé des moments superbes, j’ai rencontré des gens formidables et mangé de la très bonne bouffe. Arrivé à Kawergosk – une petite ville entre Erbil et Mossoul – je suis allé dans la forteresse des Nations Unies. C’est eux qui m’ont emmené dans le camp de réfugiés. J’y suis resté un mois. J’ai été très bien accueilli.

Although it’s hard to establish a table of the most welcoming places I’ve been to, I struggle to find a place where people have been warmer towards me than here in Kawergosk Refugee Camp. Kurdish Syrians seem to have this warmth so deeply rooted in their culture that their generosity never seems forced, or fake. I’ve never had to cook a single meal because everybody cooks so much food for me, I get given a dozens of cups of tea each day, as well as cold drinks, and all sorts of snacks. Quite naturally I’ve fallen in love with this refugee camp, as in certain aspects it’s the best place I’ve ever been to. But on the other hand Kawergosk is also a nightmare. It’s the place where more than 9000 people are having to build a new life away from home, with so many uncertainties. I will never thank these people enough for making me part of their lives for a month, for cooking so much for me and for delivering very good through-balls that I didn’t always put past the keeper. Salaam! #Iraq #kurdistan #kurds #SyrianCivilWar #Syrian #SyrianRefugee #UNHCR #ShareTheWordProject #SebToussaint #RefugeeCamp #Refugee #conflict

Une publication partagée par Seb Toussaint (@sebtoussaint) le

En plein ramadan, les habitants du camp cuisinaient pour moi, m’apportaient à boire pendant que je peignais. Ils sont là depuis quatre ans et demi et ils ne savent pas de quoi leur avenir est fait. Vont-ils pouvoir rentrer en Syrie ? Légalement ? Certains n’ont pas de nationalité. Le quotidien est très dur. Mais ils s’adaptent.

Quels mots ont été choisis par les réfugiés du camp ?
Tout d’abord, les kurdes m’ont tous donné des mots très facilement. Il y a eu Kurdistan. Il y a aussi eu le mot Ambition d’un jeune de 19 ans, qui repassait l’équivalent du Bac. Le mot Espoir. Paix à deux reprises : une fois en arabe, une fois en kurde. J’ai aussi eu le mot Amour, donné pour la première fois par une famille musulmane, une famille très moderne, la mère rigolait beaucoup.

« Paix » choisi par Inaya dans le bidonville de Kombo, Niamey, Niger. – photo Seb Toussaint

Le mot Vie car quelqu’un m’a dit « si je suis ici c’est pour vivre, là-bas ; j’aurais été mort ». Futur, d’un professeur de géographie d’une école locale. Il m’a dit « J’étais prof avant, je dois continuer ma mission dans le futur ». Et enfin le mot Liberté d’un jeune homme qui était dans les rues pendant le Printemps arabe. Un beau jour, son voisin lui a dit « il faut que tu partes, le gouvernement sait que tu as manifesté ». Lui m’a dit : « je ne regrette rien de tout ça, je me retrouve ici mais je réclamerai toujours ma liberté ». À chaque fois, c’était des mots vraiment forts, qui ont beaucoup de sens.

Parmi tous les endroits où tu es allé, y-a-t-il un souvenir qui t’a plus marqué que d’autres ?
Il y en a beaucoup… Là, je rentre du Niger. J’étais dans un quartier d’une pauvreté extrême, où des gamins mangeaient de l’argile. J’ai demandé à une dame si je pouvais peindre sur sa maison et elle m’a dit non.

J’ai été un peu déconcerté parce que c’était la première fois qu’on me disait non.

J’ai mené mon enquête et j’ai appris qu’elle n’avait pas de riz pour me payer. Je suis retournée la voir en lui disant que je n’avais pas besoin de riz. Là, elle a accepté que je peigne. Juste après, trois ou quatre voisins sont venus nous voir avec plusieurs plats pour compenser le fait qu’elle ne pouvait pas m’offrir un repas. Cette solidarité m’a profondément marqué. Il y a des sociétés où ça n’existe pas, où on est moins attentifs, où on ne parle pas à ses voisins, où on ne se connaît pas.

« Trust » (=confiance) choisi par Sameena dans le bidonville de Phule Nagar, Mumbai, Inde – photo Aswad Black

As-tu essuyé d’autres refus ?
Non, c’est exceptionnel. Juste une fois en Indonésie, j’ai demandé à un vieil homme si je pouvais peindre sur son mur mais on ne se comprenait pas, il n’entendait pas très bien. De façon générale, les gens sont très friands d’art.

Comment tu l’expliques ?
Je pense qu’ils sont enthousiastes car j’ai fait la démarche de venir dans leur quartier. Ils sont super contents de ma venue avant même que je peigne. Souvent, ils ne savent même pas si je sais peindre, ce que je fais, ils me font vraiment confiance et ça, c’est génial. Je garde toute ma liberté artistique tout en leur demandant quel mot ils veulent que je peigne.

Tu es allé sur plusieurs continents. En Amérique du Sud, le street art est très présent. Comment les street-artists locaux t’ont-ils accueilli là-bas ?
C’est vrai que ce sont des pays où il y a plein de street art, avec parfois des quartiers dédiés à cet art. Mais c’est moins vrai dans les quartiers où je décide de peindre.

Dans certains de ces quartiers, tu ne peux même pas entrer, parce qu’il y a des mecs ou des miradors à l’entrée.

Comme la favela Santo Amaro au Brésil. Tu dois avoir l’accord de Marta, la chef, pour y accéder. Là-bas, ils connaissent le street art parce qu’ils en voient dans la ville mais ils n’en ont pas chez eux, dans la favela. Donc finalement, je ne croise pas de street-artists locaux.

« Humildade » (Humilité), choisi par Felipe dans la Favela Santo Amaro, Rio de Janeiro (Brésil) – photo Seb Toussaint

À l’inverse, en Ethiopie ou en Indonésie, ils ne connaissent pas le street art, donc j’amène quelque chose de nouveau.

« Ethiopia » écrit en Amharic dans le bidonville de Lideta, Addis Ababa, Ethiopie – Spag Photography

Tu peins souvent au pinceau. Pourquoi les pinceaux plutôt que les bombes ?
Je préfère les bombes car l’avantage c’est que tu peux aller presque aussi vite que ton cerveau. Mais il n’y a qu’aux Philippines, en Indonésie et au Brésil que j’ai pu peindre avec des bombes. Dans les autres endroits, j’ai utilisé les moyens locaux. En fait, je ne peux pas emmener mon matériel dans mes valises. Et puis il me faudrait une tonne de bombes, ce serait trop lourd à transporter ! Mais peindre au pinceau a un avantage : si les habitants me voient peindre avec leurs produits, ils savent qu’ils peuvent le faire eux-mêmes. À la base, j’ai choisi les pinceaux pour des raisons techniques, mais finalement je trouve ça cool de peindre avec ce que je trouve sur place.

Quels sont tes projets pour la suite ?
J’ai un voyage prévu en mars. Je ne sais pas encore où, je choisis toujours mes dates avant de choisir les lieux, je fonctionne toujours de manière spontanée. Aller en Italie, c’est facile. Pour d’autres pays, c’est un peu plus compliqué. Il faut toujours un plan A, un plan B, un plan C… Pour des questions de visa, je préfère ne rien dire, mais « Share the Word » continue.

Vous pouvez suivre Seb Toussaint sur Instagram.


Propos recueillis par Jadine Labbé Pacheco.

Toutes les photos de l’article ont été prises par Seb Toussaint.
Image à la une : Photo de Seb Toussaint à Mariscal Sucre, Bogota, Colombie.

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