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Société
Par Matthieu Longatte

« À feu et ensemble », un texte de Matthieu Longatte (Bonjour Tristesse)

Je suis à Cuba depuis 12 jours, coupé du monde (ici Internet est illégal, sauf dans les luxueux hôtels) lorsque j’apprends la nouvelle. L’agréable sentiment de dépaysement a, au fil des jours -et comme souvent lorsque je voyage- laissé place à une nostalgie de mon pays : de sa nourriture, de sa culture, de sa langue et même, dois-je l’avouer, de sa population.

Le bruit d’un sms lapidaire remplace ce matin la sonnerie intrusive de mon réveil de vacancier : « attentat chez Charlie Hebdo, 12 morts ». Pris au réveil, nu, tel un fugitif face à la police, je n’ai pas les bons réflexes. Je pense d’abord à l’impact sociétal, à l’atmosphère irrespirable qui va régner dans les mois qui viennent, à l’engrenage infernal de la violence que cet événement risque de provoquer.

Puis, sous ma douche tiède au débit culpabilisant caractéristique des pays pauvres, je reçois l’impact comme une claque. Le sang a coulé, Charlie Hebdo n’est plus, des gens sont morts, assassinés, écroulés sous la barbarie, durant une froide matinée parisienne comme une autre, dans un bureau où des gens travaillaient, comme d’autres.

Deux Kalachnikovs face à des dessins. Des familles détruites pour un cahier de coloriage. Un cahier de coloriage où les couleurs ont parfois débordé, mais qui se voulait artistique, corrosif, en tout cas pacifique. Des dessins. Et désormais du rouge, du rouge qui coule partout, aspirant sur son chemin toutes les autres couleurs ainsi que ce que j’avais perçu comme des dérapages de coups de crayon.

Je me souviens de ce jour, où lors d’un cours préparatoire à l’examen d’avocat, j’interrompais sans cesse le professeur de Droits de l’Homme traitant de la liberté d’expression, mécontent que j’étais de son analyse. Celui-ci avait pris  pour objet d’étude la décision des juges dans le cadre du procès des caricatures de Charlie Hebdo. Au-delà du fait que je n’aime pas que les polémistes crient avec les loups, pour moi, certaines caricatures opéraient un amalgame intégrant tous les musulmans, caractérisant à mes yeux le délit d’injure publique envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une religion déterminée. Lui y voyait une attaque claire vis à vis de l’extrémisme, et une atteinte trop grande à la liberté d’expression de la part de ceux qui voulaient les voir condamnés. J’insistais, ma veine du cou n’aidant pas à masquer le fait que je me sentais particulièrement touché par cette problématique, que je pressentais essentielle pour la justice ainsi que pour la paix sociale. Mais il ne démordait pas, et la justice lui donnait raison.

Et c’est là, maintenant, trois ans plus tard, dans la dramaturgie sanguinaire d’un moment d’une violence inexplicable, que toute la richesse de mon pays acquiert son relief.

En France, dans notre pays, on peut discuter des heures, des jours durant, de ce qui est condamnable par la loi, on peut se crier dessus, se détester, ne plus se parler, appeler à la justice et crier à l’injustice. Mais il nous suffit d’une seconde, d’une seule seconde pour affirmer que ce qui se condamne par le sang n’est pas et jamais ne sera, pas en France, pas dans notre pays. La justice est là et malgré la confiance précaire qu’on lui accorde, on a depuis longtemps tranché : celle-ci vaut mieux que la justice bestiale de l’homme, l’Histoire nous ayant prouvé qu’il ne mérite aucun crédit. Les subjectivités fragiles et passionnées ne sauraient effleurer la raison d’une justice tâtonnante et maladroite. La violence intrinsèque à l’être humain ne saura jamais se substituer à une institution établie et qui se construit, de façon collégiale, depuis des siècles.

Alors Je te méprise, toi, faux musulman qui as la prétention blasphématoire de penser pouvoir remplacer la main de Dieu par la tienne, inculte et fainéante.
Toi, qui as appris le Coran par la bouche du profane au lieu de l’étudier par l’encre du prophète, et qui fais couler le sang à la place de faire coaguler la foi.

Toi, qui penses aller au Paradis en défendant de la sorte un prophète qui a subi persécutions et harcèlements la tête haute, mais le cœur sur la main.

Toi qui piétines le don divin qu’est la vie.

Toi qui vas faire que mes copains, mes amis, mes frères musulmans avec qui j’ai grandi, fait du théâtre, étudié le Commerce, le Droit et la Science Politique, joué au foot, partagé des rires, des soirées et des vacances -Ma vie- vont devoir supporter avec encore un peu plus de poids le regard agressif de leurs voisins ou des gens qu’ils croisent : moitié ignorants, moitié intolérants, moitié stupides.
3 moitiés, c’est bien la définition que je me fais d’un con.

Je te méprise, toi, média pyromane irresponsable, qui par le culte de l’audimat et du populisme crées des chimères auxquels tu finis par donner forme humaine, sans aucune considération pour la vérité, la nuance, et la pédagogie.

Je te méprise toi, Français trivial, ennuyé par la tristesse de ton existence, fermé sur toi-même, parlant à ton écran plus qu’à ton voisin, qui vas détester un être humain pour son apparence ou son culte, lui reniant par la même occasion son individualité, sa personnalité, son humanité, ton humanité.

Et me voilà rassuré, lorsque je nous vois tous, impactés et meurtris par cette violence que nous sommes dans l’incapacité d’accepter, alors que je nous vois progressivement nous résigner au chômage, à la précarité et à la solitude. Cette spontanéité salutaire, cette barrière commune qu’est le rejet du sang et de la violence, fait d’ores et déjà de nous des frères et sœurs.

Et je nous aime, nous qui ne cherchons pas de bouc émissaire moins évident que la bêtise humaine.

Je nous aime nous, Musulmans, Juifs, Catholiques, Athées qui comprenons que la paix, la tolérance et l’amour de l’autre sont la condition sine qua non de notre survie.

Et je nous aime, nous qui avons le réflexe de nous rassembler, et de crier notre amour pour l’autre et pour la liberté, telle une famille qui se retrouve autour du cercueil d’un proche.

Je nous aime, et je voudrais que telle une famille soudée, nous ayons l’occasion de nous retrouver ailleurs qu’aux enterrements.

À Frédéric Boisseau,
Philippe Braham,
Franck Brinsolaro,
Jean Cabut,
Elsa Cayat,
Stéphane Charbonnier,
Yohan Cohen,
Yoav Hattab,
Philippe Honoré,
Clarissa Jean-Philippe,
Bernard Maris,
Ahmed Merabet,
Mustapha Ourrad,
Michel Renaud,
François Michel Saada,
Bernard Verlhac,
Georges Wolinski.

On vous envoie notre amour, à vous et à vos proches, et on tâchera en vos noms, d’honorer ces belles parts de liberté que vous nous avez laissées.

P.S :

« La règle d’or de la conduite est la tolérance mutuelle, car nous ne penserons jamais tous de la même façon, nous ne verrons qu’une partie de la vérité et sous des angles différents. »
Mahatma Gandhi

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