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Clique x Rim’K : « De la Villardière n’aura jamais notre expertise des quartiers »

Mouloud Achour reçoit le rappeur Rim’K. Trois fois disque d’or en solo, lauréat d’une Victoire de la musique avec le 113, membre de la Mafia K’1 Fry, à 38 ans, Rim’K a derrière lui plus de vingt ans de carrière dans le rap. Il revient avec Fantôme, un nouvel album sorti le 3 mars dernier. L’occasion de retracer son parcours, de parler de l’évolution des quartiers et de rumeurs étranges…En prime, une interview de Naïla, 13 ans, actrice du film Swagger, qui vient parler d’Aulnay-sous-Bois et de l’affaire Théo.

Mouloud Achour : Bienvenue à Paris avec l’homme qui a fait que le Gros s’appelle le Gros, j’ai nommé le gros Rim’K, Rim’K du 113, comment ça va ?Rim’K : Salut mon pote, ça va ?

Ça va bien ? L’album vient de sortir, ça s’appelle Fantôme mais toi tu es là en réel, je te touche, tu existes.
Je suis là !

Le morceau qui m’a fait écouter 113 c’est « Ouais Gros » produit par DJ Mehdi ; vous avez popularisé l’expression “Gros”. C’est quoi un gros pour vous ?
Avant tout c’est un pote. C’est aussi un bon gros débrouillard et, aussi, à la base, c’est les gens du 9-4. On s’appelle comme ça entre nous, “Gros” etc… Après, c’est devenu une expression : ça nous a dépassés. Et jusqu’à aujourd’hui je vois plein de gens à la télé : “Ouais, gros machin…”  Ils ne savent même pas d’où ça vient ! En vrai, ça vient du quartier Camille-Groult à Vitry.

Même Diam’s à l’époque avait dit “Ouais Grosse”…
Ouais c’est vrai, elle avait essayé de le reprendre à sa sauce, c’était un petit clin d’oeil.

L’album Les princes de la ville va avoir vingt ans. Est-ce que vous comptez marquer ça, ou vous allez laisser passer ?
Je pense qu’on va marquer le coup, parce que c’est toute une époque qu’on a vraiment envie de faire découvrir au jeune public. Et il y a aussi des gens qui faisaient partie de cette histoire, qui ne sont plus là et pour lesquels on a envie aussi de marquer le coup. De dire que, même si nous demain on ne sera plus là, ce qu’on a fait restera pour toujours.

Il y a quelque chose qui faisait la différence entre 113, entre ce que tu as fait pendant toute ta carrière jusqu’à aujourd’hui par rapport au reste du rap, c’est un ancrage social – sans avoir jamais été militant.
Oui, c’est ça. Après, le rap, de par son histoire, fait partie du social, c’est comme ça. Le rap est dans les quartiers populaires, dans la France, la vraie France. Parce que la France ce n’est pas TF1, ce n’est pas BFM. La vraie France, c’est les quartiers populaires, les Franc-Moisin à Saint-Denis, c’est le quartier du XXème à Paris, c’est Vitry… Pour moi, la France c’est celle-là : les gens mélangés et cosmopolites.

La ruralité aussi ?
La ruralité aussi, exactement. Par rapport à ça mon pote, je me dis que je vais partager mon expérience avec le public et c’est à eux de juger.

Tu la sens comment la température dans les quartiers, pour les élections ? Qu’est-ce que tu sens venir ?
Ça sent mauvais un peu, je ne vais pas mentir. Je sens une tension, une grosse tension qui est palpable parce qu’il y a un vrai ras-le-bol. Quand on entend dans les médias qu’il faut serrer la ceinture, les groupes politiques qui demandent à la classe moyenne française de faire des efforts, et que derrière tu as des gros scandales et des grosses polémiques comme on en voit avec Fillon… Tu ne peux avoir que des sentiments de dégoût. Mêlé à des histoires comme celle de Théo et des injustices réelles, forcément ça amène de la haine dans les discours. Et quand il y a de la haine dans les discours… Ça va craquer quoi. À un moment ou à un autre, je pense que ça va craquer.

Tu penses faire partie de la solution ou du problème ?
Un peu des deux, ça dépend pour qui. (rires) Ça dépend de quel côté et de quel angle de vue on se place, mais j’ai souvent fait partie du problème. Mais je pense quand même avoir quelques solutions à apporter, des solutions simples. Parce que la vie des quartiers on la connaît, on y a vécu, et on a une vraie expertise que même De la Villardière, en traînant dix ans à Aulnay, il n’arrivera pas à cerner.

On a quelqu’un dans cette émission qui a traîné treize ans à Aulnay, puisqu’elle a treize ans et qu’elle habite à Aulnay. Elle s’appelle Naïla, on l’a découverte dans le film Swagger, elle était venue dans le Gros Journal. Naïla, c’est une petite qui rêve de faire du foot, dans ses éducateurs sportifs il y a Théo, dont tu as parlé… Et il lui est arrivé quelque chose il n’y a pas très longtemps : un règlement de comptes en bas de chez elle. Je te montre juste cette petite interview de Naïla, pour qu’on parle après de ces mômes, de la génération après la nôtre dans les quartiers.

(Début de la séquence)

Mouloud Achour : Bonjour Naïla. On t’a découverte avec le film Swagger, on se rappelle de toi dans le film, on se rappelle de toi dans le Gros Journal, tu nous as dit que tu voulais faire du foot. Tu as quel âge maintenant ?
Neila : 13 ans.

Il se trouve que tu habites à Aulnay, que tu connais Théo.
Oui, c’est ça.

Est-ce que tu peux nous raconter ce qu’il t’est arrivé chez toi ?
J’allume Snapchat, je commence à regarder les Story… Et je vois tout le monde en train de faire “Justice pour Théo, justice pour Théo”. Après je demande à quelqu’un de ma classe “il s’est passé quoi ?” Elle m’explique et tout… Après c’est là où j’ai compris, et dans les jours d’après je voyais dans les Story les émeutes et tout… Et moi j’étais choquée.

Donc toi, tu as vu tout ce qu’il se passait en bas de chez toi sur Snapchat ?
Oui, et j’entendais les hélicoptères aussi tourner toute la nuit.

Et tu ne sortais pas de chez toi ?
Si, je sortais pour jouer dehors, mais je sortais pas sinon.

Et tu le connaissais, Théo ?
En fait je ne savais pas, mais il était sur le tournage du film. Et c’était mon animateur avant, au centre.

Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?
Moi, je pense que cela ne se fait pas parce qu’il est juste venu aider un petit, et puis lui il s’est tout pris et il n’a rien fait.

Il s’est passé autre chose juste en bas de chez toi. Il y a eu un règlement de comptes, est-ce que tu peux nous dire ce qu’il s’est passé ?
Je rentrais, je jouais au foot, et puis là il y a ma mère qui me dit “Oui il y a eu un règlement de comptes juste à côté de la boulangerie à 15h.”

Et c’était quoi ce règlement de comptes ?
Je n’ai pas cherché à en savoir plus.

Comment est-ce qu’on vit quand on a ton âge, que les jeunes ont pour la plupart peur de la police, qu’il y a des règlements de compte et que c’est la police qui est censée les protéger ? Comment est-ce qu’on fait ?
Je ne sais pas, moi quand je vois la police je me dis “ils sont censés me protéger”. Après, quand je vois ce qu’ils ont fait à Théo, maintenant je sais que je ne vais pas les appeler, pour les voir et leur demander de m’aider.

Donc toi par exemple, s’il y a quelqu’un qui t’agresse, tu ne vas pas appeler la police ?
Je pense que les gens autour le feront, mais moi sur le coup je ne vais pas le faire.

Pourquoi ?
Je sais déjà qu’ils vont prendre 15 minutes à venir, donc d’ici là il sera déjà parti l’agresseur, donc…

Donc c’est quoi la solution pour toi ? Il faut rétablir la police de proximité ?
Il faut renforcer les forces de l’ordre. Il faut les renforcer et qu’il y en ait plus en patrouille, parce que je sais qu’il y en a souvent au bureau, et dès qu’ils les appellent, ils prennent tout leur temps pour venir.

Donc toi tu fais quand même confiance à la police ?
Oui.

Parce que plein de gens croient que dans les quartiers, dans les cités, il n’y a que des règlements de compte, des embrouilles, des trucs comme ça, et qu’il n’y a que des criminels. Comment faire comprendre aux gens que ce n’est pas ça ?
Il faudrait qu’ils viennent voir la cité, juste une journée. Ils verront, juste ils verront les petits en bas jouer dehors, et ils se diront qu’il n’y a pas que des règlements de compte.

Comment on fait pour ne pas être dans les histoires ?
Il faut éviter de s’approcher des gens à histoire… Je ne sais pas comment expliquer.

Mais non mais c’est important de le dire !
Il faut éviter de traîner avec des gens qui font des bêtises, parce qu’à force d’être avec quelqu’un, on peut devenir comme lui.

(Fin de la séquence)

Rim’K : Franchement c’est touchant, ça me fait quelque chose, parce qu’elle doit avoir l’âge de mes neveux et nièces… Et moi je n’ai pas ces discussions-là avec mes neveux et nièces. Mais je sais qu’ils pensent la même chose, exactement. Elle a 13 ans, elle parle comme une personne de 25 ans, elle est ultra-lucide. Dans les quartiers, ils sont comme ça aujourd’hui les jeunes. Ils gambergent autrement qu’à notre époque.

Mouloud Achour : Comment tu l’expliques, ça ? Ces mômes-là, c’étaient vous leurs modèles ?
Il y a eu une rupture à un moment dans les quartiers, aussi. Pas par rapport à nous et à la nouvelle génération, je parle socialement. Par rapport au fait qu’il y a Sarko qui est arrivé, le capitalisme, il y a d’autres choses qui se sont développées. L’esprit de quartier s’est un peu perdu, on a plus été dans une société individualiste.

Tu veux dire que le tissu associatif qui était présent dans les années 80, l’héritage d’une société ouvrière, a disparu en fait ? Les mômes sont devenus de droite…
Voilà, exactement, c’est vraiment ce que je ressens. Et aussi, on n’a pas donné les moyens aux associations !

Mais tu aurais pensé qu’on aurait pu en arriver là ? C’est-à-dire qu’une gamine de 13 ans, la même semaine, voit quelqu’un de son quartier qui subit une violence policière, et un règlement de comptes juste en bas de chez elle… Tu pensais qu’on allait arriver à ce niveau de violence ?
Non je ne pensais pas. Je me suis dit que…

Parce qu’on peut se révolter contre les violences policières, mais il y a aussi un moment où il faut qu’on se révolte contre nous. Moi ça m’attriste de savoir qu’une petite vit des règlements de compte en bas de chez elle. Quand on voit ce qu’il se passe dans les quartiers… La violence a explosé, ça a monté d’un cran.
C’est là qu’on se rend compte que la police est inefficace dans les quartiers. Et c’est pareil, c’est l’un des seuls interlocuteurs de l’État qu’on a en face de nous. Donc c’est eux qui se prennent tout dans la gueule. Et c’est des humains comme tout le monde, donc au bout d’un moment ils n’y arrivent plus. Donc ils craquent et ça donne des situations de merde, des bavures et des mauvais traitements. Parce que les mecs sont à bout.

En fait, ce sont des pauvres qui s’affrontent ?
Mais c’est exactement ça ! Moi je ne connais pas un keuf qui doit gagner plus que 2000 balles, ça n’existe pas, ça. D’après mes connaissances, il n’y a que des haut-gradés ou des gens qui ont été longtemps dans la police qui gagnent plus de 2000 balles. C’est des métiers de classe moyenne.

Est-ce que tu vas aller voter ?
Moi j’invite les gens à voter, s’ils ont une conviction il n’y a pas de problème. Après j’ai du mal à en avoir… Moi il y a un candidat qui se rapproche le plus de moi, malgré tout, quand je l’écoute il me fait rire en plus, il est drôle…

C’est qui ?
C’est Mélenchon ! (rires) C’est le nouveau Molière mon pote, c’est un tueur, parce qu’il utilise des mots simples et efficaces, il va droit au but. Là où les mecs te rajoutent des tartines pour te dire “non”, lui il va te dire “non”. Et c’est ça que les gens aiment : la franchise. Et ça, ça s’est tellement perdu dans la politique qu’un mec un peu sincère – après je ne sais pas, je ne connais pas son passé etc – mais qui a l’air en tout cas sincère, tout de suite il intéresse du monde.

Donc Rim’K / Mélenchon, la connexion inattendue ?
Le featuring de choc ! (rires)

Je vais te dire quelques phrases et tu va me dire « mytho » ou « pas mytho », ok ? La Mafia K’1 Fry se reforme. Mytho ou pas mytho ?
Euh… Mytho je crois ! Ce qu’on a fait c’est déjà tellement beau… Est-ce qu’on arrivera à… Tu comprends ce que je veux dire ?

Mais s’il doit y avoir un Straight Out of Compton (le film sur N.W.A.) à la française, c’est la Mafia K’1 Fry. On le sait tous.
Ouais, ça je suis complètement d’accord ! Je pense que l’équipe qui se prête le mieux à un long-métrage c’est la Mafia K’1 Fry de part notre histoire puis il y a eu les succès, il y a eu les déceptions, il y a eu des drames, il y a eu des gros moments de joies et tout ça je pense que dans un film, ça fait un putain de film !

Le plus gros mytho que t’as entendu sur toi ? Sur le 113 ?
Il y a un fan qui est venu me voir “Ouais bsahtek !”, je lui dis « qu’est-ce qu’il y a ? »  Il me dit ouais t’es marié avec Kenza Farah ! Je vais sur Google, et je vois « Rim’K » et je vois tout de suite « Kenza Farah » derrière… Et je me dis « mais c’est pas possible, c’est quoi cette rumeur de ouf ! » (rires)

Rim-K, Fantôme est dans les bacs. Tu sais le respect qu’on te porte… C’est qui les enfants du 113 aujourd’hui ?
Musicalement, ça ne se ressemble pas trop, mais dans l’esprit je pense que c’est PNL. C’est les seuls qui tentent des choses que tu ne verras nulle part ailleurs. Sans prétention, à l’époque, toutes les musiques que DJ Mehdi proposait aux autres et qu’ils ne voulaient pas, c’est celles qu’on kiffait, nous ! On a toujours eu ce truc de vouloir être original, d’être différent des autres, d’amener quelque chose qu’il n’y a pas. C’est comme ça qu’on a vécu la musique depuis toujours ! Beaucoup de respect pour eux, je pense que c’est ceux qui s’en rapprochent le plus.

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