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Arts
Par Norman Clerc

Chasse aux Dead Drops : à la recherche des clés USB cachées dans Paris

Vous n’en avez probablement jamais vues et pourtant vous en avez sûrement déjà croisée une plantée dans un mur... Les dead drops.

En 2010, alors qu’il est en résidence au Centre d’art et de technologie EYEBEAM à New-York, Aram Bartholl, un artiste allemand, a l’idée de créer un « un réseau d’échange de fichiers anonymes, hors-ligne, peer-to-peer (P2P) dans les lieux publics ». L’engouement est tel qu’il lance un site dédié dans la foulée.

Il invite alors quiconque à installer ses propres dead drops et à partager ensuite leur location. Une initiative qui a trouvé écho dans le monde entier. Au total plus de 1500 clés ont été mises en place, même si nombre d’entre elles ont été volées, cassées, ou sont simplement… mortes.

En France, une clé a encore été installée le 20 mai dernier dans un bois entre Guéret et Montluçon ou le 18 mai à Nantes, au 33 rue Noire. Toutes ces données sont consultables grâce à une carte interactive et coopérative en ligne sur le site.

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À Paris, 29 clés usb ont été installées -majoritairement en 2010/2011. Il n’en resterait que 9 fonctionnelles dont 2 au statut incertain. Je suis allé à la recherche de chacune d’entre elles pour m’assurer qu’elles sont bien encore là et si oui, voir ce qu’elles renferment…

#1&2 – Passage des Taillandiers / St.Antoine : 10/09/2011
Celles-là ont été placées par un type qui se prend vraiment pour un espion, opérant sous le nom évocateur de 007N. Il est tout aussi convaincu d’être espionné puisqu’il dit lutter contre Hadopi. Plutôt risible aujourd’hui, quand on sait que dans ses quatre premières années d’existence la loi n’a fait qu’un condamné – pour avoir téléchargé un titre du Collectif Métissé et un autre de Rohff… Discrétion oblige, l’internaute ne poste pas de photos de l’endroit où sont cachées ses clés ; je vais devoir me taper les passages à la loupe. On commence avec celui des Taillandiers.

Après une heure d’inspection méticuleuse de chaque trou, crevasse, recoin, toujours rien en vue. Je tente de glaner des infos au studio de danse Harmonic.
A l’accueil une jeune connaît le projet, oui oui, ça lui dit quelque chose ! Mais elle n’en a jamais vu, désolée… Ascenseur émotionnel. En me tournant vers sa collègue plus âgée je ne recueille qu’un : « Oh vous savez, je ne regarde pas les murs !.. », avec le rire amusé qui va avec. A l’atelier de céramique un peu plus loin je peux carrément lire l’inquiétude sur le visage de la gérante à l’évocation de « dead » drops… je n’insiste pas. Chou blanc donc. J’ai tout de même trouvé un trou – avec des traces de mortier tout autour d’une couleur différente du mur- qui aurait vraisemblablement pu être la dernière demeure de la clé des Taillandiers. Aujourd’hui il abrite une seringue…

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Passage Saint-Antoine : RAS.

 

#3&4 – INSEEC : 14/12/2012 & 23/01/2014
L’Institut des hautes Études Économiques et Commerciales abriterait deux clés sur le campus de la rue Alibert. L’une déposée par un étudiant et la deuxième par quelqu’un qui se cache derrière le nom de son école. Selon sa propre description, voilà ce qui nous attend sur la clé du M1 : « You want funk in your life? Come and get funky in our school and see what we have to offer you. Don’t dare? Your loss. » Un peu que je dare. C’est donc alléché par cette promesse de me faire funker que je me rends d’abord au campus principal de l’avenue Claude Vellefaux pour savoir si quelqu’un en a déjà entendu parler.

(Pour une immersion totale dans l’enquête.)

A l’entrée je tombe sur une femme qui est probablement la plus accueillante de l’histoire des bureaux d’accueil. Elle rigole au récit et à la description de mon enquête : « Les death drops ? Ah quand je vais dire ça à mon mari ! »
Elle n’en a donc jamais entendu parler, mais elle fait venir à grands signes de bras un membre du BDE qui passe devant le bureau. Malheureusement ça ne lui dit rien, et pourtant il en a entendu des bruits de couloirs… Qu’à cela ne tienne, ça ne décourage pas ma bienfaisante hôtesse qui ameute cette fois un étudiant en M2 qui lui connaît quelqu’un qui connaît peut-être…! Sherlock Standardiste s’empresse de le contacter mais à sa moue et aux rires qui sortent du combiné je sens peu à peu mon fantasme se retirer. Je vais donc directement rue Alibert où je rencontre Yanis l’informaticien, qui accepte de m’aider dans ma quête. Photos en main nous allons dans les deux salles infos susceptibles d’abriter les dead drops. On se rend assez vite à l’évidence, les clés ne sont plus là. Yanis finit d’abattre mes rêves puisqu’il me dit que les salles ont bien changé depuis les travaux…

 #5 – Centre Georges-Pompidou : 19/02/2011
Originalement surnommée « The Pipe » (le tuyau), la clé du CGP à été déposée par un fan d’électro japonaise qui a laissé dessus un « casual summer mix » de Shinichi Osawa. Il se fait appeler « chat cyan ».

Je me le figure très maniéré à la voix mielleuse en lisant ses précisions :«L’environnement immédiat du dead drop est un peu sale (avec la pluie, les chiens et les clochards [bums] qui passent à côté). Peut-être que vous devriez porter des gants ou avoir un mouchoir dans votre poche. »

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Qu’à cela ne tienne, je me rends sur place en espérant au moins y trouver vraiment des choses bizarres. J’ai beau faire le trottoir de long en large, ça sent bien la pisse de derrière les fagots, mais je ne flaire aucun dead drop. Je décide d’aller demander des renseignements à l’accueil du centre, photos en main. Ils pensent soit que je suis fou, soit que j’ai une combine pas nette ; en tout cas ils me prennent pour un emmerdeur.
« Allez voir avec les agents de sécurité, ils arpentent la rue du Renard tous les jours eux… ».
L’un d’eux me prend d’abord pour une énorme buse puisqu’il me dit que les tuyaux qui sortent du sol c’est derrière
Ça fait 20 ans que l’un d’eux travaille ici, mais ils n’en savent pas plus, si ce n’est qu’il y a bien eu des travaux et des tuyaux qui ne sont pas restés. Nulle trace de ce maudit tuyau coudé. Ce chat cyan est décidément un gros malin, il a fallu qu’il installe sa clé sur le seul tuyau qui ne faisait pas partie du centre…

 

#6 – Gallerie XPO : 15/05/2013
C’est la seule clé posée par Aram Bartholl qui subsiste à Paris.
J’ai confiance dans le créateur, il n’aura pas fait ça à la légère, elle est sûrement encore là, et MIRACLE, elle est bien là…

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… mais rouillée comme pas possible. Crise de foi. Je tente quand même ma chance. Qui m’a quittée elle aussi apparemment, la clé ne monte pas. Merde à la fin. Le galeriste auprès duquel j’essaie tout de même d’en apprendre plus ne l’avait même pas remarquée… Je file au Pont des Arts, sans un regard en arrière. Je ne m’avouerai pas vaincu si facilement.

#7 – Pont des Arts : 20/11/2010
C’est l’une des clés que j’avais le plus envie de trouver, tout en sachant que c’est celle que j’aurais le moins de chance de trouver; la clé ayant été posée sur un cadenas il y’a plus de quatre ans. L’enflure qui l’a mise là en 2010, a même jugé bon de faire ce trait d’esprit en description : « Pourquoi cacher une aiguille dans une botte de foin quand vous pouvez la cacher dans une boîte d’aiguilles ? »

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Entre les grillages entiers enlevés par la mairie et les fanatiques de Fuck Love qui ont coupé plus de 200kg de cadenas, était-il seulement encore là ? Si oui, encore fallait-il le repérer derrière les exquises barrières de chantier récemment installées et parmi les milliards d’autres cadenas que les “best friends/lover forever” éphémères posent chaque jour, depuis 1644 jours.

J’ai cette image pour m’aider :

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Je ne me décourage pas pour autant et, dans un élan passionné, armé du pouvoir de l’amour et des justes, je soulève chaque grappe de cadenas, penché par dessus les balustrades. Au bout d’une heure je commence vraiment à saturer, j’ai la nausée de la niaiserie. Cupidon, viens-moi en aide ! Avec l’énergie du désespoir j’écarte, je tourne et je repousse frénétiquement. C’est à bout de souffle et les doigts en sang (sérieux) que je crois enfin le reconnaitre, encore recouvert de sa pâte fixante.

OUI c’est bien lui. J’en aurais presque une larme.

Gros gros big up à J+C (appelons les Jimmy et Cunégonde) qui m’ont permis de mettre le doigt dessus. J’espère que vous filez encore le parfait amour. Moi je file tout court avant de chialer. Vous l’aurez compris la clé n’est plus là, on va pas enfoncer le couteau dans la plaie, merci.

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 #8 – Port de Suffren : 04/02/2011
Autre pont, autre scénario ? Je l’espère du fond du coeur en me garant devant le Pont d’Iéna. La clé à été laissée là par VEhF, un « musicien électronique, artiste du son » pour partager sa musique. Les instructions sont claires : « Face au pont, descendez l’escalier à votre gauche. Tournez à droite, asseyez-vous sur la première marche, détendez-vous et téléchargez… »

Bon bah je me suis assis, je me suis bien détendu, mais j’ai pas pu télécharger. Décidément. Je ne suis même plus surpris. Résigné, je fais cap sur le dernier spot, cap sur le bar (ça tombe bien, un verre serait pas de trop), cap sur… Le Dernier Bar avant la Fin du Monde.

 

#9 – Le Dernier Bar avant la Fin du Monde : 28/08/2013
Installée pour des jeux de piste organisés par MediaEntity, la clé se situe au deuxième sous-sol, brr… Aller, s’il vous plaît, du manga porno, des tutos informatiques ou des jeux vidéos 8-bits piratés, n’importe quoi, mais donnez-moi quelque chose. Je descends les marches quatre à quatre, l’ambiance devient pesante, des notes de métal s’élèvent de l’antre… Non je déconne c’est très bon enfant. Je vous rappelle qu’on est là parce que des gars ont fait un jeu de piste. J’arrive enfin en bas…

GOD BLESS THE GEEKS, la clé est toujours là, accrochée à une grille. Je m’empresse de sortir mon ordinateur et de le brancher. Euphorique je vois s’afficher, enfin, un disque externe sur mon bureau. ALLÉLUIA !! Dead fucking drop, à nous deux.

 

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Bon alors même si c’est pas la trouvaille du siècle, il y’a des trucs assez divers sur la clé. Le premier numéro d’Hara-Kiri, une BD tirée du jeu vidéo Injustice – Gods Among Us, un dessin animé en anglais appelé Adventure Time fait par des mecs sous LSD pour des gamins amenés à en prendre, et le livret de règles du jeu de MediaEntity. Il y’a aussi un readme qui explique le principe des dead drops, comme demandé par Aram Bartholl.

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« This party is so crazy ! » dixit le… la chose avec les bras guimauve

Je laisse derrière moi un petit souvenir, puisque la poésie c’est la vie et que comme le voulait Jean-Pierre Rosnay : il faut rendre la poésie contagieuse et inévitable. Et puisque je suis super corporate je laisse aussi un petit lien plein de sous-entendus vers Clique. Ils cliqueront tous les petits coquins.

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A présent il ne tient qu’à vous, qui avez eu le courage de me lire jusque là (merci), de faire revivre ce beau concept à Paris et ailleurs. Espérons que ce ne soit pas là le dernier dead drop avant la fin du monde !

 

#10 – Bonus • Toxic is (drop) Dead : 09/05/2011
En 2011 l’artiste The Toxic Avenger avait participé au projet en plaçant une clé devant la Gaîté Lyrique. Elle contenait son premier album, avant sa sortie officielle. Les gens étaient aussi invités à se prendre en photo avec la clé de la manière la plus créative et excentrique qui soit pour gagner des cds signés et des passes pour les backstages.
Je lui ai demandé de m’expliquer sa démarche :

« Ce dont je me souviens c’est que ça m’excitait assez de me dire que je laissais traîner en plein Paris un truc qui était pas censé être là. Genre si un type qui le trouvait le mettait sur Internet, ça aurait ruiné la carrière de mon disque ! Et puis y’avait un côté bouteille à la mer qui est toujours excitant.
À l’époque c’était vraiment marginal comme démarche. »

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La description sur le site dead drops commence ainsi : « Trouvons une nouvelle façon de partager, de diffuser et d’échanger notre musique gratuitement, ça s’appelle le “peer to peer” et il est temps d’en profiter ! »

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