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Société
Par Jalal Kahlioui

CLIQUE TALK : En 2018, les coiffeurs de France pourront (enfin) être formés aux cheveux frisés et crépus

À la rentrée 2018, les apprentis coiffeurs auront peut-être enfin l'occasion de s'exercer sur tous les types de cheveux, et notamment les cheveux frisés et crépus, grands oubliés du diplôme. Derrière cette initiative, il y a une femme : Aude Livoreil-Djampou. Entretien.

Après 17 ans passés chez L’Oréal (qu’elle a quitté en 2015), cette doctoresse en ingénierie chimique a décidé de prendre les devants pour faire avancer la diversité de la beauté dans le secteur coiffure. Depuis un an et demi, elle est à la tête du studio de coiffure Ana’e qui revendique la coiffure pour tous les cheveux. Pour Clique, Aude Livoreil-Djampou revient sur son parcours, du Brésil au Japon en passant par le Cameroun, et explique son engagement.

Clique : Vous êtes doctoresse en ingénierie chimique de formation, mais très vite, vous vous êtes intéressée à la beauté. Pourquoi ?
Aude Livoreil-Djampou : Je trouvais que c’était un beau moyen de faire de la chimie. Je me sens bien dans le monde scientifique, mais j’aimais aussi le monde de la cosmétique. La beauté a vite pris le pas sur la chimie elle-même. Rapidement chez L’Oréal, j’ai travaillé avec des coiffeurs sur des produits capillaires. Et j’ai eu un vrai coup de foudre pour le métier de coiffeur, jusqu’à ouvrir mon propre salon.

Le studio d'Aude Livoreil-Djamou à Paris. L’équipe d’Aude Livoreil-Djampou (deuxième en partant de la gauche) dans son studio de coiffure ouvert à Paris en 2015. 

En tant que femme blanche, est-ce que vous êtes posée la question de la légitimité de votre initiative ?
Evidemment. Mais dans mon histoire personnelle, j’ai toujours été dans d’autres cultures. Quand j’étais au Japon, j’ai compris ce que c’était que d’être immigrée dans un pays. Ça m’a beaucoup marquée. J’étais perdue, je n’avais ni les codes ni le langage. J’étais à l’Université, dans un cadre confortable, mais ça m’a fait me rendre compte de la difficulté de tout construire dans un autre pays. L’énergie d’adaptation est absolument énorme. Dans tout mon parcours, c’est la culture de l’autre qui m’a beaucoup intéressé. Et c’est dans cette optique que j’ai découvert le Brésil en 2006, je disais aux coiffeurs ‘ »faites comme vous avez l’habitude de faire ».

Quel était l’accueil des coiffeurs lorsqu’ils vous voyaient arriver lorsque vous travailliez pour L’Oréal ?
Je peux comprendre que lorsqu’on me voit arriver, on peut être méfiant. Sauf que par l’expérience et le projet que je porte, j’arrive à me faire entendre et comprendre. Et les gens se disent assez vite « elle sait de quoi elle parle ».

En octobre 2009, l’humoriste Chris Rock sortait le film Good Hair, qui s’intéressait à l’industrie de la coiffure pour Afro-descendants. Dans ce film, le comédien s’est aperçu de la dangerosité de certains produits de lissage utilisés dans les salons de coiffure spécialisés. 

On serait tenté de penser que vous n’avez jamais été confrontée au problème du manque de coiffeurs spécialisés dans les cheveux crépus ou frisés, ni même au racisme en France…
En tant que blanche, et notamment sur la perception du racisme, j’ai compris ce qu’était la vie d’un noir en France en vivant aux côtés de mon mari d’origine camerounaise. Et je l’ai pris en pleine figure. Je n’avais jamais vu ça. On peut entendre le racisme de loin, mais quand on le vit… Et la deuxième chose qui m’a choquée, c’est le fait que mon mari soit habitué. Qu’il ne soit même plus révolté, ça fait partie de son quotidien. C’est comme si c’était devenu un état de fait. Et je n’ai pas envie qu’en France il y ait des enfants qui continuent de subir cette situation.

« Lorsque je jouais avec ma fille au prince et à la princesse, et que je lui disais que son père était un prince, elle m’a répondu : ‘Maman il n’y a pas de prince noir’. Je me prends ça dans la figure. Quand est-ce qu’elle a vu un prince ou un héros à la peau colorée, dans sa vie d’enfant ? »

Miss France et ses cheveux frisés La nouvelle Miss France 2017, Alicia Aylies, portant fièrement sa coupe afro. 

Le salon de coiffure est un lieu souvent assimilé au dévoilement de soi (volontaire ou non), à la psychologie…
Ce sont des gens qui sont à l’interface de plein de domaines, très psychologues, très amoureux des gens, et en même temps qui vont être techniques, artistes, businessmen. Ils sont multi-casquettes, et surtout ils ont une façon d’appréhender le cheveu qui est très globale.

« Les coiffeurs regardent tout, la matière, la couleur etc., et moi qui arrivais avec un angle très scientifique je trouvais ça magique. J’avais une impression d’avoir affaire à des musiciens ».

Vous participiez aux lancements mondiaux des produits L’Oréal. Quel pays est en avance sur tout le monde ?
Pour L’Oréal, le Brésil est une étape essentielle car les Brésiliennes dépensent plus du quart de leur revenu dans leurs cheveux. C’est un petit peu l’eldorado de la coiffure. Ce qui est extraordinaire au Brésil, c’est qu’il y a tous les types de cheveux et de peaux, du fait du métissage ultra-présent, et une culture du cheveu qui existe depuis longtemps. Les Brésiliennes sont très attentives à leur coiffure, et sont très exigeantes sur le résultat.


La fameuse technique du lissage brésilien est devenue courante en Europe, et compte de nombreux adeptes en France. 

Qu’est-ce que les coiffeurs brésiliens ont de plus que leurs homologues français ?
Dans les salons de coiffure brésiliens, les coiffeurs et coiffeuses peignent et coupent les cheveux de tout le monde, puisqu’au Brésil on a tous les types de cheveux tout le temps. Quand je suis revenue en France, j’ai trouvé le monde de la coiffure extrêmement archaïque, surtout la façon qu’on avait de segmenter et de cloisonner les choses : les blancs d’un côté, les noirs de l’autre, et ceux qui sont entre les deux c’est encore pire. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré mon mari, d’origine camerounaise. J’ai eu ma fille quelques mois après. Ma fille métisse est née avec des cheveux bouclés, donc je me suis dit ‘où va-t-elle aller ?’. Notre vision extrêmement segmentée de notre société, par la petite fenêtre de la coiffure, traduit quand même un état d’esprit qui limite extrêmement ces enfants-là.

J’ai découvert qu’il n’y avait aucun enseignement sur le cheveu frisé et crépu dans la coiffure professionnelle. C’est vrai, en esthétique aussi. Les peaux colorées ne sont pas non plus mentionnées dans les diplômes nationaux. Et en fait, j’ai eu l’impression qu’on disait aux gens qu’ils n’existaient pas.

Ça m’a vraiment choquée, pour mes enfants, et pour beaucoup de personnes que je connais. C’est comme si on disait aux gens, vous n’existez pas, vous n’êtes pas là. Mais les gens sont là.

Rokhaya Diallo sur les cheveux crépus et frisés

Une fois le choc passé, vous décidez de prendre les choses en main. Comment cela se passe concrètement ?
J’ai travaillé en parallèle avec la Fédération (Nationale de la coiffure, NDLR) et le Ministère de l’éducation nationale. Parce qu’aujourd’hui, un diplôme est créé soit à l’initiative du Ministère de l’Éducation Nationale, soit des représentants du métier de la coiffure. Les deux m’ont répondu par l’affirmative. De mon côté, je commence à travailler sur les formations, monter des formations d’une à deux journées pour les coiffeurs pour qu’ils viennent apprendre les bons gestes, les bonnes pratiques.

« La porte de la coiffure est une petite porte mais elle illustre le regard global de la société ».

Est-ce vous vous êtes heurtée par le fait que la France ne dispose pas de statistiques ethniques pour estimer la demande ? 
Je savais qu’on allait me sortir le fait qu’en France il n’y a pas de statistiques ethniques. Sauf que c’est faux. Quand on cherche bien, notamment dans les chiffres européens fournis par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), on trouve des chiffres. Même si on prend des chiffres du Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN), ou d’autres associations, il y a des chiffres, des estimations qui existent.

Quels sont les chiffres sur lesquels vous pouvez travailler ? 
Le marché de la coiffure, c’est 5 milliards d’euros. Le CRAN dit qu’il y a à peu près 18% à 20% d’Afro-descendants. L’OCDE dit que la France est un vieux pays d’immigration ; il y a 26% de la population qui est issue de la première ou de la deuxième génération d’immigration venant d’Europe du Sud, Afrique du Nord et subsaharienne, et d’Europe de l’Est. Donc, imaginons qu’il faille 20% de salons qui soient capables de traiter la demande de coiffure pour les afro-descendants…

… Il faudrait 2 500 salons spécialisés en Île-de-France. Alors qu’à Paris, on compte seulement, au grand mot, à peine 30 salons. On couvre uniquement 5% des besoins réels.

Quand est-ce qu’on pourra avoir un diplôme de coiffure officiel ?  
Il faut un petit peu de temps, parce qu’on rentre dans les rouages de l’institution publique. Ils ont de gros agendas, une réunion par mois. L’ensemble des représentants du métier coiffure (organisations patronales, salariales, et celles des caisses qui paient les formations des coiffeurs). On espère une rédaction pour septembre. Il faudra ensuite un enregistrement administratif.

« À la rentrée 2018, on aurait potentiellement un diplôme qui prend en compte les types de cheveux frisés et crépus. »

Est-ce que le retard accusé par la France ne tient pas, en partie, son origine dans le manque d’exposition des modèles féminins noirs ?
Il y a une problématique de « role model » (de personnalité médiatisée et exemplaire). Il n’y a pas beaucoup de « role model » frisé ou crépu, ça commence mais c’est encore très léger. Du coup, l’enfant ne se projette pas sur un modèle de beauté. Au quotidien c’est galère : les parents ne savent pas quoi répondre. Vous imaginez une jeune fille ou un jeune garçon, qui se construit au quotidien en pensant qu’elle a des cheveux maudits ?

Michelle Obama Clique.tvMichelle Obama, ex-première dame des États-Unis, s’est toujours affichée avec un brushing parfait.

Dans ce domaine, on regarde ce qu’il se passe aux États-Unis, et on ne peut s’empêcher de penser au mouvement nappy, dans lequel des femmes noires prônent le fait de laisser pousser leurs cheveux dans un état le plus naturel possible. 
C’est parti d’un mouvement presque militant. Natural and Happy veut aussi dire « je suis belle naturellement, je m’accepte en portant fièrement mes cheveux ». On est dans un parcours psychologique, ça ressemble à un coming-out quelque part. Il y a beaucoup d’étapes qui rappellent ces choses là, où la personne s’assume. Il y a des gens qui vont s’assumer tout de suite, des jeunes filles qui vont dire « il n’est plus question que je me défrise », et il y en a qui vont y venir progressivement.

« Ce n’est pas à moi de dire aux femmes ‘défrisez-vous’ ou non. C’est elles qui le choisissent, par contre je veux qu’elles le choisissent pour de bonnes raisons et que, quoi qu’elles choisissent, elles aient accès à la qualité qu’elles méritent. »

Christiane Taubira avec ses tresses.Pendant le quinquennat de François Hollande, Christiane Taubira a été l’une des personnalités politiques les plus emblématiques du gouvernement. 

On a beaucoup essayé de décrédibiliser Christiane Taubira, notamment pour ses tresses…
Complètement ! Je connaissais une personne extrêmement haut placée à L’Oréal qui m’expliquait que pour se faire mieux entendre, avant une réunion importante, elle se faisait un brushing. On pense qu’il y a un côté plus sérieux, plus apprêté, plus… lissé, au sens propre comme au figuré.

La chanteuse Solange a écrit la chanson « Don’t Touch My Hair » (A Seat at the Table) qui revendique son héritage culturel matérialisé jusque dans ses cheveux.

Comment est-ce que la situation peut évoluer ?
L’évolution tient à des personnes, à des role-models. Les choses avancent doucement. Solange Knowles, qui a notamment chanté une chanson qui s’appelle « Don’t Touch my Hair » (sur l’album A Seat at the Table). Ce que je trouve intéressant dans le mouvement Nappy de manière générale, c’est que ça ouvre le choix aux hommes et aux femmes de porter leur cheveux naturels ou non, d’apprendre des technique pour les coiffer, et jouer avec la variété de ces cheveux. Il faut l’apprendre, avoir les bons gestes.

« Tout cette initiative repose finalement sur l’ambition toute simple de permettre aux gens de se réapproprier leur beauté ».

Photographie à la Une © Meridith Kohut pour le New-York Times. 

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