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Société
Par Laura Aronica

L’Église catholique de demain sera-t-elle numérique ?

Chapelle wifi, "tchat" avec les saints : bienvenue dans l'Église connectée.

« L’Église est la plus vieille start-up du monde (…). Notre maison Saint-Julien ne va pas se construire et se financer avec de l’argent tombé du ciel : nous avons besoin de vous ». Sourire en coin face caméra, hésitations contrôlées… En cette fin de mois mai 2015, Monseigneur Yves Le Saux, évêque du Mans, se met dans la peau d’un sympathique patron de start-up pour une vidéo diffusée sur le web. L’objectif : récolter des fonds pour son diocèse grâce au financement participatif – 500 000 euros, précisément.

Au delà de l’anecdote, cette mini-campagne YouTube montre encore une fois à quel point, pour l’Église catholique d’aujourd’hui, la Toile est devenue un formidable outil de communication. Internet – et en particulier les réseaux sociaux – lui sert à mieux informer les fidèles (peu de diocèses, par exemple, ne disposent pas de leur propre site web). Elle y diffuse sa parole, réunit des fonds, et tente, souvent, d’y rajeunir son image

Ce positionnement, parfois poussif, s’attire des détracteurs, en France comme ailleurs. Aux États-Unis, le 30 avril dernier, une journaliste du Washington Post y allait ainsi de son cri du coeur : accusant l’Église de tenter de se déringardiser à tout prix (à coups d’iPad à gagner à la fin de la messe), elle fulminait : « Vous voulez récupérer les jeunes ? Arrêtez d’essayer de faire passer l’Église pour un truc cool ».

Mais au-delà de l’aspect « publicité », l’Église a-t-elle besoin d’intégrer le numérique dans son quotidien – pour faciliter ou faire évoluer les pratiques des fidèles, pour s’organiser, pour transmettre des enseignements ?

Dans le diocèse de Lyon, certains en sont bien convaincus : pour eux, la présence sur les réseaux sociaux ne représente qu’un pan du vaste chantier numérique de l’Église. La technologie, ils la veulent toute entière au service de la foi, ancrée dans la réalité, dans les lieux de cultes et dans les maisons, insérée dans les pratiques existantes et – pourquoi pas – créatrice de nouvelles dynamiques. Lors du week-end de la Pentecôte, du 23 au 25 mai dernier, ils ont organisé un hackaton chrétien, HackMyChurch – un marathon de 3 jours pour imaginer, collectivement, les objets connectés de l’Église de demain.

Yves-Armel Martin, fondateur de HackMyChurch, explique son projet :

« L’Église est très portée sur les communications sociales. Mais le numérique investit aussi la matière, les objets, les espaces. Les lieux physiques, des objets qui sont associées à des rituels, à des gestes. Ça, pour le coup, ce n’est pas assez exploré ».

Les 80 participants (des professionnels du numérique, des geeks ou de simples curieux, souvent catholiques – mais pas forcément) ont développé sept idées – recensées par « Soyons Smart » – et créé un prototype plus ou moins abouti pour chacune d’entre elles.

eglise2L’intérieur de l’église Sainte Blandine de Lyon, où se déroulait l’événement.

L’un des projets, « Light My Prayer », propose au visiteur de l’église d’écrire une prière sur une borne, à l’aide d’un stylet ou de son doigt. Le message est ensuite retransmis sous forme de message lumineux sur l’un des murs de l’église, à l’aide d’un rétroprojecteur. « Avec ces prières qui s’illuminent, celui qui entre a un aperçu de la vie réelle de cette église » explique Samuel Verschelde, l’un des participants. « L’idée, c’est de montrer qu’on n’entre pas dans un bâtiment, mais dans une communauté ».

Une chapelle nomade, qu’Yves-Armel Martin décrit comme « une expérience interactive, pour percevoir l’Église universelle », a elle aussi vu le jour. « Ce mobilier urbain qui se déplace est dédié à la contemplation », dit-il. « Il vous invite à voyager dans diverses églises du monde, avec notamment un Notre-Père diffusé dans toutes les langues ».

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Le prototype de chapelle nomade, monté à l’intérieur de l’église Sainte Blandine.

« On veut s’adresser à tout le monde, au-delà du croyant qui va dans une église avec une intention particulière », commente-t-il. « On crée un lieu de contemplation qui se promène dans la ville, qu’on implante là où les gens vivent ».

Si l’un des projets, « Interiority room – an unplugged experience », propose de déposer son smartphone à 3 mètres de haut pour mesurer sa dépendance, et invite ainsi à la déconnexion, l’application « Boost My Spirit », elle, sert à l’inverse de coach de vie numérique :

« Quand vous décidez de faire un régime, vous pouvez installer une application pour mieux le tenir. C’est la même chose pour la spiritualité ! »

Ah bon ? « Concrètement, c’est simple », acquiesce Yves-Armel Martin. « Vous voulez faire 7 minutes de silence par jour, ou prendre l’engagement de rentrer 3 fois dans la semaine dans un lieu de prière : eh bien, l’application vous aide à vous y tenir ».

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De même qu’il y a du rythme dans le sport, pourrait-il y avoir du rythme dans les pratiques spirituelles ? Auparavant, il a déjà imaginé un chapelet connecté, « comme un vrai chapelet, mais plus riche qu’un objet en bois ». Version électronique, il est censé permettre de mieux s’ « auto-coacher » sur le rythme de prière souhaité.

L’un des projets invite même ses utilisateurs à entrer en « conversation directe » avec Sainte Blandine, patronne des lieux.

C’est l’une des options de « Holycate », un jeu de piste sur QR-Code (un code barre qui permet de stocker des informations numériques) qui propose aux visiteurs de l’église de la voir autrement, de façon « plus ludique » :

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« Chat avec Sainte Blandine » (une version actualisée d’iGod.. ?)

Si le projet HackMyChurch est unique en son genre (en France, du moins), Lyon est un vivier pour ce genre d’initiative « modernes ». Au-delà d’une forte mobilisation sur les réseaux sociaux, notamment pour la com’ du très médiatique cardinal Barbarin (on se souvient du hashtag « #projetdeouf », lors d’un voyage en Irak en décembre dernier), certains croyants ont lancé « Credofunding », un site de financement participatif chrétien, quand d’autres ont créé un espace de coworking et de café culturel catholique, le Simone.

« Aujourd’hui, l’Église n’est plus sur un mode émetteur-récepteur : on n’émet plus seulement un message, il faut qu’on délivre quelque chose », analyse Étienne Piquet-Gauthier, le directeur de la Fondation Saint Irénée de Lyon (présidée par le même Cardinal Barbarin). Et, si possible, quelque chose de tangible : c’est la raison pour laquelle la fondation a apporté son soutien financier à HackMyChurch. « Quand on parle de numérique », dit-il, « les gens associent ça à du virtuel. Là, on a fait quelque chose ensemble ». Il poursuit : « C’est un beau cadeau, de pouvoir remettre dans l’Église un peu de proximité ».

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La borne « Holycate », disposée à l’entrée de l’église.

De l’encyclique Miranda Prorsus (1957) sur la télévision, la radio et le cinéma, aux récentes déclarations du pape à propos d’Internet, (un « don de dieu », selon le pape François) en passant par le décret fondateur de Vatican II (1963) sur les communications sociales, l’Église accueille d’un oeil plutôt bienveillant les nouvelles technologies. « Aujourd’hui, n’importe qui peut envoyer un e-mail au cardinal », note Étienne Piquet-Gauthier. « Il allume son portable, et il vous répond ». Et en effet… :

Il a suffi d’un tour sur le site de l’évêché pour contacter Monseigneur Hervé Giraud, alias Tweetévêque.

Qu’on l’appelle ainsi, ça ne le dérange pas le moins du monde. « E-êveque »; « Monseigneur Twitter »… : au téléphone, l’archevêque de Sens-Auxerre égraine ses surnoms, et s’amuse de son titre de de premier évêque français inscrit sur Twitter. Le 25 mai, il y a donné son avis sur HackMyChurch :

Depuis qu’il s’y est mis un peu au hasard, il y a quatre ans, il se fend quotidiennement d’une twittomélie (« tweet + homélie », NDLR). En 140 signes ou moins, il commente chaque jour – « et je n’en ai pas raté un seul », tient-il à préciser – la parole de l’Évangile.

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Capture d’écran du compte Twitter @MgrGiraud

Monseigneur Giraud conçoit ses tweets comme des capsules d’optimisme, des messsages « positifs, concis, d’encouragement et de soutien ». Alors les objets connectés, « pourquoi pas », du moment qu’ils restent dans cette veine, et « qu’on ne prend pas ça pour de la magie ».

Il cite notamment Théobule, une application iPad développée par les dominicains qui se veut celle des  « enfants connectés à la parole de Dieu ». « Il y a eu un tout petit retard à l’allumage, mais j’ai l’impression qu’en ce moment on est pas mal en avance », résume-t-il. « Je dirais même qu’il y a un renouveau qui se fait grâce à cet nouvelle technologie ».

Y aura-t-il alors – un jour peut-être – une Église « tout-numérique » ? « Je n’y crois pas du tout », affirme Jean-Luc Pouthier, historien et journaliste, spécialiste du fait religieux. « Le propre du christianisme, c’est justement d’être en présence de personnes », dit-il. « Église, ça vient du grec ekklêsia, qui veut dire ‘l’assemblée' ». Il ne nie pas l’utilité de ces technologies, mais remarque qui si elles peuvent être utiles dans la dimension individuelle de la foi, elles trouvent leurs limites dans l’aspect collectif : « On ne peut pas faire de messes virtuelles », dit-il :

« C’est comme si les musulmans commençaient à dire qu’au lieu d’aller prier le vendredi, ils allaient le faire via une application ».

Ces objets connectés trouveront-ils au moins, sur le long terme, une petite place dans le quotidien des catholiques ? Mystère. En attendant, une chose est sûre : ils représentent, en tant qu’apparition ponctuelle et légère – et au même titres que les campagnes de communication de l’Église sur les réseaux sociaux – un atout com’ à ne pas négliger pour une institution en perte de vitesse : la preuve, on en parle.

Photographies © HackMyChurch
Image à la une © John Jay Cubay/Washington Post

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