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Société
Par Eileen Mora

« Who Is America ? » : Doit-on rire ou pleurer du nouveau show de Sacha Baron Cohen ?

Il a trollé des dizaines de célébrités (dont Donald Trump) dans son émission Da Ali G Show, joué le rôle d’un faux reporter kazakh dans Borat, et dirigé la « République » de Wadiya dans The Dictator : Sacha Baron Cohen est de retour avec la série Who Is America, disponible sur MyCanal. C’est toujours aussi absurde et politiquement incorrect. Sauf que cette fois-ci, les blagues ont un léger arrière-goût amer.

Le premier trailer de Who Is America ?

Comme dans Da Ali G Show, l’acteur – grimé – organise des rencontres avec des personnalités publiques ou des inconnus, durant lesquelles il interprète un personnage extrême. Sept épisodes d’une vingtaine de minutes sont prévus pour la première saison, et Sacha Baron Cohen est toujours aussi doué pour illustrer l’esprit d’une époque et mettre le doigt là où ça fait mal.

Derrière le côté « grand n’importe quoi » de certaines situations, la satire est plus tranchante que jamais.

Vous l’aurez deviné, l’acteur se mue au fil des entrevues en individus stéréotypés, parfois à la limite de la grossièreté. Et il y excelle. Il n’en fallait pas plus pour donner naissance à des scènes hallucinantes…

« Je suis un homme hétérosexuel, blanc, cisgenre, et je m’en excuse » : voilà comment, en une phrase, le personnage du docteur en Gender Studies (études de genre) Nira Cain-N’Degeocello se présente. Le cliché de l’ultra-libéral, père d’une petite Malala et d’un petit Harvey Milk, se retrouve invité à la table de soutiens de Trump. Un dîner lunaire durant lequel il explique aux hôtes imposer à sa fille d’uriner debout et raconte la relation extra-conjugale que sa femme entretient avec un dauphin.

Un premier épisode dans lequel on retrouve également l’ex-candidat à la primaire démocrate Bernie Sanders, qui reçoit une leçon de mathématiques pour le moins contestable, par un journaliste tout aussi douteux… L’acteur lui explique sa méthode infaillible pour rééquilibrer les écarts de richesses par un savant calcul : faire passer les 99 % les plus pauvres dans la tranche des 1 % détenteurs des richesses. Dans le reste de cette saison, il piégera Dick Cheney, ancien vice-président américain, en lui faisant dédicacer un kit de torture, ou encore Sarah Palin, ancienne candidate à la vice-présidence des États-Unis.

Le nouveau projet de Sacha Baron Cohen n’épargne personne. Tous les causes et bords politiques en prennent pour leur grade.

Le clou du spectacle dans cette première salve de Who Is America ? Le personnage d’Erran Morad. Dans cette séquence, Sacha Baron Cohen incarne un ex-général israélien qui convainc des anciens élus du Congrès américain et des représentants de lobbies des armes de participer à une vidéo promotionnelle. Elle vante les mérites de l’utilisation d’armes par… des élèves de maternelle et de primaire. Non, vous ne rêvez pas : l’acteur, avec son sérieux imperturbable, parvient à ses fins. Et c’est encore pire que ce que vous auriez pu imaginer.

Sacha Baron Cohen en compagnie du Président de la Ligue de Défense citoyenne de Virginie, qui participe à la vidéo « Kinder Guardians ». Un spot ludique censé apprendre à des élèves de maternelle à manier une arme. 

Les rires de Larry Pratt, Directeur exécutif d’un lobby d’armes aux U.S.A. (comptant 1 500 000 membres) quand Sacha Baron Cohen lui explique s’être fait tirer dessus par sa femme, après l’avoir violée et dit :  » Mais ce n’est pas du viol si c’est ta femme, hein ? »

C’est stupéfiant. Et aussi très gênant parfois. Mais ce n’est pas (uniquement) à cause du trash de certaines blagues (on pense notamment aux pinceaux en poils pubiens) : ce sentiment âpre vient d’ailleurs.

Ce qui hier nous faisait rire, nous, Européens, observant – pop corn sur les genoux – « l’Amérique profonde », ne résonne plus tout à fait de la même manière. Ce qui était ahurissant à entendre et inimaginable il y a quelques années ne l’est plus tant que ça, à l’ère des États-Unis de Trump.

Les langues se sont déliées et on observe – partout dans le monde – une recrudescence de discours conservateurs et rétrogrades. L’élection de Donald Trump à la présidence américaine est à la fois un symptôme et un accélérateur de ce phénomène : un supposé « franc-parler » anti-système, qui s’oppose aux institutions, aux médias ou à toute forme d’autorité est devenue monnaie courante dans nos sociétés. C’est aujourd’hui un pilier dans la rhétorique de nombreux mouvements politiques, souvent situés aux extrêmes de l’échiquier politique.

Aussi arrogants que nous, Européens, ayons pu être en pointant du doigt la bascule des États-Unis, force est de constater que ces discours n’ont pas attendu Trump pour pointer le bout de leur nez en Europe. Tout à coup, l’humour n’a plus le même goût. Le concept de Sacha Baron Cohen est-il toujours aussi drôle, maintenant que ces idées sont devenues des réalités ?

Quand quelqu’un est élu président des États-Unis après avoir dit « quand t’es célèbre, tu peux faire ce que tu veux, [même] les attraper par la chatte... », voir le dirigeant d’un lobby d’armes extrêmement puissant rire quand on lui dit « ce n’est pas du viol si c’est ta femme« , sonne tout de suite différemment.

« Trop effrayant pour être vraiment drôle » titrait il y a quelques jours The Guardian à propos de Who Is America ? L’émission déclenche un profond malaise, face auquel on s’interroge : que faire ? Est-ce que l’humour banalise des discours terribles ? Ne doit-on plus rire de ces scènes ?

Nous n’en sommes pas encore là, pas plus que nous ne formons des enfants de trois ans au maniement de la grenade. Et heureusement. Mais nous devons admettre qu’une profonde mutation s’opère dans nos sociétés et que depuis que les idées inenvisageables et absurdes « d’hier », se sont fait une place dans le débat public en 2018, on rit… jaune.

Le mieux, c’est que vous vous fassiez votre opinion vous-mêmes. Who Is America ?, disponible sur My Canal. N’oubliez pas le pop-corn.

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