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Société
Par Ilyass Malki

« Les uns sur les autres » : les logements surpeuplés en France

La Fondation Abbé Pierre a présenté jeudi 28 janvier son rapport annuel sur le mal-logement. L'un des aspects qui y est présenté est le surpeuplement, qui s'est aggravé ces dernières années. Clique s'est intéressé à cette situation préoccupante.

En 1999 sortait l’album “Les Princes de la Ville” de 113. Sur ce premier projet du groupe de Vitry-sur-Seine, dans le titre qui donne son nom à l’album, Rim’K rappait : “On vit en HLM, les uns sur les autres, les lits superposés, on a jamais rien connu d’autre”. Une rime pleine d’amertume, au sens lourd, qui décrit une situation que de nombreuses personnes connaissent encore aujourd’hui en France.

Qu’est-ce qu’un logement normal ? Selon la définition de l’INSEE, “un logement auquel il manque une pièce est en situation de surpeuplement modéré. S’il manque deux pièces ou plus, il est en surpeuplement accentué”. Pour faire simple, un ménage a besoin d’au moins une pièce par couple ou par personne adulte. Les enfants peuvent cohabiter, mais seulement jusqu’à un certain âge. On comprend mieux ce que décrit le rappeur dans “Les Princes de la Ville”.

Vivre les uns sur les autres, c’est vivre dans cette situation de surpeuplement, modéré ou accentué.

Mais cette définition n’est pas ancrée, et c’est l’un des premiers problèmes rencontrés quand on s’intéresse à cette problématique. “Surpeuplement”, “surpopulation”, “sur-occupation” : selon les organismes, institutions ou personnes concernées, les mots changent. Le Code de la Sécurité Sociale, le Code de la Construction et de l’Habitation, ou encore les critères d’accessibilité à l’APL définissent déjà ce qui constitue un logement “décent”. La norme la plus courante est de 9m2 par personne, ou 16m2 pour un couple.

Le surpeuplement touche aujourd’hui 1 273 ménages en France, 218 000 d’entre eux étant en situation de surpeuplement accentué. C’est près de 934 000 personnes, selon le dernier rapport sur le mal logement de la Fondation Abbé Pierre. Presque 1 million de personnes qui vivent les uns sur les autres. La question de la répartition géographique de ce surpeuplement est intéressante, mais compliquée, et fortement liée à la croissance démographique urbaine. Pour Fabrice Boudjaaba, chargé de recherche au CNRS, cette dernière passe par les banlieues depuis au moins 50 ans. Mais pas de manière alarmante.

Au fond, la surpopulation n’a jamais existé en banlieue, parce que la banlieue est une réponse à la surpopulation des centre-villes” affirme Fabrice Boudjaaba.

Alors comment expliquer la présence de logements surpeuplés dans les banlieues françaises ? Peut-être par la rapidité de cette croissance urbaine. Des grands ensembles se sont développés comme une réponse à l’activité industrielle grandissante dans les banlieues de la fin de la guerre au milieu des années 70. “La croissance a été telle que ces grands ensembles n’ont pas suivi, explique l’historien. Mais ce qui s’est dégradé, c’est le lien social, pas forcément l’habitation”. Ce passif explique beaucoup d’autres problèmes rencontrés par les banlieues françaises : l’histoire a déjà été écrite, phase par phase, pour essayer de comprendre l’absence de mixité sociale, expliquer la violence. Mais cet historique ne dit rien du surpeuplement. “Dans les banlieues, la densité de population est moindre qu’en centre-ville” poursuit Fabrice Boudjaaba.

Le surpeuplement n’est donc pas le résultat d’un phénomène de surpopulation. Il n’y a pas « trop de monde » en banlieue.

La population continue de croître, et la “pression démographique” est réelle, mais selon le chercheur : “S’il y a une certaine pénurie de logements, la situation n’est pas terrifiante”.

Pourtant, force est de constater que la situation est préoccupante à bien des égards. Le surpeuplement a augmenté de 17% entre les deux dernières enquêtes logements, effectuées en 2002 et en 2013 (l’enquête nationale sur le logement de l’INSEE reste l’un des meilleurs indicateurs disponibles sur la question). La situation se concentre particulièrement dans les grandes agglomérations, comme autour de Paris. Pour Éric Constantin, directeur de l’agence Île-de-France de la Fondation Abbé Pierre : “Il est important de noter que cette aggravation récente traduit aussi une grande inégalité”.

La surpopulation touche en effet surtout les plus pauvres.

Une étude effectuée fin 2014 indique qu’un bénéficiaire de minimas sociaux sur cinq était touché par ce phénomène. C’est trois fois plus que la moyenne générale. L’aggravation de la situation entre 2002 et 2013 est donc une véritable double peine pour des ménages en grande difficulté.

Une question reste en suspens : qu’en est-il du logement social ? Dans le morceau de rap, Rim’K citait clairement les “HLM”. Pourtant, comme l’indique Marie-Christine Le Blanc, bailleur social pour 3F, “l’adéquation de la taille du logement à la composition familiale est un des critères principaux” dans l’attribution d’un logement social. Une famille ne se verra pas attribuer de logement social si elle risque d’être en situation de sur-occupation. Il est tout de fois important de préciser qu’une demande pour du logement social reste déclarative. Marie-Christine Le Blanc explique : “J’ai un trois pièces à attribuer, et un couple avec un ou deux enfants. Leur candidature est instruite, et ils signent leur bail, puisqu’il n’y a pas sur-occupation. Maintenant, s’ils hébergent une soeur, un frère, un ami, ces personnes là nous sont inconnues”.

En effet, depuis 2009 et la loi Molle, les personnes hébergées ne sont plus considérées comme demandeurs de logements.

C’est là l’un des principaux problèmes liés au surpeuplement : l’hébergement d’un tiers. Selon Eric Constantin de la Fondation Abbé Pierre, “c’est un phénomène qui n’est pas connu des enquêtes”. Dans le parc social comme dans le parc privé, plusieurs ménages se retrouvent à ne pas déclarer des personnes adultes hébergées, pour ne pas avoir à payer un logement plus grand. Une situation marginale dans les logements sociaux selon Marie-Christine Le Blanc : “Sur nos 125 000 en île-de-France par exemple, nous avons identifiés à peine 2% de logement en situation de sur-occupation”.

Une autre piste pour expliquer le surpeuplement pourrait se trouver dans la construction même des logements. Fabrice Boudjaaba, du CNRS, explique que si les grands ensembles ont su répondre à la demande, “certains bâtiments de banlieue traditionnels, qui datent du XIXè siècle, sont plus étroits et peuvent concentrer des familles nombreuses”. C’est le cas par exemple, du bas de Montreuil. Ces immeubles se retrouvent majoritairement sur le parc privé. Mais même dans le logement social, les tailles varient selon les époques. Un 3 pièces construit dans les années 60 fait 50 à 60m2. Entre 1975 et 1985, il avoisine les 70m2. Accorder la taille de la famille à la typologie de l’appartement revient ensuite au bailleur social. Mais dans le cas d’un propriétaire privé, la donne change, et, face à un marché extrêmement difficile, certaines familles se voient contraintes d’accepter des surfaces beaucoup trop petites.

Il n’y a aucune solution directe au surpeuplement” avoue Éric Constantin de la Fondation Abbé Pierre.

C’est là une vraie difficulté. Comment s’occuper des familles qui vivent entassées ? Là où d’autres situations de mal-logement peuvent être atténuées, soit par des réparations soit par des solutions alternatives, le surpeuplement se subit jusqu’au bout. Pour sortir de l’engrenage, deux options : déménager dans un logement plus grand ou attendre qu’un membre de la famille s’en aille. On parle dans ce deuxième cas de “décohabitation”. Pour les bailleurs sociaux, c’est la solution idéale. “Ça permet de dégonfler un logement, et de déplacer des jeunes adultes dans des petits appartements, qui se libèrent plus facilement” explique Marie-Christine Le Blanc.

Mais dans le privé, la situation est plus compliquée. Les ménages sont pauvres, et ne peuvent pas se permettre de se répartir dans plusieurs appartements. Cependant, depuis 2007, un “droit au logement opposable” existe. Il permet au citoyen de faire reconnaître son droit prioritaire au logement si ses conditions de vie sont jugées indécentes. La sur-occupation est un des critères pour le particulier pour déposer un recours, particulièrement s’il y a un enfant mineur dans le ménage. “Mais la loi n’est pas appliqué partout de la même façon, déplore Éric Constantin. Les taux de reconnaissance de ce droit vont de 20 à 40% selon les départements”. La Fondation Abbé Pierre déplore également une tendance à moins reconnaître cette priorité au logement. Le nombre de ménages qui déposent des dossiers est en baisse depuis 2008.

Encore aujourd’hui, trop de familles sont condamnées à vivre “les uns sur les autres”.

Le surpeuplement ne semble pas se résorber, au contraire. Si la tendance était à la baisse jusqu’en 2002, comme pour tous les indicateurs du mal-logement, la dernière enquête, réalisée en 2013, a de quoi affoler. Les chiffres ont grimpé, et révèlent une injustice qui se creuse, en défaveur des ménages les plus durement touchés par la crise économique. “Les Princes de la Ville” est sorti en 2001. En 2016, le même refrain résonne encore.

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