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Musique

Un jour mon Prince (re)viendra, par Frédéric Benudis

C'était il y a quelques années, en 2011, une éternité, la dernière fois que je me suis approché de lui.

Il était venu jouer au Grand Journal de Canal +, j’étais au sous-sol de ces studios que je connais par cœur, ici et Nulle Part Ailleurs. Me voici donc en famille face à lui pour la énième fois, impossible de quantifier. Avec sous le bras mon aînée, à qui je présentais celui qui résonne dans mes oreilles depuis la nuit de mon temps. Il traversa la foule, guitare en bandoulière pour s’immiscer sur scène. Comme il se doit, en jouant des épaules et des coudes, nous étions le nez collé à l’estrade, son instrument qui frôlait nos visages extatiques, moi pas peu fier de partager ce petit homme avec ma petite progéniture. Vingt minutes de rock funk bouillant fumant plus tard, Il s’en alla, confiant son vibrato perso à la jeune fille à mes côtés. J’avais passé le flambeau, il avait allumé la flamme.
30 ans qu’il bouge mon corps et mon cœur.

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J’étais pourtant à l’époque plutôt enclin à écouter Lionel Richie, de la soupe au lait pop, comme on en produisait au milieu des années 80. « Stuck on you », « Penny Lover », ballades écrites par l’américain moustachu au firmament de sa carrière solo. En face, mon frère cadet ne jurait que par un génie en bouteille (1 mètre 58) sur talons démesurés, qui venait de produire un album psychédélique et funk, « Around the world in a day ». Le bien-nommé The Revolution accompagnait son altesse pourpre. Je découvris alors la vie pop, les bonnets framboise et les parcs cachemire. Lionel Richie pouvait danser « all night long », plus rien d’autre ne comptait pour l’ado de 15 ans que j’étais.
Alors quand l’été suivant, j’apprends, en plein milieu d’un cours de planche à voile sur la plage de Blonville-sur-Mer, qu’il offrirait un concert unique au Zénith de Paris, me voici à supplier père et mère d’abréger mes souffrances maritimes et de retourner sur la terre ferme parisienne.
Cet été 1986, je le rencontrais enfin, petite chose dansante en costume noir et blanc apparaissant derrière le double rideau, très vite à moitié désapée. Electrisé par son funk, bouleversé par sa Fender Stratocaster, frottant son entrejambe sur un pied de micro, j’étais cuit. À point.
Le garçon de Minneapolis fascinait. « Je ne suis pas un homme, je ne suis pas une femme, je suis quelque chose que tu ne comprendras jamais » disait-il en 1984 sur l’album Purple Rain. Ses chansons suintaient le sexe par tous ses instruments : masturbation (« Jack u off »), fellation (« Head »), nymphomanie (« Darling Nikki »), mais aussi les relations houleuses (l’indépassable « Strange relationship »), l’amour toujours (« Forever in my life ») et Dieu dans tout ça (« The Cross »). Grâce à lui, à cause de lui, je roulais des épaules devant les filles, je leur faisais découvrir ses paroles brûlantes pour mieux faire passer mon message pas du tout subliminal.

mediator

Le mediator de Prince.

Voix aux contours sidérants, des graves aux aigus sans crier gare, multi-instrumentiste, auteur, compositeur, interprète, atomisant les barrières musicales, funk, jazz, rock, soul, ballade, blues. C’était Jimi Hendrix qui festoyait avec George Clinton, c’était James Brown qui agrippait Miles Davis. Il étonnait par la richesse de ses compositions, il nous perdait par la qualité de ses faces B inédites (« Erotic city », « La, la, la, he, he, hee », « How come U don’t call me anymore ») parfois supérieures aux titres qu’elles accompagnaient. Ses versions longues de « I would die 4 U » ou de « Kiss » n’étaient pas de simples remix mais des version corrigées, triturées, avec un couplet en plus, un pont supplémentaire, une voix réenregistrée. Le fan se perdait alors dans les dédales des multiples réinterprétations, découvrant une richesse musicale rarement atteinte. Bien avant le numérique, bien avant Internet, le marché noir croulait sous les albums inédits, les répétitions monumentales, les versions studio. Une production tellement riche qu’il créait des formations (Vanity 6, Apollonia 6, The Time, The Family) simplement pour interpréter sa prolixe prose. Nous étions totalement drogués à sa musique sans fin, échangeant K7 et VHS de ses prestations. La rumeur courait qu’il possédait un lieu secret dans son complexe de Paisley Park où des centaines d’inédits attendaient le bon vouloir du maître des lieux. Je fantasmais l’endroit, coffre-fort XXL à reconnaissance vocale.
Et puis il y avait cette présence scénique unique. Danseur bien entendu, mais show-man jouant avec la foule, dirigeant d’une main de fer Wendy, Lisa, Docteur Fink et consorts, improvisant des jams sans fin, chef d’orchestre orfèvre. Sur scène, ses hits s’allongeaient, se distordaient, il redonnait fraîcheur et vigueur à des titres achevés 35 ans plus tôt. Ses concerts ressemblaient à des messes stroboscopiques, à la fois millimétrées et improvisées, discutant avec le public, faisant monter sur scène petits et grands, blancs et noirs, partager ces instants de communion grandiose. Jamais rassasié, totalement passionné par sa musique, le kid de Minneapolis savait garder ses zélateurs éveillés jusqu’au matin. Son jeu de piste préféré : lancer la rumeur d’un concert tardif, un « after show » en petit comité, annoncé à la dernière seconde sur une radio partenaire, le bouche à oreille faisant le reste. Nous voici alors grelotant devant le Rex Club, le Bataclan, la Cigale, pour un show supplémentaire de 2 heures à la tracklist totalement réinventée pour l’occasion. Aucun concert n’avait la même saveur, aucune chanson ne sentait la naphtaline.
Alors quand jeudi dernier, dans un train qui m’emportait au fin fond du Cantal, la terrible information est tombée, je me suis senti seul, larmes aux yeux. Seul, car l’adolescent en moi m’a quitté pour toujours, le fil qui me reliait depuis 30 ans au jeune homme que j’étais s’est brisé. Le passé me revient, mais le présent a pris le dessus. C’est un peu de moi qui a disparu ce jour-là. Parfois, il neige en avril.

Frédéric Benudis

Photographies © Frédéric Benudis
Son compte Twitter

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