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Société
Par Jalal Kahlioui

Thot, l’école diplômante pour les réfugiés qui veulent apprendre le français

Parler français. C’est le besoin urgent de milliers de réfugiés qui se retrouvent dans un pays qui ne les comprend pas et dans lequel ils souhaitent pouvoir vivre dignement après avoir tout laissé dans leur pays en échappant à la guerre. Pour répondre à ce besoin Judith Aquien a décidé de fonder l’école Thot destinée à l’apprentissage du français aux réfugiés.

Grâce à l’aide de bénévoles, et d’une campagne de Crowdfunding qui se termine ce 28 mai, Thot compte faire sa rentrée en juin.

« J’avais un horrible sentiment d’impuissance. Je passais mon temps à aider les réfugiés de manière humanitaire sans jamais arriver à changer leur situation durablement. Et tout ce que l’on me demandait c’était : « comment apprendre le français ? »». Au téléphone, l’enthousiasme de Judith transparaît malgré sa fatigue lorsqu’elle évoque les débuts de l’aventure Thot. En juin cela fera bientôt un an que la jeune trentenaire s’est engagée dans ce combat.

Tout commence l’année dernière. Bouleversée par le spectacle affligeant de l’évacuation musclée des réfugiés de la Halle Pajol en juin 2015, l’UX designer (conceptrice de site web) décide alors de se donner corps et âme pour cette cause humanitaire en apportant son aide à la « Maison des réfugiés » qui s’est établie bon gré mal gré dans l’enceinte du lycée Jean Quarré à Paris.

« Avant cette évacuation on a eu le drame de Charlie Hebdo, la commémoration de la libération du camp d’Auschwitz, et la panthéonisation de Résistants. Malgré ces symboles forts, la même année on a dégagé avec force des êtres humains qui fuient des pays en guerre ».

C’est par le français que Judith tente d’apporter sa pierre à l’édifice. Fille de professeurs, la jeune femme a d’abord été surprise par l’absence de structure diplômante dans l’enseignement de la langue française aux réfugiés. « J’ai été un peu choquée à vrai dire de ce vide-là, et je me suis tout de suite dit qu’il y avait quelque chose à faire », explique la présidente de Thot qui souligne le travail courageux d’associations qui permettent l’établissement de cours de français encore trop rares pour ces populations. Avec l’aide d’Heloise Nio (ingénieure radio et vice-présidente de l’association), puis de Jennifer Leblond (consultante spécialisée en économie solidaire et trésorière) le projet Thot (en référence à la divinité égyptienne du savoir, créatrice du langage, et vecteur de transmission de connaissances) commence ainsi à émerger dès 2015.


L’équipe fondatrice du projet explique les objectifs concrets de l’école. 

L’objectif de l’école est de permettre à ces élèves de préparer et de réussir le DELF (Diplôme d’Études en Langue Française), reconnu par l’État depuis 1985, qui leur permettra de valider un niveau de langue suffisant pour pouvoir chercher du travail. Les cours dureront près de 4 mois. La cible principale : les personnes qui ont un niveau inférieur au baccalauréat, un public généralement adulte qui ne peut accéder à aucun emploi, ni à aucune offre de formation. Cette structure diplômante unique en son genre s’appuie sur une équipe pédagogique professionnelle composée d’Imaad Ali (formé à l’ENS de Lyon) directeur pédagogique, et de Mariame Camara (issue de l’University of Illinois à Chicago) responsable de l’enseignement et de la formation.

L’initiative est parrainée par la Fédération Internationale des Professeurs de Français, RFI-Savoir ainsi que TV5-Monde qui participeront à la formation spécifique des enseignants dans le cadre de leur mission auprès des réfugiés. Les professeurs de FLE (Français langue Étrangère) seront payés normalement. « C’est important pour nous qu’ils soient payés de la même manière que s’ils étaient dans d’autres classes. Cela nous permet d’assurer une solidité. On leur demande beaucoup, ils doivent préparer et assurer 8 heures de cours par semaine, et c’est très dur de faire ce travail sur une longue durée bénévolement », détaille Judith Aquien. Ces cours seront par ailleurs donnés en dehors des horaires d’ouvertures de bureaux pour ne pas empêcher les futurs élèves de poursuivre leurs demandes administratives.

D’autres acteurs associatifs collaborent aussi avec Thot pour permettre de pérenniser cette réussite. Le mouvement Singa se charge notamment de l’amélioration de l’intégration des réfugiés grâce à un travail d’inclusion interculturelle, et l’Action Emploi Réfugiés permet d’encadrer leur recherche d’emploi. La formation diplômante échange aussi avec l’école Simplon, spécialisée en informatique, pour tenter d’innover encore un peu plus les solutions proposées aux demandeurs d’asile.

Thot se veut être une réponse concrète face à l’inefficacité des gouvernements européens et notamment français à la « crise des réfugiés », dénoncée par une tribune de Resome (Réseau Études supérieures et orientation des migrant-e-s et exilé-e-s) co-signée par Alain Badiou notamment. Néanmoins Judith Aquien refuse toute instrumentalisation politique. « Ce serait malsain d’utiliser certaines idées vis-à-vis de nos professeurs et mêmes de nos élèves. »

« Ce que l’on essaie de faire c’est juste d’apporter une solution face à un problème réel. En tant que membre de la société civile, on peut faire les choses un peu plus vite sans passer par l’attente de décisions technocratiques. »

Pour financer la mise en place de ces cours de français, l’équipe de Thot a mis en place une campagne de Crowdfunding qui se terminera le 13 juin prochain. Entre la rémunération des professeurs ainsi que l’inscription à l’examen, le coût approximatif de la scolarisation d’un élève représente 1300 euros. Les fonds récoltés lors de ce premier appel aux dons ont permis d’assurer pour l’instant l’ouverture en septembre prochain de deux classes de dix élèves. « La sélection des candidats va être très difficile pour nous, mais nous allons tout tenter pour la rendre la plus intelligente possible », assure la Présidente de l’association.

Plus de 700 contributeurs ont déjà fait part de leur générosité, et n’ont pas hésité à témoigner leur message de soutien aux bénévoles. « Quand on travaille beaucoup sur un projet, on ne prend pas forcément le temps de prendre du recul, mais avec autant d’engouement et de messages forts, cela rend d’autant plus combatif », glisse Judith Aquien qui compte ouvrir le plus de classes possibles.

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