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Société
Par Jalal Kahlioui

QUI ES-TU : Yanis Bacha

Le 10 juillet prochain, Yanis Bacha sera aux avant-postes pour commenter la finale de l’Euro au Stade de France. À 23 ans, le jeune journaliste sportif a déjà commenté plusieurs matchs de la compétition. Ses commentaires en audiodescription sont destinés aux spectateurs mal-voyants présents dans le stade qui souhaitent vivre intensément le match. Après avoir fait l'école de journalisme de Sciences Po, le jeune homme se retrouve aujourd’hui journaliste au sein du service des sports de Canal+ où il a eu comme mentor celui qui est devenu la voix de Bleus, un certain Grégoire Margotton.

Comment t’es venue la passion pour le journalisme ? 
Le journalisme était un rêve de gosse. Quand j’ai réalisé mon handicap à l’âge de six ans j’ai compris que je n’allais pas devenir footballeur professionnel comme rêvent tous les jeunes. Je me suis dit «Ok tu seras surement pas footballeur, mais tu peux vivre et transmettre ta passion autrement». Et je me souviens que lorsque j’ai soufflé les bougies de mon sixième anniversaire j’avais fait le voeu de devenir journaliste. Je m’exprimais bien à l’époque pour mon âge, et j’ai commencé a écrire. Dès que je regardais un match je m’amusais à le commenter, à le décrire, à tenter d’apporter une expérience, un regard différent et c’est ce regard que j’ai envie d’apporter dans mon métier au quotidien.

Ton mentor est Grégoire Margotton, rien de moins …
C’était mon idole, comme beaucoup de gens qui veulent faire ce métier. À 18 ans, je l’ai rencontré totalement par hasard lors d’un match de foot de coupe de la Ligue ou on était assis à côté dans les tribunes du stade.

Le matin même je l’avais croisé au Salon du Football à Paris, et il m’avait mis un vent légendaire !

Et par hasard quelques heures après, on était assis à côté en tribune pour un match de coupe de la ligue. J’ai pu alors le harceler lorsqu’on était côte à côte. À la fin du match, il m’a finalement donné sa carte de visite pour un stage. Par la suite Grégoire Margotton a eu une énorme part de responsabilité dans mon parcours. C’est un homme qui m’a tout donné, qui m’a tout appris. C’est un vrai mentor pour moi.

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Yanis lors d’un duplex. © Capture d’écran Infosport+.  

Comment es-tu rentré au service des sports de Canal+ ?  
Quelques mois après cette rencontre j’ai envoyé ma candidature de stage chez Canal+ et on ne répondait pas à mes demandes. Un matin d’août j’ai décidé de camper devant l’accueil de la chaîne, dès 7 heures du matin.

Je disais aux gens que je croisais dans le hall: ‘Personne ne veut me voir, mais on m’a promis un stage ici, donc je ne bougerai pas tant qu’on ne me l’aura donné !’.

J’ai attendu près de trois heures devant les portiques de sécurité. Et finalement quelqu’un a daigné me recevoir et j’ai pu ensuite faire mon stage et débuter mon histoire avec Canal+.

Tu as une certaine vision de la réussite, tu en parles comme un devoir…
Oui c’est un devoir pour moi, car je suis reconnaissant de ce que l’école a pu m’apporter pour m’ouvrir l’esprit et accomplir mes ambitions malgré mon handicap. Quand autant de personnes te font confiance, que ce soient mes parents, ma famille, mes amis…qu’ils sont derrière toi et te disent « Vas-y ! Fonce ! » tu te dois de réussir.

Trop de gens aujourd’hui, qu’ils soient handicapés ou issus des quartiers populaires, me disent encore ‘Mais de toute façon, je ne suis pas fait pour ça, je ne le mérite pas, c’est pour les fils à papa’. On a pas le droit de dire ça, parce qu’aujourd’hui l’autocensure est un problème encore plus  grave que la discrimination.

« Ce que la France ne nous donne pas on va lui prendre », cette phase de Kery James résume assez bien mon état d’esprit. Surtout que j’ai le sentiment que la France est un peu moins radine qu’avant. Les grandes écoles comme HEC, l’ESCP, Science Po, l’ENA s’ouvrent

Comment t’es-tu retrouvé à commenter l’Euro pour les malvoyants ? 
La fédération des Aveugles et Handicapés visuels de France et l’association ASA, spécialisée dans l’audiodescription d’événements, respectivement représentées par Charly Simo et Jean-Marc Streel, ont pensé à moi pour faire cet Euro, et j’ai tout de suite accepté l’idée de rendre accessible au plus grand nombre un événement pareil. Ils m’ont ainsi amené au Stade de France et m’ont appris les techniques de ce type de commentaire. C’est une expérience formidable ! Pour moi c’est un rêve qui se réalise, parce que le monde du commentaire est une galaxie à part dans le journalisme. Et le fait d’y avoir accès le temps d’un mois, et plus si affinités, marquera un tournant dans ma vie professionnelle.

Qu’est-ce qui fait la différence entre le commentaire d’audiodescription et le commentaire classique ? 
J’ai découvert l’audiodescription cette année. C’est une possibilité formidable de faire profiter à tous du spectacle avec des personnes aveugles qui, certes ne voient pas le match, mais qui ressentent différemment l’ambiance du match. Certains d’entre eux connaissent le foot d’une manière incroyable, ils retiennent les joueurs par coeur. Je fais des efforts aussi pour décrire au mieux le comportement des joueurs, leur tenue vestimentaire, leur expression physique, leurs moues. Je mets aussi mettre l’accent sur l’attitude des coachs, mais aussi et surtout sur l’atmosphère, les supporters et leurs tenues folles. Il faut décrire tout ce qui nous paraît évident à l’oeil nu. Il faut aussi être très pointu tactiquement car ils sont très demandeurs d’analyse stratégique.

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Yanis en compagnie d’un ami. © Yanis Bacha. 

Comment s’est passé ton premier match en tant que commentateur ? 
Je l’ai ressenti de manière tellement spéciale. Je savais que Grégoire Margotton était dans le stade et le fait de savoir qu’il commentait pour TF1 ce jour là, et qu’il était finalement juste derrière moi, je me suis senti protégé. Il a pris le temps de venir me trois minutes avant le début du match. Il était débordé, il venait de faire le journal du 20 heures, et il est venu me taper sur l’épaule. Il m’a pris dans ses bras et il m’a dit « donne tout mon ami, amuse-toi !». Ma mère était dans les tribunes, venue spécialement pour m’écouter. C’était un moment incroyable, sans doute l’un des plus beaux de ma vie !

Est-ce que tu as l’impression d’être devenu un symbole ? 
Je ne suis pas encore un symbole et je ne veux pas en être un. Je suis encore un gamin parmi tant d’autres, qui tente un peu de réussir, rien de plus. Je poursuis ma route et si elle est belle tant mieux. Pour l’instant ça va pour moi et pourvu que ça dure. Mais bien sur, si je peux aider les autres, je le ferais sans sourciller, à une seule condition : m’y engager à fond.

Je ne veux pas être et je ne serai pas l’handicapé de service.

Les commentaires de Yanis sont disponibles sur la fréquence radio 107.9 du Stade de France pour le quart de finale France-Islande de dimanche prochain, ainsi que pour la finale de la compétition le 10 juillet. 

Image à la Une © Yanis Bacha. 

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