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Société
Par Jalal Kahlioui

Des Palestiniennes défient les hommes sur les circuits du Moyen-Orient

Elles ont troqué leurs casques et leurs combinaisons pour les escarpins et les robes de gala. Marah et Betty, membres de l’équipe automobile Speed Sisters sont venues présenter cette semaine le documentaire éponyme au Festival Ciné-Palestine à au cinéma Luminor à Paris. Réalisé par Amber Fares en 2015, le film raconte comment cinq Palestiniennes ordinaires sont devenues la première équipe féminine de pilotes automobiles dans tout le Moyen-Orient.

Chaque bande a sa star et les Speed Sisters ne font pas exception à la règle. La leur s’appelle Betty. Blonde platine au maquillage soigné et aux ongles manucurés. Dans le film elle détonne au volant de son bolide flambant neuf offert par une célèbre marque française. Remarquée par les sponsors, la Palestinienne revendique sa féminité sur les circuits du Moyen-Orient, où la présence des femmes a toujours été vécue comme une anomalie, du moins avant que Betty et ses coéquipières ne viennent chambouler l’ordre établi.


Bande-annonce du film réalisé par la Britannique Amber Fares.

C’est là que réside la force des Speed Sisters : avoir réussi à normaliser la présence des femmes , en tous cas la leur, sur les circuits automobiles de Palestine et du Moyen-Orient. Pour elle, comme pour les autres membres de l’équipe, impossible d’imaginer une vie sans voiture, sans compétition, et sans victoire. «J’aime la vitesse, l’adrénaline qu’elle me procure est incomparable à aucune autre sensation. C’est comme si c’était dans mon sang», confie Betty qui a grandi entre le Mexique, les États-Unis et le Chili avant de rentrer vivre en Palestine après les accords d’Oslo.

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Betty Saadeh, membre des Speed Sisters, dont l’image plaît beaucoup aux sponsors. 

«Quand je suis je venue vivre dans mon pays, mon frère était déjà engagé dans une équipe de course automobile. Quand j’ai su que je pouvais participer aussi j’ai foncé ! »

Toutes ont commencé individuellement sur les circuits. En 2010, le consulat britannique s’interesse à leur cas singulier et leur propose de former une équipe : c’est comme ça que Betty, Marah, Noor, Mona guidées par leur capitaine Maysoon, ont formé les Speed Sisters. Seule équipe féminine des circuits automobiles arabes, ces filles sont conscientes de la charge symbolique de leur performance dans cet environnement ultra-masculin. «On a vraiment eu de la chance, car toutes autant que nous sommes avons été soutenues par nos familles qui ont toujours été fières de nous, dans les échecs comme dans les victoires. »

Le site SeekerNews a consacré un reportage en septembre dernier aux Speed Sisters.

Face au feu de Betty, Marah se fait discrète. Pourtant la numéro 1 de l’équipe, c’est elle. Originaire de Jenine, la championne a grandi au sein d’un camp de réfugiés de la ville. Aidée par son père fan de course automobile, elle parvient à se hisser jusqu’aux circuits. Le père de famille travaille sans relâche et sacrifie tout pour que sa fille puisse participer aux courses. Il ira même jusqu’à choisir d’acheter une nouvelle voiture au lieu d’acheter un terrain pour la future maison familiale. « Quand mon père a compris ma passion pour les voitures, il a tout de suite adoré le fait que l’on partage la même passion. Il a tout fait pour que je puisse réaliser mes rêves », explique Marah qui a du faire face au conservatisme de la ville de Jenine, dont les habitants voyaient d’un mauvais oeil sa participation aux courses.

02-marah-zahalka-speed-sistersMarah Zahalqah, la force tranquille des Speed Sisters. 

«Au début c’était très difficile de faire accepter à mes voisins, et même à ma famille éloignée que j’allais participer aux courses. Je pense que 99% de la ville était contre moi. Mais au fur et à mesure des victoires, la tendance s’est inversée et maintenant toute la ville est fière de sa pilote »,

raconte Marah qui s’est dite très fière qu’une Britannique s’intéresse à leur histoire.  » Ce qu’elles accomplissent n’est pas un exploit facile dans les zones militaires quadrillées par les check-points où beaucoup trouvent curieux que des femmes conduisent. Les Sisters s’entrainent principalement à Ramallah et Jenine, sur des circuits qui peuvent aller d’une place de marché vide à l’extérieur d’une cour de prison » explique Amber Fares au site internet Coolhunting.

Des modèles pour les jeunes arabes : elles le sont devenues, pas par choix mais par la force des choses. Les Speed Sisters ne roulent pas pour l’argent ni pour la gloire, mais leur histoire a fait couler beaucoup d’encre au sein du Moyen-Orient. Des supporters aux « haters », les coureuses créent le débat dans une région du monde où il n’est pas . «Ce film doit être la preuve qu’il y a des jeunes Palestiniennes qui se battent pour leur rêve, et qui fout tout pour être indépendantes. J’en avais marre que les seuls films sur la Palestine ne parlent que de guerre», tranche Betty.

Pourtant dans ce film, la réalisatrice Amber Fares montre aussi le quotidien compliqué de ces filles qui doivent vivre malgré la guerre et le mur de séparation. Cette immersion dans leur vie nous fait partager l’envers du décors de la vie à Betlhem, Ramallah ou Jenine, rythmée notamment par les longues attentes aux checkpoints militaires. «Les gens qui ont vu le film étaient choquées par la réalité des territoires occupés » explique Betty avant de conclure :

« Ce n’est pas une vie facile, pour autant on ne va pas rester à la maison, la course est un moyen pour nous de résister à l’occupation, de voyager et de vivre nos vies à peu près normalement malgré la guerre. »

Photographie à la Une © Amber Fares. 

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