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Société
Par Jalal Kahlioui

ENQUÊTE : Les Tacos, nouveaux rois du fast-food français

Le rappeur MHD est un de leurs fans, ils sont cités par PNL, ils apparaissent dans Dragon Ball Super et envahissent la France : les Tacos sont un phénomène culinaire qui, en très peu de temps, s'est fondu dans la culture populaire. En moins de dix ans, ces fast-food français nouvelle génération se sont imposés comme des concurrents sérieux aux grosses cylindrées américaines et aux historiques kebabs de proximité. Analyse d'un phénomène de bouche (à oreille).

Depuis le printemps dernier, la rue de la Roquette à Paris est le théâtre d’un phénomène qui traverse la France entière. Tous les midis, les élèves du lycée Marcel Deprez doivent faire un choix cornélien entre déjeuner chez Burger King, Subway ou la chaîne de bagels Bagelstein. Mais dans ce match ultra-serré, un gagnant semble avoir été élu par les lycéens : le restaurant de « French Tacos » ouvert en avril 2016.

Dès 11h30, la file d’attente est déjà dense et les moins vifs doivent patienter sur le trottoir. Même phénomène à Bordeaux sur la place de la Victoire : les étudiants de la faculté de sociologie délaissent le McDo pour une autre franchise de Tacos qui ne désemplit pas à la pause déjeuner.

Clique.tv O TacosAvec sa forme hybride entre le kebab et le panini, le Tacos est devenu, en peu de temps, le nouvel incontournable de la junk food des années 2010. 

Depuis quelques mois, ces nouveaux fast-food 100% made in France fleurissent à vitesse grand V dans un marché très concurrentiel et dominé par les grandes firmes américaines. Le leader O’Tacos affiche ainsi 90 restaurants depuis sa création en 2007, avec comme objectif d’en avoir 200 d’ici la fin de l’année 2017. De son côté, l’autre grande marque, Tacos Avenue, comptabilisera près de 15 restaurants en 2017, devançant des chaînes plus confidentielles comme Mister Tacos, qui se sont aussi engouffrées dans le mouvement.

Au-delà de ces chaînes nouvelle génération, de nombreuses enseignes de kebabs, de grecs ainsi que des restaurants arméniens se sont mis à proposer le fameux Tacos. Pourtant, s’il en porte le nom, le sandwich français n’a rien à voir avec le taco original mexicain…

Là où le taco mexicain est un encas qui se compose d’une galette tortilla repliée ou enroulée sur elle-même (et ouverte) contenant presque toujours une garniture de viande et de sauce, le « French Tacos » est un rectangle épais et fermé qui, dans la cuisine mexicaine, s’apparenterait plutôt à… un burrito géométrique. Curiosité supplémentaire, le « French Tacos » est garni de frites.

« La première fois que je suis allé dans un restaurant de Tacos, je pensais que c’était un truc un peu mexicain, mais en fait pas du tout. C’est quand même une grosse arnaque le nom (rires) ! Mais j’ai vraiment kiffé, j’étais pas du tout déçu en découvrant ce Tacos à la française, avec son goût un peu voluptueux encore jamais exploré pour moi », décrit Jean, lycéen et fan de French Tacos devant l’éternel.

Comparaison TacosVisuellement, les Tacos à la française et les tacos mexicains n’ont pas grand chose à voir, hormis la galette

Comment est apparu ce sandwich ? Qui en a eu l’idée, et pourquoi ces choix surprenants ? À mi-chemin entre la légende urbaine et le secret industriel, l’invention de la recette du « French Tacos » originel est l’objet de nombreux fantasmes.

Selon plusieurs sources convergentes, le « French Tacos » aurait été inventé par un patron de kebab de Vaux-en-Velin (69), dans la banlieue lyonnaise, au milieu des années 2000. L’association de viandes, de sauce froide et de frites, liées par une crème épaisse et emballées dans une galette de blé, devient rapidement populaire dans la région.

La première raison de ce succès ? Le goût ! Oui, le French Tacos est très calorique, mais les recettes de base fonctionnent bien (l’auteur de cet article affectionne particulièrement le combo viande hâchée + poulet + sauce curry + supplément œuf). Chaud, croquant, moelleux, fondant et nourrissant, le sandwich coche toutes les cases de la nourriture de réconfort qui séduit le plus grand nombre. Ajoutez à cela un prix bon marché et le fait qu’il soit pratique à manger (un seul bloc, pas de mains grasses à cause des frites) et vous comprendrez qu’il soit vite devenu un hit.

Tacos Clique.tv Scène habituelle dans un restaurant O’Tacos. 

« C’était en France, en 2006, une grosse période pour la restauration rapide dite « street food ». Sur Paris, ça commençait avec le chicken… À Grenoble, c’était le Tacos, inspiré par sa ville voisine Lyon. Là-bas, c’était un peu différent, avec de la tchektchouka (un équivalent maghrébin de la ratatouille) et c’était vraiment un menu parmi d’autres (burgers, paninis etc…). Les fondateurs d’O’Tacos ont alors fait le pari de se focaliser sur ce produit et de lui apporter une âme, un concept. Bref, d’en faire le « French Tacos » et non plus un simple taco », nous raconte l’un des fondateurs de l’enseigne leader.

Si le French Tacos n’a aucune racine mexicaine, pour Julien Pham, gastronome expert en street food et fondateur de l’agence Phamily First (agence spécialisée sur la culture food), la comparaison avec le Mexique et les États-Unis peut être légitime. « Quand on observe l’histoire de la junk food, le French Tacos représente une évolution normale du sandwich. Il réunit des ingrédients qui étaient déjà présents dans le grec.

« Le Tacos peut être assimilé à une sorte de Tex-Mex à la française » – Julien Pham, expert food et fondateur de l´agence Phamily First.

Le bouche-à-oreille fonctionne alors jusqu’à Grenoble, où le phénomène explose. C’est d’ailleurs dans la capitale des Alpes que seront fondés entre 2006 et 2007 les deux plus grosses franchises du secteur : l’historique (et leader) O’Tacos et Tacos King, devenu plus tard Tacos Avenue. « Grenoble et Vaux-en-Velin sont des villes voisines. Quand on était jeunes, dès qu’on entendait parler de quelque chose de nouveau, il fallait aller le goûter. Certains adhéraient, d’autres non, mais j’ai su très vite qu’il y avait du potentiel autour du taco », se souvient Mohamed Soualhi, fondateur de Tacos Avenue.

Montee_Chalemont_juin_2015

Niveau gastronomie, Grenoble était connue jusqu’à présent pour le gratin dauphinois, l’écrevisse et le gâteau aux noix, pas vraiment ses influences mexicaines (Photo : Bertrand93)

Attirés par le rapport qualité/quantité/prix, nombreux sont ceux qui se lancent dans l’aventure des French Tacos dans une ville où l’offre de junk-food manquait cruellement de diversité. « À Grenoble, il y avait un vide. On n’avait pas de falafels, très peu de restaurants chinois ou japonais… Pour les jeunes qui voulaient manger pour pas cher, tu n’avais donc pas grand chose. Tu n’avais que les kebabs, les McDo ou les Quick. Je pense que c’était le même cas dans beaucoup de petites villes de province », explique Bastien Gens, un documentariste grenoblois qui prépare un film sur le phénomène culinaire.

Tacos Origins, actuellement en préparation, est un film documentaire de Bastien Gens qui retracera la naissance du sandwich

Après Grenoble, les restaurants s’exportent très vite dans d’autres villes de France comme Bordeaux ou Montpellier. Étrangement, une ville reste longtemps préservée du phénomène : Paris, la capitale… « L’offre de fast-food y est déjà importante, c’est aussi pour ça qu’ils ne sont pas directement implantés à Paris », continue Bastien Gens. De restaurants uniques, les enseignes de Tacos se transforment petit à petit en chaînes de fast-food accessibles à tous, notamment aux consommateurs de viande halal. Les viandes certifiées de la plupart des enseignes de French Tacos attirent une clientèle heureuse de voir ses choix s’élargir après s’être usée le palais sur le célèbre Filet-o-Fish de McDonald’s.

Filet of Fish

L’autre boss du food game halal, avec le kebab

Outre les frustrés des burgers américains, les chaines de Tacos accueillent dans leurs établissements un public cosmopolite, jeune et mixte. « Lorsque je suis allé pour la première manger un French Tacos à Châtelet (centre de Paris, NDLR), j’étais surpris devant le nombre de filles dans la file d’attente », confie Julien Pham, qui insiste sur l’aspect architectural et le design graphique de ces chaines.

L’univers coloré et moderne des fast-food américains classiques (que le public associe à des normes de qualité et hygiène) est repris à la lettre par les leaders du marché des French Tacos, et tranche avec les arrière-salles à la déco hasardeuse de certains kebabs. Encore plus innovant : pour éviter les files d’attente, certaines enseignes vous signalent que votre produit est prêt via un bipeur. Un dispositif malin vu auparavant en France chez… les enseignes Boco, le fast-food des chefs étoilés, et la chaîne italo-allemande Vapiano, autre gros succès culinaire récent.

Autre élément clé du succès du phénomène : une variété de recettes inédite. « On peut proposer près de 40 000 combinaisons possibles pour un seul produit. » – Mohamed Soualhi, fondateur de Tacos Avenue.

Le sempiternel combo salade-tomate-oignon voit ainsi débarquer des cartes ultra-modernes avec des combinaisons infinies, et des French Tacos de plus en plus gourmets à des prix oscillants entre 5 et 15 euros le sandwich.

Carte TacosMerguez, cordon bleu, œuf, nuggets, curry… Tout y est ou presque. Un exemple de carte pour des sandwichs personnalisables quasiment à l’infini. (Carte O’Tacos)

Le goût et la variété du produit n’expliquent pas seuls son succès. Pour comprendre comment le phénomène a envahi la France et conquis une génération entière, il faut se pencher sur un autre facteur : la communication sur… les réseaux sociaux.

C’est via Internet que les Tacos ont explosé dans la France entière. On soulignera notamment l’ingéniosité du leader O’Tacos, qui comptabilise aujourd’hui plus de 120 000 followers sur Instagram, plus de 44 000 sur Twitter, et… près de 950 000 fans sur leur page Facebook. Soit plus que les pages France de Subway, Burger King, et Quick.

Au-delà des chiffres, c’est surtout la communication pensée pour un public jeune qui fait la différence. « Je les suis sur Facebook, et c’est très drôle parce que c’est là que tu te rends bien compte de l’ampleur prise par le phénomène, commente Bastien Gens.

« Ils ont su allier l’atmosphère bon enfant des kebabs avec des thèmes fédérateurs, comme les soirées foot de Ligue des Champions, les GIFs, les memes d’Internet… C’est vraiment bien fait, ils ont fait un réel effort. »


Le combo jeux vidéo et Tacos : efficacité assurée pour le sandwich de la génération Snapchat

Et ça marche : « à chaque fois, j’en voyais sur Snapchat… Sur Instagram, je voyais des pubs de Tacos, ça m’a tentée et j’ai voulu goûter. Beaucoup de personnes sur mon fil d’actualité postent des photos quand ils sont en train d’en manger. Tous les midis c’est la même chose… », décrit Chelie, lycéenne en classe de terminale.

Quand on les interroge sur leur utilisation des réseaux sociaux, l’équipe d’O’Tacos insiste sur l’importance du contact avec leur communauté : « Au début, c’était un peu notre moyen de communication de ‘fortune’ : on n’avait pas forcément les moyens de faire autre chose. Très vite, on s’est pris au jeu, et c’est là que s’est créée une véritable communauté O’Tacos. Je pense que nos fans se reconnaissent en nous, et vice versa. On communique simplement, O’Tacos ce n’est pas de la publicité, c’est un art de vivre ! »

Le French Tacos serait-il devenu un nouvel objet culturel ? C’est ce que laissent penser les quelques exemples ci-dessous.


Le Tacos, nouvel objet de pop culture, s’est glissé dans l’un des morceaux du dernier album de PNL…

Avant ça, c’était le rappeur MHD qui, le temps d’un après-midi, avait joué le vendeur dans un restaurant O’Tacos du 19ème arrondissement de Paris 

Tacos
Le Tacos s’est même glissé dans le plus célèbre des dessins animés japonais. Ci-dessus une image extraite de Dragon Ball Super ; reste à savoir si Krillin fait référence au Mexique ou à la France… 

Ultime gimmick de communication emprunté aux fast-food américains : la promesse d’un défi et d’un cadeau gratuit. Plus trash que le jouet du Happy Meal et plus fou que le milk-shake offert si vous finissez l’Incredible Burger du Annette’s de Disneyland Paris, O’Tacos a créé un Gigatacos de la taille d’un plateau (2 kg, 5 viandes) servi chaque jeudi soir aux quatre premières personnes le réclamant. Seules contraintes : vous devez le manger sans couverts et… en moins de trois heures trente.

Gigatacos

Là encore, le concept fonctionne : « le truc dont on m’a parlé tout de suite, c’était le Tacos énorme que tu dois finir pour l’avoir gratuitement. Le truc fait la taille du plateau et est incroyable. Souvent, dans les photos postées (sur les réseaux sociaux), on demande en commentaire : « qui est-ce que tu ramènes pour le terminer ? », raconte Jean, lycéen en classe de Première. Il n’a jamais réussi à venir à bout du monstre.

Cette communication très contemporaine témoigne aussi d’un dynamisme entrepreneurial poussé. Les chaînes de Tacos citées ont adopté le modèle de la franchise : en contrepartie d’un pourcentage sur le bénéfice et d’un respect de leur charte, des entrepreneurs indépendants peuvent utiliser leur marque. Le résultat ? Ces restaurants se développent rapidement sur tout le territoire.

Issu d’un quartier populaire de Grenoble, Mohamed Soualhi, à l’origine de Tacos Avenue, a lancé son réseau de restauration rapide avec « uniquement » un bac en poche. À son échelle, l’entrepreneur de 29 ans tente de donner leur chance à ceux qui n’ont pas forcément fait d’études : « J’essaie d’avoir un réseau cosmopolite à l’image de ma clientèle. Ça prend plus de temps pour les accompagner, mais il y a énormément de potentiel, et on sent en eux cette faim d’entreprendre. »

En 2017, on pourra aisément compter plus de 150 restaurants de Tacos en France, ce qui les placerait à quelques encablures de KFC. Encore plus nombreux, le nombre de kebabs qui proposent le sandwich rectangulaire est quant à lui difficile à évaluer, tout comme les chiffres d’affaires récents des différentes enseignes.

Nombre fastfood en France

Le nombre de restaurants de fast-food en France selon franceinfo (sept. 2015)

En fin de compte, le business des French Tacos reprend avec intelligence les codes de l’industrie contemporaine : hyper-personnalisation du produit, branding malin et valorisation des choix du client pour lui signifier son rapport unique à un produit fabriqué à grande échelle. Plus qu’une concurrence à l’offre de nourriture de rue existante, le French Tacos est vu par ses consommateurs et les observateurs avertis comme la dernière proposition d’une carte de junk food française de plus en plus élaborée et segmentée. Mieux encore : sa nouveauté et son positionnement malin lui donnent une place de choix ; il n’est ni connoté négativement comme un kebab peut l’être, ni assimilé à l’image caricaturale d’impérialisme que peuvent véhiculer certaines enseignes de burgers.

Une chose est sûre en tous cas : avec leurs produits qui s’adressent à tous et qui font le pont entre des cultures culinaires multiples et leur réussite bon enfant, venue de province et de quartiers défavorisés, les Tacos sont peut-être les nouveaux symboles d’une France qui s’assume et qui avance.


PS : Et si vous vous désolez de ne pas touver d’enseigne de French Tacos près de votre domicile, le YouTubeur FastGoodCuisine a une recette pour vous.


Photographies : © Charlotte Vautier. 

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