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Musique
Par Laura Aronica

Le « habibi funk » de Jakarta Records, tradition orientale à la berlinoise

Jannis Stürtz, cofondateur du label Jakarta Records, vient de lancer une page Soundcloud, "Habibi Funk", dédiée à ses mixes de musique électronique et orientale des années 60 et 70. Cet Allemand nous raconte comment, presque du jour au lendemain, il s'est épris des sonorités traditionnelles du Maghreb et d'Orient.

Le premier électrochoc oriental, c’était il y a 5 ans. Lors d’une soirée open air, à Berlin, le DJ passe « Dance of Maria », un morceau du libanais Elias Rahbani, sorti en 1974. Jannis, pourtant peu habitué de la pratique, court lui demander le titre. Il est, se souvient-il, « comme hypnotisé ».

Cette découverte l’interpelle, mais Jannis retourne bien vite à sa routine musicale : si Jakarta Records, le label qu’il dirige, se veut éclectique et défricheur – « surtout, surtout pas limité à un seul genre » insiste-t-il, il est tout de même plutôt orienté hip hop, rap, musique électronique.

« Déclic tardif »

Il faut deux années de plus et une série de coïncidences professionnelles pour que Jannis plonge, une bonne fois pour toutes, dans la musique orientale. À plusieurs reprises, en 2013, son job l’entraîne au Maghreb. « Avant cela, je n’avais vraiment aucune connection au monde arabe », raconte-t-il.

Au vu de son parcours, on s’en étonnerait presque : Jannis, qui évolue entre Berlin et Cologne, a toujours eu les oreilles ailleurs. C’est lors d’un voyage entre l’Indonésie et la Thaïlande, en 2005, qu’il a cofondé Jakarta Records avec un ami. Ensemble ils construisent, depuis dix ans, un label de musique aux allures de mappemonde, fait de signatures australiennes, brésiliennes et américaines, de collaborations venues de France comme du Ghana.

Jannis-Jakarta-Arabic-Mixtape-Cover-Art

Au Maroc, Jannis accompagne le rappeur américano-ghanéen Blitz the Ambassador pour le gigantesque festival Mawazine de Rabat, l’un des plus grands du monde. À Tunis et au Caire, il rejoint le producteur américano-soudanais Oddisee pour enregistrer Sawtuha (« sa voix », en arabe). Sur ce disque à la croisée entre musique arabe traditionnelle et sonorités électroniques contemporaines, qui sort en janvier 2014, 9 musiciennes venues de Tunisie, de Lybie, d’Égypte ou encore de Syrie chantent leur haine de « la corruption, du despotisme, du paternalisme et de la fermeture d’esprit ».

sawtuha

C’est l’ONG berlinoise MICT (Media In Cooperation And Transition) qui a proposé le projet à Jakarta Records. Y participer semblait « naturel » à Jannis, lui qui organise souvent des ventes aux enchères spontanées, sur les réseaux sociaux, des vinyles de son label. « Le plus offrant doit envoyer l’argent à Médecins Sans Frontières et nous en donner la preuve », explique-t-il. « Ensuite seulement, nous lui envoyons le disque ».

En novembre dernier, le label s’est notamment allié avec le producteur autrichien Brenk Sinatra pour récolter auprès de producteurs du monde entier des beats inédits. Grâce à leur compilation – toujours en vente – ils ont récolté 3 000 euros pour les réfugiés de Syrie et d’Irak victimes de l’ « État Islamique ».

for the people

Au détour de ses voyages, Jannis dissèque les étals des marchands de vinyles. Il y fait ses premières découvertes venues du Maroc, de Lybie, d’Égypte, d’Algérie, du Liban et de Syrie…

Il s’initie aux grands noms de la musique arabe comme Sabah, étoile de la chanson libanaise, et réveille les oeuvres d’artistes bien plus confidentiels, comme celle de l’égyptienne Sherifa Fadel ou du musicien marocain Abdou El Omari. Des découvertes qu’il n’aurait « pas pu faire autrement que sur place, à moins de payer très cher, sur eBay ».

Doucement, le groove arabe d’il y a 20, 30, 40 ans parfois colonise ses platines. Jusqu’à ce qu’il se décide, enfin, à se l’approprier.

La suite est classique : un premier mix et un post sur Soundcloud plus tard, la machine Internet se met en marche. Les likes et les reprises s’enchaînent, on lui demande de jouer lors de soirées, à Berlin. Face à cet engouement, Jannis décide de créer une sous-catégorie de label, le « habibi funk » (c’est un blog qui a reposté sa musique qui lui a soufflé le nom).

Classique, dit-on, car la beauté de l’union entre musiques électroniques et mélodies traditionnelle venues d’ailleurs n’est aujourd’hui plus un mystère pour grand-monde (en France, on pense évidemment à Acid Arab – et on court d’ailleurs écouter « Diaspora », dernier-né de l’un des deux membres du projet).

Jannis ne se contente pas d’exhumer les vinyles oubliés – alias, dans la vie réelle, du « moins de 3000 vues » sur YouTube. Il a l’art de la sélection, de l’équilibre subtil entre le classique et la « perle ». Un an après son premier mix, il vient seulement d’en poster un deuxième. L’attente sera moins longue pour le prochain épisode : il a déjà commencé à trier ses vinyles pour le troisième volet.

Et si le « habibifunk » est avant tout un hobby, Jannis ajoute tout de même : « J’aime que ces mixes montrent une facette du monde arabe que peu de gens connaissent. Ça casse de nombreux stérétoypes : Oui, tu peux facilement voyager dans la région. Non, ce n’est pas dangereux du tout. Oui, il y a une culture musicale extrêment ouverte et intéressante et oui, il y a toujours une scène musicale underground aujourd’hui ».

Photographie « Qajar #3, 1998 », Shadi Ghadirian, via Dazed

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