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Le Gros Journal

Le Gros Journal avec Gizem, jeune franco-turque : « Parfois la jeunesse peut être du côté du pouvoir en place. Et c’est le cas en Turquie »


Le Gros Journal avec Gizem, l’intégrale du 24… par legrosjournal

Après la vague d’attentats l’année dernière et dans un contexte particulier post-tentative de coup d’État, Gizem, jeune franco-turque de 30 ans, nous parle de la Turquie d’aujourd’hui.

Elle décrit des Turcs meurtris par les attaques terroristes. Elle raconte, aussi, une société et une situation politique plus complexes que ce que les médias français dépeignent, un pays, enfin, qui ne rêve plus d’intégrer l’Europe.

Mouloud Achour : On a tous en mémoire l’attentat horrible qui a eu lieu à Istanbul pendant les fêtes. Il y a quelque chose qui m’a troublé : j’ai rarement vu la jeunesse turque qui vit en France s’exprimer, et j’ai rarement vu la jeunesse tout court en parler. Alors que c’est la jeunesse qui était visée ce soir-là. On a décidé de faire une émission pour en parler. On n’a pas voulu inviter d’expert ou de spécialiste comme on l’a vu partout, et on a une invitée à vous présenter ce soir. On a décidé de flouter son visage et de ne pas donner son nom pour sa sécurité… Comment ça va ?
Gizem : Ça va très bien.

Alors, comment est-ce que l’on t’appelle ?
On peut m’appeler Gizem.

D’accord, c’est ton pseudo aujourd’hui. Pourquoi as-tu décidé de témoigner sous anonymat ?
Pour plusieurs raisons. La première, c’est que je ne suis la porte-parole de personne, et je n’avais pas forcément envie de mettre en avant mon point de vue. La seconde, c’est que je n’ai pas envie d’impliquer mon entourage, et potentiellement les voir devoir s’expliquer suite à ce que je vais dire aujourd’hui. J’ai pensé que c’était plus simple, tout simplement.

Tu as 30 ans, tu es née en France, ta famille est en Turquie.
Une grosse partie de ma famille, oui.

Comment est-ce que vous communiquez ? Typiquement, le soir de l’attentat, comment est-ce que tu l’as appris, comment est-ce que ça communiquait ?
On est comme tout le monde, on est sur Facebook, on est sur les réseaux sociaux, on est sur Twitter, etc. Mais si j’ai envie de communiquer avec des membres de ma fratrie qui sont en Turquie, avec ma tante etc., on va s’envoyer rapidement un message sur Whatsapp pour se demander si tout va bien. Et parfois WhatsApp est bloqué, et dans ce cas on est inquiet.

Comment est-ce que WhatsApp est bloqué ? Les communications sont bloquées ?
Parfois tout est bloqué.

Facebook aussi ?
Facebook aussi, ça l’est un petit peu moins maintenant, mais WhatsApp oui, il est déjà arrivé que je n’arrive pas à communiquer, notamment le soir de la tentative de coup d’État, et là c’était inquiétant !

Est-ce qu’il y a une communauté franco-turque qui communique, est-ce qu’il y a des réseaux ?
Il y en a beaucoup, c’est une communauté qui est assez soudée. Après, ça n’est pas une communauté qui est uniforme non plus, c’est à dire qu’il y a beaucoup de membres de la communauté turque qui soutiennent vraiment le gouvernement en place, une grosse partie de cette communauté-là. Puis une autre communauté qui est plus à gauche et qui va l’exprimer aussi.

Tu fais partie de quel camp ?
Je suis à gauche. Je suis à gauche en France, et je suis à gauche en Turquie aussi. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’aujourd’hui le gouvernement en place a beaucoup de soutiens, de la part des jeunes aussi. C’est quelque chose que l’on a tendance à oublier quand on parle de la Turquie dans les médias ; c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’avais envie de témoigner aujourd’hui. J’ai juste envie d’apporter une autre lumière sur la jeunesse turque : la jeunesse turque est complexe, comme la jeunesse en France, et la jeunesse n’est pas forcément du côté de la rébellion contre l’ordre établi. Parfois, la jeunesse – et c’est le cas en Turquie – peut aussi être du côté du pouvoir en place.

Est-ce qu’on peut faire confiance aux médias en Turquie ?
Aujourd’hui, dans la mesure où beaucoup de journalistes ont été arrêtés, c’est dur de parler de pluralité des médias. Si on ne peut pas parler de pluralité des médias, c’est difficile de faire confiance.

En tant que franco-turque, fais-tu confiance aux médias français sur le traitement de la Turquie ?
Pas vraiment, dans la mesure où il y a très peu de correspondants français qui sont envoyés en Turquie. Il y en a un que tout le monde connaît – en tous cas, ceux qui s’intéressent à la question – qui s’appelle Guillaume Perrier. Il y a aussi une chercheuse qui travaille pour Slate, qui s’appelle Ariane Bonzon… Il y en a quelques-uns comme ça. Il y a des médias d’opposition aussi : Kedistan, par exemple, qui est un média en ligne. Simplement, on ne peut toujours pas parler de pluralité de l’information quand on parle des problèmes en Turquie aujourd’hui, et c’est dommage bien sûr.

C’est ce que j’allais dire : souvent, en France, nous avons des médias qui sont contre le pouvoir qui est en place en Turquie.
À mon avis, c’est aussi ce que pensent beaucoup de Franco-turcs, dans la mesure où l’on peut voir les médias des deux côtés. Par exemple, on peut se dire « là, ils ont été très synthétiques… » Si on parle de la gauche, on va juste désigner « les rebelles », mais on ne sait pas s’il s’agit du PKK, de membres du HDP ou des membres d’un autre parti. Ca va juste être une entité un peu indistincte. On va dire que c’est des « opposants au gouvernement », donc cela donne une image biaisée et tronquée de la vérité.

Nous t’avons invitée parce que, justement, tu n’es ni militante ni spécialiste. Cette émission est dédiée à la jeunesse turque, quel que soit son parti ou son opposition. On a donné une Carte Blanche à une autre amie de la rédaction qui s’appelle Deniz et qui est à Istanbul.

(CARTE BLANCHE)

J’ai une autre question : est-ce que, finalement, le rêve de plein de Turcs d’entrer dans l’Europe est maintenant loin derrière ? Est-ce que cette alliance Poutine-Trump-Erdogan les fait beaucoup plus rêver ?
Je crois que ça fait un moment que les Turcs n’ont plus très envie d’intégrer l’Europe. Je pense qu’ils ont été rejetés suffisamment de fois. Je l’ai vu d’année en année quand j’allais rendre visite à ma famille en Turquie. Au début c’était “on va peut-être faire partie de l’Europe, est-ce que tu en as envie ?”. On en parlait comme quelque chose de positif. Puis, je ne t’apprends rien, ça a mis du temps à se mettre en place. Il y a eu de faux espoirs qui ont été donnés jusqu’au point où, aujourd’hui – dans mon entourage en tout cas – les Turcs ont une vision plutôt négative de la France. Ils ont le sentiment que les Français sont racistes. Après, ce qui transparaît beaucoup dans les médias turcs en général, c’est le fait que la France peut être anti-musulmane. Avec les polémiques sur le voile, le burkini et j’en passe… Donc oui, les Turcs l’interprètent comme un mauvais signal, une manière de dire “on ne veut pas de vous en fait, on ne veut pas de vous dans l’Europe.”

En tant que meuf, qui a la trentaine, qui a ses soeurs et des copines là-bas, comment on vit le fait d’être une meuf en Turquie ?
Là encore c’est très compliqué de faire des généralités. Disons que cela dépend beaucoup de l’entourage proche. Moi, je me suis toujours sentie très libre. Je ne sais pas si la situation de la femme change ; il y a des déclarations très dures des membres du gouvernement vers les femmes, sur le comportement et la place qu’elles devraient avoir dans la société. La situation de la femme en Turquie est loin d’être parfaite, il ne faut pas se mentir. Après, elle est loin d’être aussi caricaturale que ce qu’on voudrait bien dire depuis la France.

Nous avons lancé Clique en faisant un documentaire à Istanbul avec Kim Chapiron. On s’attendait à un pays sous une chape de plomb et en fait… c’est le futur, la Turquie. Ça fait la fête tout le temps, on a rencontré des zinzins dans tous les sens, des anciens rockeurs communistes comme des gens qui étaient dans la religion. On ne le voit pas, ça.
On ne le voit pas assez, non. Évidemment, on ne le voit pas assez, mais n’importe quelle personne qui a l’occasion de se promener à Istanbul et qui a envie de découvrir un petit peu la ville en dehors des lieux touristiques se rendra compte que les gens sont de gros fêtards.

On y est allés il y a trois ans. Est-ce que c’est encore le cas aujourd’hui ? 
Moins, moins… Évidemment, les gens ont peur. Quand il y a eu les attentats en novembre à Paris, pendant un moment les gens ne voulaient plus sortir. Imagine ça. Et imagine qu’il y en a eu plusieurs de suite dans l’année… Je crois que c’est difficile d’empêcher les Turcs de faire la fête, mais je crois aussi qu’au bout d’un moment, le moral finit par être atteint.

Merci d’être venue témoigner. On tient à affirmer que cette émission est solidaire de toute la jeunesse turque, de toutes les opinions. Big up à tous les Turcs qui nous regardent, qui sont en France ou en Turquie.

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