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Photographie
Par Jalal Kahlioui

Football : plongée au coeur de la folie des supporters Algérois

Qui ne regrettera pas que les supporters algériens soient absents de la prochaine coupe du monde en Russie ?

Au-delà du culte voué à l’équipe nationale de football par tout un peuple, l’Algérie peut se targuer d’avoir un championnat très populaire. En témoigne le photo-reportage publié par Romain Laurendeau : dans « Derby« , le photographe s’intéresse à la passion volcanique des Algérois pour leurs différents clubs.

Chose rare, à Alger cinq clubs sont présents en ligue 1 : le Mouloudia Club d’Alger, le CR Bélouizdad, l’USM d’Alger, l’USM El Harrach et le NA Hussein Dey.

Lors de nombreux allers-retours étalés sur plusieurs mois d’immersion, Romain Laurendeau est allé au contact de cette génération de jeunes supporters, pour laquelle le football structure plus qu’il ne divertit. Dans un pays où le chômage des jeunes atteint plus de 28%, le championnat représente pour beaucoup une source d’évasion essentielle.

Au-delà du folklore cristallisé par les chants, les tifos ou les survêtements, « Derby » raconte une autre histoire d’Alger rythmée par l’amitié, la passion du foot et un incommensurable ennui.

 Un bon match c’est aussi un bon sandwich. © Romain Laurendeau. 

Pour Clique, Romain Laurendeau (actuellement en Algérie) est revenu sur les coulisses de son photo-reportage :

Clique : Dans une interview accordée au HuffPost Algérie, vous racontez que ce reportage n’était pas du tout prévu…
Romain Laurandeau : Je ne suis pas allé en Algérie pour faire ce reportage à l’origine. J’avais passé trois ans au Sénégal, où je photographiais un peu le pays. J’y ai rencontré un Algérien qui est devenu un ami et qui m’a invité chez lui au pays.

Vous connaissiez l’Algérie ?
Très peu. Je me suis aperçu que c’était un pays qui m’intriguait, dont on n’entendait pas grand chose. Et puis, il y avait un focus médiatique autour de l’élection présidentielle de 2014 (lors de laquelle le Président Bouteflika a remporté son quatrième mandat, NDLR). Je ne trouvais pas beaucoup d’informations sur ce qu’il se passait vraiment, et on me parlait d’une jeunesse un peu désœuvrée. Je voulais donc voir par moi-même, et j’y suis allé cette année là.

Comment êtes-vous entré dans l’entourage des Ultras ?
Cela s’est fait par des rencontres. Au début, j’ai rencontré des rappeurs de Bab El Oued (quartier populaire du nord d’Alger, NDLR) avec qui je suis resté pendant trois, quatre mois en immersion. Puis, de là, j’ai continué. Je me suis intéressé à ce qui se passait autour du stade en tant que phénomène social, parce que c’était très fort.

Les déplacements à l’extérieur vus par Romain Laurendeau. 

Comment pourriez-vous décrire la place du football à Alger ?
Prenons par exemple le quartier de Bab El Oued : c’est un quartier populaire d’Alger, très symbolique de la ville. À Alger, y’a quatre ou cinq équipes qui jouent dans l’élite et chaque club, en général, représente un quartier. À Bab El Oued, il y a deux équipes. Là-bas, j’entendais parler du foot en permanence : la quasi-totalité des jeunes était passionnée par leur équipe qui était soit Mouloudia, l’USMA, ou le CRB… On me racontait l’ambiance du stade et c’était super intriguant. Je voyais qu’il se passait quelque chose de particulier. L’énergie, que je ne voyais pas forcément dans la rue, se retrouve une fois par semaine au stade.

Comment êtes-vous entré dans l’intimité des groupes de supporters ?
Ça a été très long. J’avais des amis à Bab El Oued que j’avais déjà photographiés en dehors du foot, et quand ils allaient au stade ils m’emmenaient avec eux pour voir l’USMA et le MCA. Après, il faut dire que c’était compliqué avec les Ultras. Ils sont très réfractaires au fait d’être photographiés. Mais à force d’être là, de venir au stade avec eux, ils m’ont fait confiance et m’ont accepté. J’ai été dans plusieurs quartiers, notamment Belcourt. C’est un autre quartier populaire d’Alger qui supporte l’équipe du CRB, et qui m’ont très bien accueilli et avec qui j’ai noué des liens très forts. En plus, ces deux équipes ne s’aiment pas du tout, donc c’était un peu compliqué pour moi d’être des deux côtés (sourires).

Quel est le profil des jeunes supporters algérois ?
Déjà, il n’y a que des garçons, pas de filles. Ils sont très jeunes, de 16 jusqu’à 25 ans. Pour les grands matchs, on va retrouver des anciens, mais finalement il n’y en a pas tant que ça.

Les stades sont vus par le reste de la population comme quelque chose de dangereux, ou l’on retrouverait des gens dits « pas très fréquentables ». Socialement, ce n’est pas trop accepté. Un supporter peut supporter la pression jusqu’à ses 25 ans, mais au bout d’un moment la pression constante de la famille et de la société est trop forte.

Lors des gros matchs, il y a un réflexe chez les gens qui ne sortent pas. Mais ça tend à se calmer avec la forte présence policière qui se développe.


Au coeur des tribunes. © Romain Laurendeau. 

Qu’est-ce que vous avez avez appris de la société algérienne à leur contact?
Ce qui m’intéressait, c’était de parler de la société algérienne par le biais du foot. Dans le reportage, il y a les tribunes, mais je m’intéresse surtout aux raisons qui poussent ces jeunes à mettre autant de cœur à se retrouver, chanter ensemble, d’atteindre cette sorte de puissance. Je voulais raconter cette espèce de désoeuvrement qu’ils ressentent au quotidien.

Le fait d’avoir le sentiment de ne pas exister, de ne pas avoir d’avenir, de vivre au jour le jour, d’être frustré par l’argent, et l’absence de copines aussi avec la difficulté de la vie de couple – parce qu’il y a beaucoup de pressions dans cette société conservatrice qui génère beaucoup de tabous.


Lors de la victoire de l’USMA en championnat en 2014 (au moment où Romain Laurendeau est arrivé), les supporters avaient retourné le quartier de Bab el Oued. 

Ces jeunes des quartiers populaires algérois vivent avec une frustration et un ennui constants, et leur moyen d’évasion c’est le foot.

Le taux de chômage des jeunes en Algérie avoisine les 30%. Comment se matérialise ce phénomène chez ces supporters ?
Concernant les jeunes dont je vous parle, il y en a très peu qui travaillent régulièrement. Les jeunes de ces quartiers plus populaires, souvent, ils n’ont pas beaucoup été à l’école. Lorsqu’ils sont en situation d’emploi, c’est surtout des travaux de base, des petits boulots, avec un salaire décourageant. Ils préfèrent survivre en gagnant un peu d’argent de poche en se débrouillant, par exemple en vendant du poisson au marché. Une minorité passe aussi par la ventre de produits illégaux.

 Quand les supporters haussent le ton face aux adversaires © Romain Laurendeau. 

Ceux qui ont des petits boulots ne les gardent pas très longtemps, car il y a une frustration qui les amène à se dire : « Pourquoi je travaille ? Je ne peux pas avoir d’appartement… Je ne peux pas me marier parce que je n’ai pas assez d’argent… Donc que je travaille ou pas, c’est pareil ». Et cette phrase, je l’ai entendue plus d’une cinquantaine de fois.

Comment est-ce que tu as apprehendé ce fatalisme ?
J’ai réalisé ce reportage parce que leurs histoires m’ont touché personnellement, et même remué à l’intérieur. On ne peut pas rester des mois avec des gens sans développer un minimum d’empathie. J’ai toujours été persuadé que dans la vie, manger ne suffisait pas.

Ces jeunes mangent à leur faim, dorment sous le toit de leurs parents, mais ils ont ce sentiment de ne pas pouvoir rêver, de se dire que l’avenir est foutu et leur vie avec. Je sais que c’est important de pouvoir se projeter, de pouvoir se sentir libre, se sentir exister, donc ça m’a forcément beaucoup touché.

Lorsque j’étais au Sénégal, j’ai vu une misère financière, mais ici, dans les quartiers populaires d’Alger, on est dans une misère des rêves. C’est autre chose, mais c’est tout aussi important.

Retrouvez l’intégralité du photo-reportage « Derby » de Romain Laurendeau ici. 

Photographie à la Une © Romain Laurendeau. 

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