Oops! Aucun résultat
Musique
Par Laura Aronica

QUI ES-TU : Basile di Manski, crooner Lo-fi

On ne le dit pas assez souvent d’un homme : Basile di Manski, 28 ans, est un artiste gracieux. Il a la poésie du détail, le rythme au corps et revendique un art érotique. Rencontre avec cette nouvelle tête, signée sur le label parisien Pain Surprises.

Qui es-tu Basile ?
C’est une question que je me pose en permanence et à laquelle je réponds de manière temporaire à chaque titre : je suis la somme de toutes les musiques que je fais et de toutes celles que j’ai faites. Disons qu’à chaque nouvelle chanson, j’essaye de me trouver un peu plus.

basile2

Il y en a une où tu t’es plus trouvé que d’autres ?
Je change vite ! J’ai fait une chanson ces deux derniers jours par exemple, et c’est moi en ce moment. Elle parle de Dieu. C’est bizarre, parce que je ne crois pas du tout en Dieu.

Malgré ton t-shirt à l’effigie du pape…
J’aime bien ce qui est mystique. La mystique m’intéresse mais je ne crois pas du tout en Dieu. Je crois juste qu’il y a quelque chose de sacré dans l’art. Je pense qu’on ne crée rien, mais qu’on révèle des trucs.

basile di manski
« Jean-Paul II, saint tout de suite ! » – Basile et son t-shirt de 2011 qui milite pour la canonisation de Jean-Paul II, six ans après le décès de ce dernier. 

Lorsque je fais une nouvelle chanson, je n’ai pas l’impression de donner vie à quelque chose qui n’existait pas avant, mais de découvrir quelque chose. Comme si j’avais creusé et trouvé une petite pépite.

Cette mystique dont tu parles : elle te touche, tu la recherches, tu l’étudies ?
J’aime bien être touché par la mystique en général, dans la littérature ou chez des artistes. Ce que j’appelle moi, la mystique, c’est le moment où, en gros, il n’est plus question de raisonner. L’intelligence est mise en crise : il ne s’agit plus d’être intelligent, mais simplement de croire à ce que tu vois, à ce que tu entends.


« The Story of a Magnificent Blowjob », un clip à huis clos réalisé par Jean Pouletty & le Cactus Club.

Une œuvre te fait-elle cet effet en particulier ?
Il y en a une vers laquelle je reviens tout le temps, depuis quelques années : c’est celle de Proust. J’adore Proust. Je ne vais pas mentir, je n’ai pas lu toute son œuvre ! Mais j’adore ce gars. Il a du swag, Proust.

C’est un mec qui arrive à parler d’un sentiment que toi tu as éprouvé une fois dans ta vie pendant un quart de seconde. Lui, il le prend, il le chope, il le met sur une table, il l’étire, et il en fait des pages et des pages.

Il te tend le microscope et te dit « tiens, maintenant, regarde ». Et tu es obligé de te reconnaître là-dedans. C’est ce que je te disais dans le fait de révéler des choses : Proust n’invente rien de ce dont il parle. Quand il évoque la mort de sa femme Albertine, c’est incroyable. Il dit qu’une fois qu’elle est morte, lui-même doit mourir une infinité de fois parce que le travail du deuil, c’est ça. La personne aimée qui meurt, elle ne meurt qu’une fois. Toi, tu dois mourir à chaque fois qu’un souvenir te revient. Voilà, c’est le genre de choses auxquelles on ne pense pas, mais lui y a pensé pour nous.

Les choses qui te touchent ont l’air très précises. Cette minutie se ressent également dans tes productions musicales. Comment parviens-tu à retranscrire tout ça sur scène ?
En parlant au public par exemple. Je parle de plus en plus. J’ai envie de savoir qui sont les gens à la fin d’un concert, qu’il n’y ait pas une sorte de mur entre la scène et moi, ce « quatrième mur » dont on parle au théâtre. Ça ne doit surtout pas exister !

basile di manski

Ton concert préféré ?
Je vois peu de concerts en fait, j’en vois de plus en plus parce que j’ai besoin de chercher des idées, mais je préfère les spectacles aux concerts. Je trouve que les concerts sont rarement des spectacles, et c’est dommage.

Sauf quand tu t’appelles Beyoncé et que tu te balades en tyrolienne.
Il y a un truc qui a changé mon rapport à la scène. Ce sont des clowns modernes russes un peu punk, la famille Semianiki. Ils ont créé un collectif à Saint Petersbourg et tournent dans le monde entier, c’est leur dixième spectacle. Il y a juste un décor et du mime, pas un mot. À l’époque où je travaillais dans la production j’ai dû les voir 35 fois, et c’est le seul spectacle que j’ai trouvé parfait de A à Z.


Un extrait du spectacle de la famille Semianiki.

Autre chose, pourquoi chantes-tu en anglais ?
Toute mon enfance, je n’ai écouté que de la musique anglo-saxonne : des morceaux des années 70, du punk-rock qu’écoutaient mes grands-frères, ou du rap américain… J’ai commencé à écouter de la musique en français via le rap, et le rap c’est un truc qui ne me va pas du tout. Quand tu chantes en français, tu te heurtes à plein de trucs. Certains y parviennent mais pas moi.


Le très beau « To Lord Byron » de Basile di Manski… principalement en français.

On a un passé qui est trop lourd : dès que tu essayes de trouver ta voie, tu te dis « Ah non là je fais du Daho, ah non là je fais du Gainsbourg, ah non là… ». Donc ça me fait chier, voilà. Heureusement que Gainsbourg est mort, ils nous aurait épuisés ! Avant de mourir, il s’était déjà mis à la musique électronique.


« Love On the Beat ». En 1984, Serge Gainsbourg explore les sonorités et les modes de production électroniques de l’époque.

Peut-être qu’on est dans une période de jachère, dans la chanson française. Il faut la laisser se reposer pour qu’elle puisse être riche à nouveau.

Il te reste le polonais et l’italien, qui sont les langues des pays d’origine de tes parents…
Oui, mon arrière-grand-père venait de la région de Venise. Je parle italien sur l’EP (d’ailleurs intitulé In camera, soit « dans la chambre » en italien, NDLR). Au fond, c’est comme le français, ce sont des langues que j’utilise plutôt comme éléments de contexte. Trois mots en italien dans une chanson, ça te met une couleur et ça te plante un décor. En tout cas, j’adore la musique italienne de la fin des années 70, du début des années 80 : Franco Battiato, Lucio Battisti, Rino Gaetano. Et Lorenzo Jovanotti, qui est venu plus tard… et qui est beaucoup plus variet’.

Écoute sa « Serenata Rap », il a été un peu le Doc Gynéco de l’Italie.

Le bonnet, le phrasé, la déclaration d’amour mi-naïve mi-sexuelle : c’est vrai qu’il y a du Doc Gynéco dans cette « Serenata Rap » sortie en 1994 (deux ans avant Première Consultation, l’album légendaire du Doc).

Avant, tu étais étudiant en droit. Comment s’est fait ce passage à la musique ?
Ça s’est fait de façon assez fluide. J’ai fait de la musique très jeune, surtout de la guitare, mais là, la musique me prenait de plus en plus de temps. Et lorsque j’ai bossé dans cette boîte de prod de spectacles dont je te parlais, j’ai appris plein de choses, et notamment à développer et concevoir des projets. À la fin, j’ai décidé de mettre ça à mon service.

Lâcher des études relativement cadrées pour la musique et ses incertitudes, c’est simple ?
Je suis toujours allé vers ce qui me faisait peur. On n’est jamais arrivé. Le jour où t’es arrivé, c’est que ta carrière est finie, je crois. Mais clairement, je suis un peu plus en sécurité que je l’étais y a six mois. Il y a des moments où j’ai complètement flippé, mais ce sont des situations qui te boostent. Et je suis content d’avoir fait ce choix-là, j’ai envie d’en faire mon métier.

Justement, à quel moment t’es-tu dit : « ça y est, c’est mon métier » ?
En plein hiver, un matin, quand je me suis retrouvé à aller coller mes affiches dans le froid, et j’étais trop content, j’étais serein ! Je suis content de me donner du mal. Nos réserves d’énergie sont extensibles pour quelque chose qui nous plaît vraiment, c’est une question d’amour.

De toute façon, j’aurais fait un mauvais avocat, je suis trop distrait. Moi je vois plutôt des analogies entre les choses, je n’ai pas cette intelligence qui catégorise, qui coupe qui divise.  J’aurais mis mes clients dans la merde, c’est bien pour tout le monde.

On va laisser tomber les conseils juridiques, qu’est-ce que tu me suggères d’écouter ?
Un artiste italien qui s’appelle Lamusa. C’est un mec qui fait la Red Bull Academy à Montréal. C’est très bien, très inspiré des génériques des années 80 et 90. Il a une chanson qui s’appelle « Erica & Les filles », comme si c’était une sitcom qui n’existe pas, mais quand tu entends la musique tu la vois. C’est très évocateur.

Lamusa, « Erica & Les filles ».

Sinon, j’écoute pas mal Radio Orient. J’ai vécu trois mois en Palestine à Ramallah, il y a quelques années, et la musique que j’entendais, tous les sons en général d’ailleurs, se répercutaient sur les collines qui entourent la ville. Ça m’a vraiment marqué. À part ça, je n’ai pas une énorme tracklist : quand je trouve une pépite, je la saigne.

Tu m’en donnerais une ?
« Caramel », de Connan Mockasin. J’aime bien la musique un peu cotonneuse, celle qui ressemble à un milieu dans lequel tu peux être, qui est comme une maison. Moi, j’aime être dans cette chanson-là. Je m’y sens vraiment bien.

Photographies © Alice Moitié
Concerts à venir : tout est passé car Basile part au Pérou

Précédent

La grosse version du Gros Journal : Emmanuelle Bercot, une femme et un scandale...

LE SON DU JOUR : Bruce Roberts, "Cool Fool"

Suivant