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AbdelKarterSociété
Par Elena Amalou

QUI ES-TU… Abdelkarter, « décolonialiste »

Abdelkarter ou Abdelkader est un jeune étudiant parisien. Connu sur les réseaux sociaux pour sa lutte contre le racisme, il a créé un petit séisme lundi 7 mars, en dévoilant un tutoriel vidéo "Comment devenir une beurette en cinq minutes" réalisé par deux jeunes adolescentes.

Qui es-tu ?
Je m’appelle Abdelkader, j’ai 21 ans, je suis binational (franco-algérien).

Que fais-tu dans la vie ?
Je suis étudiant en lettres modernes. Je travaille sur « le viol de la colonisation » chez deux écrivaines algériennes de langue française, Taos Amrouche et Assia Djebar.

M’intéresser aux littératures africaines est un moyen pour moi de comprendre qui je suis, dans une France qui nie son histoire, la mienne, la nôtre.

Je me présenterais comme décolonialiste : je refuse les masques blancs de l’assimilation culturelle, pour accepter mon histoire, et pour être enfin libre.
La France nie les réalités historiques, notamment la Traite négrière et la colonisation, et donc nos identités. On tache d’oublier que la France est une multitude et non pas simplement un pays de whites et de blancos.

Pourquoi as-tu commencé à t’interroger sur ce sujet ?
Je suis confronté au racisme français dans mon quotidien. Le patrimoine français macère dans son racisme. Au fil de mes lectures, je suis confronté à des propos assurément racistes de grandes figures de « notre patrimoine ». Voltaire qui définit les noirs d’« animaux nègres » par exemple, ou encore Maupassant qui écrit dans Au Soleil : « Qui dit arabe, dit voleur, sans exception ».  La question de l’époque de l’écriture se pose évidemment, mais la pensée demeure siècle après siècle,  Victor Hugo affirmait que « l’Afrique n’a pas d’histoire », cela n’est pas sans rappeler le discours de Dakar prononcé par l’ex-président en 2007 : « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».

Tu as provoqué de nombreuses réactions en affichant sur les réseaux sociaux deux jeunes filles se filmant dans un tutoriel appelé « comment devenir une beurette en cinq minutes« . Que s’est-il passé ?
Lundi, ces deux filles ont publié cette vidéo sur Youtube. Suite à des réactions négatives, elles l’ont supprimée. Sauf que je l’ai enregistrée. J’en ai publié des extraits sur Twitter. Plusieurs femmes maghrébines leur ont envoyé des articles expliquant que le mot « beurette » était un terme misogyne et raciste.

Les deux youtubeuses ont persisté à dire que ce n’était pas raciste, et qu’elles tournaient en dérision des clichés. Par la suite, sur Periscope (un réseau social où l’on se filme en direct, NDLR), l’une d’elle a comparé notre réaction à celles des terroristes face aux publications de Charlie Hebdo.

Le racisme touche tout, y compris nos corps même. Nos corps, et je ne parle pas seulement des femmes maghrébines, sont moqués, fétichisés, sexualisés,…  Ajouté à cela que nous sommes confrontés à des canons esthétiques qui ne sont pas le reflet de nos images. En tant que maghrébin j’ai eu du mal à accepter mon physique de nord-africain. Renouer avec mon histoire m’a permis de finalement m’accepter.

Ce qui est drôle avec l’assimilation culturelle, c’est que nos physiques demeurent, on aura beau porter tous les masques blancs que la France voudrait nous voir porter, on finit toujours par se buter à la race. Et nos corps nous renvoient à cette vérité qu’on tache d’étouffer.

Pourquoi avoir fait le choix de partager ton ressenti sur les réseaux sociaux, et plus particulièrement sur Twitter ?
C’est un des seuls lieux d’expression existant pour nous. Partager ce que je ressens vis-à-vis du racisme ordinaire, c’est ma stratégie de survie. Puisque personne ne nous écoute ailleurs, autant parler à des gens qui nous écoutent. Et ceux qui me lisent ne sont pas seulement des racisés, ça va du jeune blanc étudiant en droit qui vote à droite à la femme voilée noire qui fait de la linguistique tchadienne. Et parfois même des personnes viennent me demander des conseils de lecture pour se trouver et comprendre leurs identités. Ça fait chaud au cœur.

Pourquoi ces personnes font-elles le choix de te suivre ?
Parce que je traite le racisme par le biais de deux prismes : la culture et l’humour. Mes blagues, qui sont de la provocation pure et dure, me permettent de pointer le ridicule de certaines situations et de provoquer une certaine réflexion. Des satires, comme en littérature, mais au format de 140 caractères.

Je sais que je n’ai aucun impact sur les structures, au mieux sur quelques individus, mais on rigole, c’est déjà ça.

La première chose sur laquelle on tombe en allant sur ton profil Twitter, c’est une photo légendée « à mes détracteurs qui me traitent de raciste anti-blanc » . Pourquoi certains te définissent-ils comme cela ?
Il y a plusieurs raisons, mais la principale est que je les appelle « blancs ». Les Blancs n’ont pas l’habitude qu’on les racialise, ils racialisent, mais ne sont jamais racialisés. Les blancs sont les personnes occidentales non-racisées tout simplement – et selon moi ceux qui n’utilisent pas de piment dans leurs plats. La seconde raison est que j’accepte et revendique mon histoire dans son intégralité : c’est-à-dire l’histoire de l’Afrique du Nord depuis son début jusqu’aux réalités postcoloniales et néocoloniales, histoire que l’on préfèrerait tue. Et enfin, je clame une réalité du monde qui dérange : un monde multiple dont les blancs ne sont pas le centre.

Tu as un blog appelé Abdelkarter.wordpress.com. Quels sont les sujets dont tu traites ?
Je réagis à l’actualité, aux évènements auxquels je suis confronté dans ma vie. C’est un moyen d’extérioriser pour ne pas exploser. Oui, j’écris par désespoir principalement. Ce sont des billets, qui sont lus par 500 personnes maximum mais qui me permettent de faire le bilan.

Aujourd’hui, quel est ton rêve pour la France ?
Je crois que je n’ai plus de rêves pour la France, je n’ai plus de rêves en France à dire vrai. Mes rêves s’inscrivent dans un ailleurs qui reste à définir.

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