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REPLAY – Le Gros Journal avec Robert Maggiori et Marie S’infiltre : « Il y a une bienveillance des médias vis à vis de Marine Le Pen »

Dans le Gros Journal de ce mercredi 3 mai, Mouloud Achour a posé son plateau au sein de la mairie du troisième arrondissement de Paris. Avant le débat de l’entre deux tours, le journaliste a choisi de recevoir le philosophe Robert Maggiori et l’humoriste Marie S’infiltre. Chacun à leur manière, les invités de ce soir donnent des pistes pour décoder les éléments de langage présents dans les discours des deux candidats à l’élection présidentielles, Emmanuel Macron et Marine Le Pen.


Le Gros Journal avec Robert Maggiori et Marie S… par legrosjournal

Mouloud : Salut et bienvenue dans la salle des mariages de la mairie du IIIème arrondissement. Ici, trône le portrait de François Hollande, et dans quelque temps, il n’y sera plus. Ce soir, c’est le grand débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, et tout le monde a tout dit pendant cette campagne, mais n’a pas parlé de leur storytelling, de qui sont ces candidats, de ce qu’ils racontent réellement, et ça m’attriste. C’est pour ça que je suis avec deux personnes qui ont vécu cette campagne, et qui décident de produire du discours, ou de la vivre. J’ai avec moi Robert Maggiori, philosophe à Libération – quelqu’un que j’adore lire, un des derniers mecs que j’aime lire à Libération  – et Marie s’infiltre, que j’ai découvert chez Cyril Hanouna quand tu étais invitée. Après, je suis allé voir tes vidéos sur Youtube et ton truc à toi, c’est de t’infiltrer dans plein de meetings, mais également dans plein d’évènements. Donc déjà bravo pour ce que tu fais, est-ce que tu as déjà vu ce que fait Marie ?
Robert : Oui, j’ai regardé les vidéos, et notamment celui sur le FN…

Ça tombe bien, on va se le regarder pour ceux qui ne connaissent pas Marie S’infiltre.J’ai choisi ce moment-là, car moi j’en ai marre du LOL-journalisme, des gens qui vont dans les meetings pour se moquer des électeurs, pour se moquer des militants et c’est surtout pour moi ce qui fait monter le FN, quand on va chez eux pour leur dire : “Regardez à quel point vous êtes idiots, parce que nous, on a la vérité dans nos émissions de télévision.” Toi Marie, ce que tu fais c’est différent. On est proche de la performance artistique. C’est-à-dire que tu y vas, tu te mets dans le personnage et à un moment tu craques et tu fais ce doigt d’honneur. C’est quoi ta démarche ?
Marie S’infiltre : La démarche c’est vraiment d’essayer de comprendre et d’aller au plus près des gens. Pour ça, il faut se mettre… il y a un processus d’identification tu vois. Je vais aller essayer de comprendre quels sont leurs raisonnements, leurs logiques. Comment ils s’en viennent à dire ça. Quel que soit le propos. Et avec le moins de jugement ou de préjugé possible au début. Donc c’est un vrai jeu de rôle, qui n’est pas toujours facile… Là ce n’est pas toujours évident.

Donc là comment tu as fait ? Tu t’es mis dans ce personnage, tu as mis tes petites lunettes…
Marie : J’ai mis mes petites lunettes, j’ai essayé d’être le plus douce, la plus bienveillante possible avec mon interlocuteur, de l’amener dans une confiance, de le séduire avec un sourire, en lui expliquant que moi aussi je pense comme lui, que je trouve aussi qu’on est dans une situation qui est très dure, qu’on souffre, et que ça reste peut-être la faute à certaines personnes. Parce que je sais aussi, que ce qui revient dans ces personnes-là, c’est que dès qu’il y a une souffrance, dès qu’il y a quelque chose, il y a un bouc émissaire, et c’est sur ce bouc émissaire que se cristallisent toutes les passions.

Robert : Je pense que Marie devrait s’appeler “Marie sans filtre” parce que lorsque justement elle s’infiltre, elle fait comme un révélateur photographique. Les gens sentent une empathie donc laissent émerger leur propre fond, et on assiste à ce moment-là à une énonciation de propos invraisemblables, mais qui sont ceux du FN, malgré les masques qu’on a tenté de mettre dessus. Je trouve en effet qu’il y a une bienveillance des médias en général – je ne parle pas au nom de Libération – vis-à-vis de Marine Le Pen et vis-à-vis de tout le courant FN, parce que l’on ne va pas découvrir maintenant ce qu’est quand même le FN. L’histoire du FN, elle est claire : si on remonte à rebours, on remonte à des mouvements d’extrême droite qui se sont manifestés en 68, il y avait Occident, et on remonte jusqu’à Pétain quand même, et jusqu’au fascisme, et ça on l’oublie.

Mais le patriotisme, c’est quelque chose dont même Emmanuel Macron s’est emparé.Pourquoi cette tête dépitée quand Emmanuel Macron dit “patriote” face aux nationalistes ?
Robert : D’abord, on ne peut pas laisser le mot patriote au FN, donc lui ce qu’il fait, d’une manière politicienne, il est obligé de récupérer, de même que Marine Le Pen a parlé l’autre jour “Je suis européenne” parce qu’elle sentait bien qu’en disant “Hors de l’Europe” etc, elle perdait effectivement ses électeurs. Emmanuel Macron s’est rendu compte que s’il était pour une Europe ouverte, il perdait des électeurs. Donc chacun se rapproche autour du paternalisme et du patriotisme. C’est quand même horrible, après des années de luttes féministes, qu’on en vienne encore au patriotisme, c’est-à-dire à la terre du père. Admettons que je sois italien, je le suis, mais quand j’entends Marine Le Pen dire “Je suis patriote”, et moi ? Qu’est-ce que je suis ? Moi aussi je suis patriote, sauf que nous sommes en Europe et nous avons des trucs que nous partageons, ce qui a fait que nous sommes tous ensemble aujourd’hui, c’est que nous avons partagé. Et le recul, c’est qu’aujourd’hui quand on rencontre quelqu’un, de nouveau on dit “Il est arabe, il est juif” mais ce n’était pas ça il y a une décennie, c’était toi, une personne, « est-ce que tu es intelligente » ? Est-ce que tu es bête ? Est-ce que tu es un crétin ? Je ne disais pas “Est-ce que tu es juif ? est-ce que tu es musulman ? Est-ce que tu es machin ?”

Vous répondez quoi si l’on vous dit “Ce sont des paroles d’un journaliste de Libération, bobo, de gauche, mondialisé” ?
Robert : Ce ne sont pas des paroles de bobo de gauche. Ce sont des paroles que beaucoup de philosophes ont écrit et que je regrette qu’effectivement, toute l’élaboration théorique des philosophes dans les 30 dernières années, on les a maintenant oubliés. Tous ont élaboré une philosophie de l’autre…

Là où je voulais vous emmener avec cette blague, c’est que j’ai l’impression que pendant cette campagne, les gens ont passé leur temps à répondre au FN, alors qu’avant on produisait du discours face au FN, et c’est ce qui éteignait les extrêmes. Et cette campagne n’a pas produit de discours, il n’y a pas eu de discours produit dans le sens du peuple.
Robert Maggiori : La politique, c’est de l’art et de la science. Donc le discours politique, il doit mêler les deux. Or aujourd’hui, on a oublié totalement le côté scientifique. Moi je suis sidéré que la presse ne demande jamais aux candidats : “Mais d’où te vient ton savoir ?” “Qu’est-ce que tu lis comme livre ?” “Est-ce que tes conseillers se réfèrent à tel économiste, à tel autre économiste ?” “Pourquoi tu dis ça, montre moi, quelles sont tes sources ?”. Jamais.

On parie 1000€ qu’il n’y aura pas cette question au débat ce soir ?
Robert Maggiori : Mais bien sûr ! On parie même plus que ça !

Je voulais me faire 1000€…
Robert Maggiori : On ne dirait pas ça d’un médecin. Un médecin, on ne dirait pas quelle cravate il a, qu’il s’est fait couper les cheveux, on voudrait voir ses diplômes !

On ne dirait pas combien de fois il a dit le mot “Euh, Euh, Euh” dans ses discours…
Robert Maggiori : Bien sûr, absolument. On dirait quel est son savoir. Mais la politique est aussi un art. C’est un art du spectacle. Il faut aussi se présenter, c’est un art rhétorique, etc. Or ça, ça a pris totalement le dessus sur effectivement la science.

Marie ?
Marie : Oui ?

Mouloud : Tu as quel âge ?
Marie : 26 ans.

Ça te parle Jacques Chirac – François Mitterrand ?
Marie : Tout à fait. Bien sûr.

Parce que toi, tu as failli, être dans les plus hautes sphères du pouvoir. Tu as failli faire l’ENA…
Tout à fait.

Qu’est-ce qu’il t’a pris ?
Marie : De vouloir le faire ? Ca c’est une grande question existentielle. J’adore la politique et j’avais l’impression de pouvoir être un acteur de tout ça. Mais ce qui me fascinait le plus, c’était le spectacle, c’était l’art de la politique, c’était la rhétorique. Comment on arrive à convaincre, comment on arrive à animer des passions. Qu’est-ce qu’on fait ressortir chez l’autre pour avoir un électorat et qu’est-ce c’est l’électorat. Bon j’ai eu mes petits moments de désillusion.

Ça été quoi ta plus grande désillusion ?
Marie : J’ai travaillé dans une agence de lobby et j’ai compris en fait que la politique c’était un jeu de “comment satisfaire son électorat.” Mais quand je parle d’électorat, c’est sa circonscription. Et en fait, il y a les grandes idées, les grandes idéologies, les grandes convictions, ça apparaît dans le discours, mais pas dans la carrière politique.

Si on suit le raisonnement de Marie, ce soir c’est Emmanuel Macron face à Marine Le Pen. C’est quoi les grandes idées, les grandes convictions. Pour qui ils roulent ces deux-là ?
C’est très intéressant comme question. Et très difficile d’y répondre. Je pense qu’il est très facile de répondre pour Marine Le Pen. Marine Le Pen elle a une histoire. Donc on peut la raconter de A à Z. La constitution du parti, les alliances qu’elle avait faites en Europe avec d’autres partis d’extrême droite. La nécessité de tuer le père, parce que le père charriait des propos et qui irritait évidemment tous les Européens, tous les Français parce que c’était quand même des conneries, il faut bien le dire.

Il a quand même débarqué dans une émission télé avec un masque pour Mardi gras…
Robert : Emmanuel Macron c’est très intéressant. Parce que c’est déjà une génération post-idéologique. C’est-à-dire que Macron ne peut pas dire : “J’ai une conception du monde socialiste, puis ensuite j’ai changé. J’ai une conception du monde marxiste ou libérale.” Non parce qu’il était dans l’époque de la post-idéologie. Il faut rappeler que Macron était quand même l’assistant de Paul Ricoeur qui est l’un des plus grands philosophes du siècle. Il était juste assistant. Ce n’est pas qu’il a fait les travaux avec lui, mais quand même. Ricoeur c’est le philosophe de la justice, le philosophe de l’autre, le philosophe du don, donc c’est important. Donc lui, il s’est forgé une conception par bribe. Comme aujourd’hui la plupart des gens. C’est-à-dire que ça n’existe plus un attachement quand avant on disait : “Je suis socialiste.” Ca voulait dire qu’on s’attache à un certain nombre d’auteurs, de textes, de valeurs, etc. Donc lui, il fonctionne par bout. Par agrégation de bout. C’est pour ça que son discours parfois peut paraître confus. Parce que tantôt il se réfère à une branche des valeurs, tantôt à une autre branche, tantôt à une autre. Donc son discours paraît plus… Mais il ne peut pas lui faire une histoire. C’est-à-dire que derrière lui, il n’y a rien.

Il incarne quoi pour toi Emmanuel Macron ?
Marie : Il incarne à la fois un fou furieux qui en un an a quand même réussi à anéantir deux partis qui étaient nos références de bases et sur lequel tous nos champs de débats, de discussions étaient gouvernés. Et en même temps, il incarne l’espoir de la réussite. On peut tout faire, on peut toujours y arriver quelque part. Il suffit de rêver, il suffit de construire. Donc je trouve qu’ individuellement, c’est assez exaltant ce qu’il incarne. Et en même temps, cette sorte de folie qui a fait. Parce qu’il faut être fou pour faire ce qu’il a fait. Elle fait peur, c’est la peur de l’inconnu. C’est un risque énorme. Il y a un décalage aussi avec les institutions. Comment est-ce que les institutions peuvent se mettre au pas, être conciliées. Parce que la Vème République, c’est quand même des institutions avec une personne qui porte ça comme ça toute seule, et en même temps, il y a la peur de : “Qu’est-ce qu’il va faire ce mec ?”

Et Marine Le Pen ?
Marine : Marine Le Pen c’est autre chose. Je la trouve incroyable. Assez incroyablement effrayante parce que d’avoir réussi de faire d’un parti d’extrême-droite, nationaliste, qui est qui est emprunt de toute une idéologie du 19ème siècle, qui reste la même, avec les mêmes fondements, qui sont les mêmes fondements que … On pourra dire tout ce que l’on veut, c’est exactement la même chose. C’est le même rapport aux frontières, à la nation, etc. D’avoir réussi à faire quelque chose de lisse, de souple, de glamour. Je la trouve incroyablement effrayante et j’ai presque du respect pour cette personne…

Comme on aime le tueur dans « Seven »
Marie : Voilà, exactement. il y a un côté, on est soumis à ce qu’elle fait.

Est-ce que vous allez regarder le débat ce soir ? Vraie question…
Robert : Moi, je ne peux pas. Moi, il y a Juventus-Monaco, Juventus-Monaco prime quand même pour moi.
Marie : Je vais le regarder, c’est sûr. J’attends…

Qu’est-ce que tu attends de ce débat ?
Marie : J’attends du show, j’attends un combat de gladiateurs, j’attends de savoir qui va réussir à avoir l’ascendant sur l’autre, parce que c’est quand même fascinant de savoir à quel moment on va utiliser une stratégie, la ruse pour asseoir l’autre et le plier. Un combat de boxe, moi j’attends…

Ou un épisode de Secret Story…
Marie : Aussi.

En tout cas, vous regardez le Gros Journal, moi je ne suis pas votre daron, je n’ai pas de conseil à vous donner donc tout ce que je peux vous dire, c’est lisez les programmes, faites-vous votre avis et allez voter dimanche ou « abstentionez » si vous voulez vous « abstentionir ».
Robert : Abstenir disons.

On se retrouve demain à la même heure sur Canal +, c’était le Gros Journal, merci beaucoup.

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