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Marguerite Abouet clique tvSociété
Par Nina Masson

QUI ES-TU… Marguerite Abouet, auteure et réalisatrice ivoirienne

La bande dessinée « Aya de Yopougon », adaptée sur grand écran en 2013 avec Clément Oubrerie, c’était elle. Prix du premier album au festival d’Angoulême en 2006, la saga s’est poursuivie avec cinq autres tomes, écoulés à plus de 700 000 exemplaires. Aujourd’hui, les premiers grands décors de cinéma en Afrique, c’est elle aussi, avec son équipe installée au Sénégal. Dans les studios de ce qu’on appelle désormais « Dakarwood », sont tournés les épisodes du tout premier feuilleton panafricain entièrement produit sur le continent. Intitulée « C’est la vie », la série a pour objectif de sensibiliser le public aux problématiques de santé en Afrique. Diffusée dans 44 pays d’Afrique subsaharienne sur Canal + Afrique pour la saison 1, son audience dépasse les 100 millions de téléspectateurs potentiels.

L’oeil malicieux, la voix grave mais enjouée, Marguerite Abouet nous a ouvert les portes de sa maison parisienne. Elle nous parle d’Afrique, de Joann Sfar et de ‘secouage de tassaba’.

Auteure, scénariste, réalisatrice, comédienne, qui es-tu Marguerite Abouet ?
Je suis Ivoirienne de culture française et je vis à Paris depuis 32 ans. Je suis dialoguiste. Les dialogues, c’est ce que j’aime quand j’écris. Peut-être parce que je suis née dans ce quartier de Yopougon où la joute verbale est innée. Il fallait toujours parler plus fort que les autres pour se faire entendre.

Tu as commencé à écrire à 17 ans, alors que tu étais exilée en France. Pourquoi tu t’es mise à raconter des histoires?
À 17 ans je vivais dans une chambre de bonne. Mes parents n’étaient pas là et je n’avais pas d’argent de poche. Un jour ma télé a explosé alors j’ai commencé à écrire. Au départ ça n’était pas une passion, mais plutôt une thérapie, pour ne pas devenir folle entre ces quatre murs. Et puis petit à petit j’y ai pris goût. J’observe énormément dans la rue ou dans le métro et je me mêle beaucoup de ce qui ne me regarde pas ! Un simple visage ou une situation peut m’inspirer.

Tes personnages sont tous de bandes dessinées (d’abord Aya dès 2005, puis Akissi et Bienvenue à partir de 2010, NDLR) Pourquoi passer au petit écran ?
J’ai été embarquée dans le projet « C’est la vie » par Alexandre Rideau un producteur français qui vit à Dakar et qui dirige l’ONG RAES. Au départ il m’a proposé de mettre du divertissement dans une série télévisée destinée à sensibiliser le public à des problématiques de santé en Afrique. Je n’étais pas très partante… J’imaginais ça comme une série pédagogique et didactique. Montrer aux Africains comment ils doivent se soigner, se reproduire ou ne pas se reproduire, ça me plaisait pas. Puis on s’est rencontré à Paris. Il m’a expliqué que sur la série, il apporterait 30% des messages concernant la santé et je devais amener les 70% restants. L’objectif était de changer le comportement des gens à travers du divertissement. Ça s’appelle la méthode Sabido (du nom de son concepteur Miguel Sabido, stratégie qui consiste à véhiculer des messages à travers des feuilletons télévisés, en se basant sur des références culturelles et sociales communes, NDLR). J’ai pris ça comme un challenge. J’ai accepté et ça a donné ça :


Trailer de la série « C’est la vie ».

Tu aimes la bande dessinée parce les gens peuvent s’identifier immédiatement aux personnages. Pourquoi le choix d’une série pour sensibiliser les gens ?
La télé c’est la démocratisation. Partout en Afrique, même au fin fond d’un village on peut y avoir accès. C’est quand même plus simple que le cinéma qui a complètement disparu du continent. Une entrée au cinéma est trop chère. Le petit écran c’est un peu comme la bande dessinée, c’est une vulgarisation où on peut tout raconter.

On nous a abreuvés de séries brésiliennes, d’Europe de l’est ou de Turquie. Les Africaines ont voulu ressembler à ces héroïnes de télénovelas. Aujourd’hui il faut qu’on se réapproprie nos écrans. Pour montrer que l’on peut faire des séries ambitieuses avec un contenu intelligent et des visages qui ressemblent aux couleurs et aux images du continent.

On appelle « Dakarwood » les studios de Yoff (quartier de Dakar) où sont tournés les épisodes de « C’est la vie », c’est la première fois que l’on fabrique des studios d’une telle envergure en Afrique de l’ouest…
Oui c’est génial. Et je suis contente d’être l’une des pionnières car je ne suis pas seule. Il y a Charli Beleteau qui est showrunner. On forme un vrai binôme. C’est rare de rencontrer des gens qui donnent, partagent leur savoir. C’est grâce à lui qu’on a pu faire des studios en plein air, mais aussi des décors tournants, moi je trouve ça magique ! Pour raconter le quotidien des Africains, il fallait qu’on soit dans le quartier où ils vivent. On sollicite aussi ses habitants pour faire de la figuration.

Centre de santé Ratanga à Yoff
Les décors de la série « C’est la vie ». Ici, le centre de santé, situé dans le quartier de Yoff à Dakar.

Tu dis souvent qu’il faut arrêter d’associer l’Afrique à la misère et à la violence, comment arrives-tu à maintenir le bon équilibre dans la série ?
J’ai un maître-mot : la légèreté. Je suis en quête de la légèreté dans mes histoires, ce n’est pas facile, mais j’essaie d’en rajouter quelques touches. J’ai horreur des histoires larmoyantes. Exprimer l’autre, ses joies ou ses peines, sans être pesant, c’est ça mon écriture.

Bien sûr, si on fait un feuilleton sur la santé c’est pour dénoncer ce qui ne va pas. Alors il faut raconter des histoires à la hauteur des personnages. Il faut découvrir le monde à travers l-ces personnages. Si on est plus proche d’eux, on sera plus près du public.

Parfois on me dit que le centre de santé de la série est trop nickel et qu’il ne ressemble pas à un centre de santé africain. Mais justement, un centre de santé doit être propre ! Il est hors de question que je crée un centre tout pourri. C’est ça le message aussi. Une personne ne doit pas mourir parce qu’elle n’a pas accès à la santé. L’État doit fournir à la population une éducation et des soins gratuits. C’est aussi ça « C’est la vie. »

Pourquoi l’humour pour t’exprimer ?
L’Afrique est drôle. Moi je suis Africaine, j’ai vécu dans un quartier populaire, Yopougon, où il y a de la misère mais comme partout. J’ai une écriture heureuse parce que je viens d’un pays heureux.

Je pense que l’humour est dans l’ADN des Ivoiriens. Ils sont drôles, caustiques, ils sont toujours en train d’inventer une danse, une musique ! Et Yopougon foisonne de tous ces talents. Certains de mes personnages sont tristes, mais je mets beaucoup d’optimisme dans ce qu’ils sont.

À la fin de Aya il y a un « bonus ivoirien », où on peut apprendre à rouler des fesses ou à cuisiner une bonne sauce à l’arachide (appelée aussi « aller-retour »). Certaines expressions sont vraiment drôles ! Lesquelles te font le plus rire ?
Sur le tournage je dis beaucoup allez les go, on est fouka-fouka ! ce qui veut dire, allez les filles on se bouge ! ou encore les amis on est là pour s’enjailler ! ce qui veut dire : je veux de la joie dans le jeu.

Marguerite sur le tournage
Marguerite Abouet et ses « go » sur le tournage de « C’est la vie ».



Tu ne leur demandes pas de rouler des fesses ?
De rouler leur tassaba plutôt ! Pour ça on dit elle est sincère cette fille, ou elle est culottée deh !

La série est sur quatre femmes, est-ce qu’elle s’adresse exclusivement à des femmes ?
Les producteurs voulaient qu’on aborde quatre thèmes : la santé maternelle et infantile, les violences faites aux femmes, l’éducation sexuelle, la planification familiale et la reproduction des jeunes. Mais qui parle de femmes parle d’hommes. Les femmes dans la série ont toutes des antagonistes et ce sont des hommes. Pour moi la série s’adresse à toute l’Afrique, et même au-delà.

J’aime les histoires universelles. Les intrigues se passent dans un quartier imaginaire que j’ai appelé « Ratanga » pour que chacun puisse se dire « Tiens, ce quartier ressemble à mon quartier. »

Il y a une démarche naturelle de l’imaginaire. Pour que ça marche, il faut que ce soit très précis dès le départ : des endroits précis, un quartier qui ressemble à n’importe quel quartier en Afrique, des gens très précis avec des problèmes précis. Par exemple il y a dans la série une sage-femme un peu brutale qui s’appelle Korsa. Des personnages comme elle il y en a des milliers dans toute l’Afrique ! Des maris polygames aussi ! C’est pour ça que ça marche.

Sur le tournage clique tv
Sur le tournage de « C’est la vie », à Dakar.

C’est la lecture de Marjane Satrapi qui t’a décidée à écrire des bandes dessinées. Elle fait partie des femmes qui t’inspirent?
Oui, c’est sa bande dessinée Persepolis qui m’a inspirée. J’étais bluffée. Quand elle raconte son enfance, elle raconte une enfance heureuse, malgré le contexte difficile en Iran, et c’est très drôle ! C’était ce que j’avais envie de raconter avec Aya (du nom de son personnage de bande dessinée, NDLR). Marjane Satrapi m’a inspirée parce qu’on a une histoire commune, le fait d’être née ailleurs. Moi j’ai été vraiment arrachée à ce pays, et à ce quartier. On nous a un peu volé cette enfance là et je me suis retrouvée dans ce qu’elle a fait.


Trailer du long-métrage « Persepolis », inspiré de la bande-dessinée autobiographique de Marjane Satrapi.

Tu es arrivée en France en 1983, à l’âge de 12 ans. Est-ce que tu te souviens de ta première impression en débarquant ici ?

Oui, l’arrivée à Roissy. Il y avait des escalators et bien sûr, je suis tombée ! Je me souviens aussi des ascenseurs, mais surtout je trouvais tout très propre. Il y avait beaucoup de Blancs, mais j’étais déçue car ils ne ressemblaient pas à Rahan ! Et puis avec mon frère dans le taxi chaque fois qu’on passait sous un tunnel on se demandait si on passait pas sous la mer !

La majeure partie de ta famille vit à Abidjan. Quel rapport as-tu avec le pays ?
C’est le noyau autour duquel je me suis construite, c’est un rapport assez charnel. J’ai besoin d’y retourner, pas forcément à Abidjan mais en Afrique en tous cas. C’est la base, ma base.

En 2011, tu as prêté ta voix à un personnage du long-métrage d’animation Le Chat du Rabbin, de la bande dessinée éponyme écrite par Joann Sfar, quelle est ta relation avec lui ?
Au départ c’était vraiment une relation de travail. Notre éditeur (Gallimard, NDLR) nous a contactés pour lire l’histoire d’Aya, qui devait être publiée dans la collection Bayou, dirigée par Joann Sfar (une collection de Gallimard consacrée à la bande dessinée, NDLR). On est arrivé dans le bureau et je l’ai lue pendant une heure, avec le ton. Joann a rit du début à la fin. Ensuite on est devenu amis et il m’a demandé de faire une voix pour Le Chat du Rabbin. Au départ je faisais la voix du chat puis j’ai finalement fait celle de l’Africaine. J’ai pris un vrai plaisir à le faire car Joann a une manière vraiment particulière de diriger les comédiens.

En musique ou sur Internet, tu cliques sur quoi ?
Sur tout ! De l’afrobeat, du funk,du soukous en passant par Jacques Brel, Angélique Kidjo et bien d’autres…


Angelique Kidjo« BOMBA ».

Un prochain projet ?
Le tome 7 d’Akissi qui sort en octobre. On a aussi un projet de série télé française pour Bienvenue. Et un projet de western africain, en film et en bande-dessinée, avec Charli Beleteau.

Photographie à la Une, portrait de Marguerite Abouet © Gallimard.

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