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Société
Par Pauline Baduel

Pourquoi Instagram nous rend triste ?

On aime Instagram, mais il nous fait du mal. Vous n'avez pas encore sorti les mouchoirs à la vue d'une story, mais ça ne saurait tarder. Personne ne résiste à l'envie de rafraîchir sa page, de voir les like de son dernier post, ou de savoir si Cardi B est de bonne humeur aujourd'hui. Avec ses 800 millions d'utilisateurs, la plate-forme est devenue incontournable, mais de plus en plus d'études montrent ses effets néfastes... en particulier pour les jeunes.

Heureux qui comme un stalker a fait un bon voyage… C’est probablement l’une des premières choses que vous faites au réveil : aller sur Instagram.

Vous faites défiler de jolies photos bien cadrées et filtrées : celle d’un copain avec sa planche de surf sur la plage de Biarritz, d’un autre au concert d’Arctic Monkeys et d’une influenceuse en peignoir blanc – très blanc – les cheveux ultra brushés au réveil en plein milieu d’une chambre d’hôtel. Tous ont l’air si heureux. Bizarrement, un truc chimique se passe dans notre cerveau. L’excitation retombe et laisse place à un épais nuage au dessus de la tête. On ne sent pas très bien, hein ? Un peu écœuré, comme après avoir mangé trop de glace cookie dough.

– Ah ouais, il est proprio…
– Wow ! Elle est encore partie en week-end à Deauville…
– Et moi ?
– Euh… Bah moi, je suis encore dans mon lit. 

Capture d’écran Instagram #happiness 

Seul réconfort possible ? Un petit cœur rouge en bas de l’écran, une notification en haut à droite qui vous indique un message privé. Pourquoi Instagram a ce pouvoir de nous faire passer de l’extase à la déprime en un claquement de doigt, comme si tout le monde se débrouillait dans la vie sauf nous ? On a posé la question à Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Henri Mondor et Michael Stora, psychologue, spécialiste des réseaux sociaux. Sortez vos mouchoirs, on approche tout doux de la grosse déprime.

Clique : Vous avez Instagram ? 

Michael Stora : Évidemment, mais j’ai un pseudonyme, ahah ! Instagram est un immense peep show. Derrière sa vitre sans teint, chacun joue le rôle du voyeur plus ou moins assumé. Mais à force de regarder une vitrine, soit on a envie de la casser, soit on finit par se lasser.

Antoine Pelissolo : Je ne l’utilise qu’à titre expérimental. Tout ce que vous ressentez sur cette plateforme n’est pas vrai. Vous êtes sensible à des images qui n’auraient pas leur place dans le quotidien. Vous pensez immortaliser les plus beaux moments de votre vie, mais en fait vous arrêtez de vivre pour les immortaliser sur Instagram. Tout est mis en scène et customisé. Vous pensez voir l’autre, mais vous le voyez mal.

Clique : Avant, on fuyait le « faux » comme la peste. C’était mal vu. Un peu comme dans l’épisode 10 d’Atlanta (S2) où Earn, jeune ado, vit un enfer après être venu au collège avec un t-shirt FUBU – sauf que c’est une contrefaçon… Mais avec Instagram, la frontière entre le vrai et le faux n’a jamais été aussi fine…

Antoine Pelissolo : Instagram est le réseau social qui mêle le plus le réel et le virtuel. Le faux est érigé en modèle. On le like tellement qu’il devient plus vrai que le vrai. Forcément, si vous n’êtes pas assez lucide, si vous êtes déjà un peu fragile, vous passez de l’autre côté.

« On perd complètement confiance en soi parce qu’on est renvoyé dans une forme d’incomplétude permanente, convaincu qu’on ne sera jamais à la hauteur des stories de Kim Kardashian ».

Michael Stora : C’est un espace rempli de valeurs très excessives et pas du tout rationnelles : l’ultra beau, le bien-être à tout prix, la performance, l’hyper sexualisation. Des chercheurs ont déjà prouvé que Facebook entraînait des phases d’auto-dépréciation, mais avec Instagram, c’est pire. On perd complètement confiance en soi parce qu’on est renvoyé dans une forme d’incomplétude permanente, convaincu qu’on ne sera jamais à la hauteur des stories de Kim Kardashian.

Clique : Mais à quel moment bascule-t-on dans la dépression ?

Antoine Pelissolo : Je vais essayer de faire simple… À chaque fois qu’on mange du chocolat, qu’on fait l’amour ou qu’on regarde un bon film, le cerveau sécrète de la dopamine (l’hormone du bonheur, NDLR) qui provoque une sensation de bien-être. C’est la même chose avec Instagram. Le cerveau est programmé pour rechercher le plaisir, sauf que là, il se fait avoir. Le cerveau croit voir des choses qui lui font du bien, alors que ce qu’il voit ne le nourrit pas. Ce manque crée le sentiment de déprime. C’est comme une descente de drogue, un peu.

Michael Stora : Oui, mais il faut quand même avoir une fragilité de départ pour sombrer ! Ce qui me gêne, c’est que l’ennui ne devrait pas faire aussi peur. On est dans une société ou l’ennui est synonyme de tristesse, c’est un vrai problème.

Capture d’écran Instragram #LifeIsBeautiful

« Instagram a contracté le temps et l’espace, le beau et le laid, avec cette idée qu’au bout du doigt, nous avons un contrôle sur beaucoup de choses… Mais dans la vie, on ne peut pas contrôler le flux émotionnel de la personne avec qui on parle. »

Clique : Cette déprime ne vient-elle pas d’une surconsommation des réseaux ? Instagram est en train de mettre en place une fonctionnalité qui mesurera le temps réel passé sur l’application… 

Antoine Pelissolo : C’est une bonne chose pour ceux qui ont du mal à voir leur addiction. Dans la vie, tous les plaisirs peuvent mal tourner, le système n’a pas été fait pour les excès. L’être humain est conçu comme les hommes des cavernes : il faut accomplir de grandes choses (grimper à un arbre pour cueillir des pommes) pour en profiter. Aujourd’hui, l’offre de plaisir est telle que le système est saturé. Quand il y a trop de stimulations, il se dérègle, c’est biologique.

Michael Stora : On voit des gens qui postent des photos de leur intimité, de leurs problèmes, ça manque souvent de second degré. Les réseaux sociaux ont démocratisé la notion de rêve. Chacun est un modèle en puissance, on peut devenir « connu » très vite avec des likes et des followers, mais on reste éternellement pris comme un lapin dans les phares éblouissants…

Clique : Quand on poste une photo de soi, c’est un peu le shoot d’antidépresseur. Pendant qu’on attend cette récompense, on passe un peu à côté de la vie, non ?

Michael Stora : Si je mets une photo qui n’a pas de like, je l’enlève très vite, car on ne supporte plus l’idée de perdre. Même chose, si je choisis de poster un selfie, j’en fais dix avant de choisir le bon.

J’ai une patiente qui me racontait que la dernière fois, en terrasse avec des copines, elle s’est disputée. Au lieu d’affronter le conflit, elle est partie sans rien dire…

Clique : Oui, comme on « ghoste » sur les réseaux…

Michael Stora : C’est terrible, toute la journée les gens ne se regardent pas et ne se parlent pas. Ils préfèrent entretenir un lien qui n’est pas réel avec une personne sur Instagram plutôt que de parler dans la vraie vie, car sur Instagram tout est immédiat. Le « feedback » se fait instantanément, vous n’avez pas besoin de prendre rendez-vous avec les gens, ils vous répondent au beau milieu d’une réunion, en sortant de la douche, dans le métro…

Clique : On est en train de perdre nos repères, c’est un peu flippant. Comment fait-on pour éviter de finir déshumanisés comme des personnages de Black Mirror

Antoine Pelisso : La seule solution, c’est de faire attention à la narration. Quand un copain vous raconte ses vacances et que vous vous ennuyez parce que vous avez déjà tout vu sur les réseaux, re-concentrez-vous. Ce qu’il raconte, c’est ce qu’il a vraiment vécu, c’est bien plus intéressant que ce qu’il a posté sur Instagram.

Michael Stora : Instagram a contracté le temps et l’espace, le beau et le laid, avec cette idée qu’au bout du doigt, nous avons un contrôle sur beaucoup de choses… Mais dans la vie, on ne peut pas contrôler le flux émotionnel de la personne avec qui l’on parle.

Instagram est très fort, dans le sens où la chose photographiée compte plus que l’événement. Et derrière elle, il y a un enjeu d’amour puissant.

Illustration à a Une : Zoé Peyrieux pour Clique.

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