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Société
Par Justine Paolini

CLIQUE STORY : J’ai couché avec un con

Quand t’es avec tes potes, y a toujours un moment où t’es en rade d‘histoires marrantes à raconter. C’est souvent à ce moment-là que tu dégaines ta botte secrète, celle bien au chaud au fond de ta poche : le gros con sur qui t’es tombé l’autre samedi soir. Rien d’exceptionnel, t’en as croisé un paquet des cons, bien emballés dans leur papier-cadeau entourés d’un joli ruban.
Moi, je l’ai eu mon con en chef, mon champion du monde.

Un mec somme toute normal, sauf qu’il se la jouait peut-être un peu trop artiste maudit avec son perfecto faussement vintage et sa petite boucle d’oreille. Mais bon, t’es dans un bar à Oberkampf aussi, fallait se méfier. Lui et ses potes font partie des rescapés de la fermeture de 2h du mat ; les autres rescapées en question : ta tronche alcoolisée et celles de tes deux copines célibataires qui hurlent de rire entrecoupés de pleurs bizarres. Et y a ce mec-là, au premier abord marrant, cool, presque mignon… bon surtout il te drague lourdement depuis le début de la soirée, ce qui – avouons-le – fait du bien à ton égo plein d’orgueil de princesse refoulée. Pourtant, à peine commencé le premier verre de ta looongue nuit, tu disais à tes copines avec cet air dédaigneux : « Le mec là ? Ah non trop lourd avec ses phrases de blaireau. En plus, il porte un perfecto s’te plaît, à la base, y a pas moyen. » Comme quoi, qui est peste qui croyait prendre.

Au moment où le bar ferme pour de vrai et qu’on vous jette dehors de façon polie mais assez ferme pour ne pas avoir envie de faire les malins, le perfecto t’agrippe le bras, désynchronisé par le shot final dégueulasse à base de Bailey’s-vodka-tabasco. Il te prend alors par les épaules d’un air pénétré et te balance droit dans les yeux :

– Tu rentres avec moi, hein ?

– Je sais pas si c’est une bonne idée… (Oui, tu aimes faire semblant de résister.)

– J’te jure, j’ai vraiment envie de rentrer avec toi, on fait rien si tu veux, mais j’te kiffe grave, t’es trop cool et qu’est-ce-que t’es belle, et bla bla bla de flatteur à la con.

– Ok, mais on fait rien, hein ?

– Bon, t’habites où ?

Voilà, ça y est, t’as capitulé en moins de trente secondes. Vous vous étiez seulement raconté trois conneries entre 2 shots et t’as capitulé. En plus, comme il habite loin, tu es obligée de convaincre pendant une heure un chauffeur de taxi de vous emmener malgré votre état d’ébriété avancé. Le mec te galoche, d’ailleurs plus avec ses mains qu’avec sa bouche, le chauffeur de taxi finit par gueuler.

Vous arrêtez de vous galocher et même pas le temps d’une respiration, que voilà ton chevalier pas si servant qui te lance un : « Par contre, j’ai plus du tout de monnaie », avec une mine faussement embarrassée.

« Pas de problème ». Pas le temps de lui demander son prénom ou embrayer toute forme de conversation pré-coïtale, il recommence à te rouler une pelle goulue. Tu devrais pourtant le sentir arriver, le con. C’est aux petits détails comme ça… Mais l’idée de serrer un corps nu contre toi et coller un peu de chair humaine te paraît la seule priorité.

Arrivés chez lui, tu repères direct dans son studio plutôt crade, un élastique à cheveux, une culotte et une deuxième brosse à dents sur le lavabo. Il n’a pas tout dit, le garçon. Enfin, tu ne lui as pas demandé au garçon non plus.
T’as même pas eu le temps d’enlever ton manteau ou de poser ton sac qu’il t’a déjà sauté dessus comme un clébard sur ta jambe, te plaquant contre le mur pour se la jouer Patrick Swayze. Pendant que tu l’embrasses, tu ne peux pourtant pas t’empêcher de te sentir un peu moins célibataire, un peu plus désirable et un peu plus désirée.

Et pendant ces trente secondes où tu t’es convaincue que ce mec était la bombe de l’année, tu t’es retrouvée à poil sur le dos, avec le gars qui te lèche la voute plantaire de toute sa langue… Whaaaat the fuck ?
Tu essaies subtilement de le faire remonter de deux demi-jambes mais non, il prend ton pied. Il kiffe tellement ton pied qu’il lui fait carrément une gorge profonde. Et toi, tu te souviens de tout ce qu’on fait tes pieds pendant cette journée de métro intense. « Et meeeerde, qu’est-ce que je fous là ? »

– Euh, vas- y les pieds c’est pas trop mon truc pour le coup.

– Ah ouais ? Moi j’adore…

Et le voilà reparti de plus belle, à coup de langue entre les orteils. Dégoût intense, re-suivi par un sentiment de « qu’est ce que je fous là ? ».
Mais le temps que toutes ces réflexions te remontent au cerveau, le gars est déjà au dessus de toi, puant de sueur arômatisée au Picon-bière. Il est déjà en toi. Mais, le temps que tu te rendes compte qu’il est déjà en toi, il est carrément en toi, et bien au taquet en plus. Flash de sobriété :

– Euh, le prends pas mal vraiment, mais j’me sens plus trop. L’alcool, tout ça…

– Allez, laisse-toi aller…

Mais quelle phrase de con, « laisse-toi aller »… Si t’en es là, c’est que justement tu t’es un peu trop laissée aller. Et faire un truc qu’on a pas envie de faire n’est pas une question de la disponibilité de tes chakras. Tu n’as juste PLUS ENVIE de coucher avec lui. Et ce n’est pas parce que tu es dans son pieu conjugal pourri, en train te faire faire une fellation pédestre – qui t’écoeure soit dit en passant – que tu lui dois une folle nuit de baise.

– Qu’est ce que tu fous là alors ?

– Bah rien, t’étais sympa et tu m’as dit qu’on était pas obligé. J’suis venue comme ça.

Et lui, dans un soupir :

– Pffff relou.

Il a réussi à te faire culpabiliser le con.

– J’suis désolée.

Mais pourquoi tu t’excuses toi aussi ? Il ne t’a pas payée pour être là, à ce que tu saches, il n’y a pas de service minimum en cas de grève.

Le perfecto sans perfecto a l’air vexé. Tu ne peux pas lui en vouloir d’être blessé dans sa virilité non plus. Il était tellement content, il croyait avoir gagné sa soirée. Du coup, toi, fine psychologue masculine, tu essaies de le rassurer sur le bon fonctionnement de ses hormones mâles :

– C’est juste qu’on a pas mal picolé… Puis je connais pas ton prénom, je sais même pas qui t’es.

Et lui de te lancer un regard d’une froideur qui contraste violemment avec le numéro de charme des dernières heures :

– Non mais me la joue pas comme ça… J’m’en fous. De toutes façons, je vais dormir.

Alors, il reprend son oreiller et sa couette, se retourne dos à toi dans un seul et même mouvement rageur… Et dort. Et toi, tu ne t’es jamais sentie aussi inutile. Pourtant, tu sais que tu as complètement le droit de « ne pas te sentir » – et puis quoi encore ! – mais tu vois bien que tu as failli au rôle qu’on t’avait attribué.
Pour ce gars, ta place dans le monde, c’était de coucher avec lui, ce soir.
À partir de ton refus, tu ne sers plus à rien, à part à contrecarrer sa soirée. Licenciement pour faute grave. C’était pourtant simple bordel !
Il sortait avec ses potes, ils buvaient beaucoup de Picon pour être bourré à moindre coût, il levait une meuf aussi bourrée que lui, et le lendemain, sa vie reprenait normalement, mais avec le bonus « déchargé ».
Et toi, t’es venu le faire chier avec tes principes.

Quand il a commencé à ronfler et que toi, tu n’as pas réussi à décrocher ton regard du plafond malgré les quatre clopes fumées comme des appels d’air, tu t’es rendue compte que tu n’avais jamais eu aussi peu envie d’être là où tu étais. Alors, t’as pris tes affaires en silence… et tu t’es barrée.

Mon champion du monde.

C’est dommage mon gars, parce que si tu t’y étais pris autrement, si tu avais fait un micro-effort, t’aurais pu réussir ton coup.

Toi, ta seule fonction c’était de me faire avoir envie de coucher avec toi.
Ton seul rôle, c’était de mettre un fond de musique cool en arrivant chez toi, de me proposer un joint qui nous aurait achevé, de me raconter quelques bribes de vie, me faire quelques blagues ou même m’émouvoir un peu.
On aurait échangé des petits coups d’œil en coin voulant dire secrètement « j’ai hyper envie de toi », tu aurais regardé mes lèvres, je l’aurais remarqué et ça m’aurait donné envie de bouffer les tiennes. On se serait jetés dessus comme des sauvages et on se serait menti dans nos peaux pendant une nuit entière.
Et je t’aurais peut-être même laissé me lécher un orteil, tellement tu l’aurais bien amené.

Mais tu n’étais ni un petit con sympathique, ni un con juste pas très malin, mais un GROS Con. Tu n’as gagné ni ma nostalgie, ni ma tendresse. Au mieux, tu m’auras donné une super histoire à raconter aux copains. Mais vraiment, bravo. Tu as bien fait honneur à la congrégation des Gros Cons, tu as bien bossé pour ton avancement dans la fonction suprême de Gros Con.

Tu sais, t’as de la chance mon pote, tu seras jamais au chômage :
Gros Con, c’est le plus vieux métier du monde.

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